L'esquive,

film d'Abdellatif Kechiche (2004)



Avis général : 7.5/10
:-) Un regard très réaliste et juste sur la banlieue. Des acteurs attachants et une caméra formidablement précise.
:-( C'est un peu long, la répétition d'engueulades finissant pas épuiser le spectateur (sans compter la scène d'intervention des flics franchement évitable).

Il faut que je commence par avouer que je suis un mauvais cinéphile : non seulement j'ai attendu que le film décroche quatre césars pour me décider à aller le voir, mais en plus j'ai bassement profité d'une opération commerciale (le Printemps du cinéma en l'occurrence) pour ne pas payer ma place trop cher. Mais ne vous plaignez pas, comme ça j'ai vu trois films hier, ça va enrichir ma page cinema ;-).

Pour ceux qui n'auraient pas suivi l'actualité, ça se passe donc en banlieue, et ça raconte l'histoire somme toute banale d'un jeune beur qui tombe amoureux d'une camarade de classe. Pour l'approcher, il n'hésite pas à se mettre au théâtre et à intégrer la troupe de copains qui répètent une pièce de Marivaux.

Je pourrais développer plus sur le scénario, mais ça n'aurait pas grand intérêt, puisqu'il s'agit simplement de la vie de tous les jours de jeunes de banlieue. Le coup de la pièce de théâtre n'est finalement qu'un artifice pour introduire un peu de mouvement dans l'histoire, mais en tant que tel, il est très bien exploité (et puis c'est tout de même fendard de voir des jeunes de banlieue, entre deux bordées d'insultes et de verlan, parler précieusement avec le plus grand naturel). Le plus grand intérêt du film, c'est simplement son réalisme. Bien sûr, n'étant pas très familier de ce milieu, je ne peux pas vraiment juger avec exactitude, mais il me semble que Kechiche nous montre juste la banlieue telle qu'elle est, sans faire de sensibilisation ni de caricature. Inévitablement, cela donne un film qui n'est pas franchement facile à regarder : ceux qui ont du mal à comprendre le langage des jeunes de banlieue ou qui se sentent mal à l'aise dès que le ton monte risquent de s'enfuir assez vite. Ça hurle beaucoup, chaque protagoniste se sentant obligé d'insulter copieusement son interlocuteur pour se faire entendre, mais on ressent parfaitement la tension permanente dans les rapports qu'entretiennent ces jeunes. Ce réalisme est toutefois aussi la limite du film. Deux heures à ce rythme, c'est épuisant, et quelques scènes ont un peu de mal à passer. Surtout, Kechiche va sûrement trop loin avec la descente de flics à la fin du film. Je ne jugerai pas de son réalisme (hélas vraisemblable), mais ça n'a tout simplement pas sa place dans le film car sans réel rapport avec l'intrigue.

Revenons-y, à cette intrigue. Certes, elle est assez banale, mais quel talent dans l'illustration des amours naissantes du jeune Krimo. Les acteurs, à défaut d'être géniaux, sont tous attachants et convainquants dans leur rôle, et surtout la caméra de Kechiche, sous couvert de réalisation style documentaire peu recherchée, fait des miracles. Deux plans sur le visage de Sara Forestier (formidable d'intensité), et on est sous le charme, on partage les sentiments de Krimo. Pas besoin pour lui de nous faire ressentir quoi que ce soit, la caméra le fera à sa place. Et cette façon de rendre extrêmement vivante l'intrigue transforme ce qui ne serait sinon qu'un bon documentaire sur la banlieue en vrai film, sur et émouvant à la fois.

Finalement, je suis plutôt agréablement surpris qu'on puisse attribuer le Cesar du meilleur film à ce genre d'oeuvre. Discutable, hautement non consensuel, mais avec une vraie ambition et un vrai message, et pas seulement un pâté de guimauve comme on peut en trouver ailleurs. Je laisse à ceux qui voudront tenter l'aventure le soin de se faire leur propre opinion.

Roupoil, 21 mars 2005.



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