Il faut que je commence par avouer que je suis un mauvais
cinéphile : non seulement j'ai attendu que le film décroche quatre césars
pour me décider à aller le voir, mais en plus j'ai bassement profité d'une
opération commerciale (le Printemps du cinéma en l'occurrence) pour ne pas
payer ma place trop cher. Mais ne vous plaignez pas, comme ça j'ai vu
trois films hier, ça va enrichir ma page cinema ;-).
Pour ceux qui n'auraient pas suivi l'actualité, ça se passe donc en
banlieue, et ça raconte l'histoire somme toute banale d'un jeune beur qui
tombe amoureux d'une camarade de classe. Pour l'approcher, il n'hésite pas
à se mettre au théâtre et à intégrer la troupe de copains qui répètent une
pièce de Marivaux.
Je pourrais développer plus sur le scénario, mais ça n'aurait pas grand
intérêt, puisqu'il s'agit simplement de la vie de tous les jours de jeunes
de banlieue. Le coup de la pièce de théâtre n'est finalement qu'un
artifice pour introduire un peu de mouvement dans l'histoire, mais en tant
que tel, il est très bien exploité (et puis c'est tout de même fendard de
voir des jeunes de banlieue, entre deux bordées d'insultes et de verlan,
parler précieusement avec le plus grand naturel). Le plus grand intérêt du
film, c'est simplement son réalisme. Bien sûr, n'étant pas très familier
de ce milieu, je ne peux pas vraiment juger avec exactitude, mais il me
semble que Kechiche nous montre juste la banlieue telle qu'elle est, sans
faire de sensibilisation ni de caricature. Inévitablement, cela donne un
film qui n'est pas franchement facile à regarder : ceux qui ont du mal à
comprendre le langage des jeunes de banlieue ou qui se sentent mal à
l'aise dès que le ton monte risquent de s'enfuir assez vite. Ça hurle
beaucoup, chaque protagoniste se sentant obligé d'insulter copieusement
son interlocuteur pour se faire entendre, mais on ressent parfaitement la
tension permanente dans les rapports qu'entretiennent ces jeunes. Ce
réalisme est toutefois aussi la limite du film. Deux heures à ce rythme,
c'est épuisant, et quelques scènes ont un peu de mal à passer. Surtout,
Kechiche va sûrement trop loin avec la descente de flics à la fin du film.
Je ne jugerai pas de son réalisme (hélas vraisemblable), mais ça n'a tout
simplement pas sa place dans le film car sans réel rapport avec
l'intrigue.
Revenons-y, à cette intrigue. Certes, elle est assez banale, mais quel
talent dans l'illustration des amours naissantes du jeune Krimo. Les
acteurs, à défaut d'être géniaux, sont tous attachants et convainquants
dans leur rôle, et surtout la caméra de Kechiche, sous couvert de
réalisation style documentaire peu recherchée, fait des miracles. Deux
plans sur le visage de Sara Forestier (formidable d'intensité), et on est
sous le charme, on partage les sentiments de Krimo. Pas besoin pour lui de
nous faire ressentir quoi que ce soit, la caméra le fera à sa place. Et
cette façon de rendre extrêmement vivante l'intrigue transforme ce qui ne
serait sinon qu'un bon documentaire sur la banlieue en vrai film, sur et
émouvant à la fois.
Finalement, je suis plutôt agréablement surpris qu'on puisse attribuer le
Cesar du meilleur film à ce genre d'oeuvre. Discutable, hautement non
consensuel, mais avec une vraie ambition et un vrai message, et pas
seulement un pâté de guimauve comme on peut en trouver ailleurs. Je laisse
à ceux qui voudront tenter l'aventure le soin de se faire leur propre
opinion.
Roupoil, 21 mars 2005.