Deux Palmes d'or en cinq ans, on a beau penser ce qu'on
veut des choix certes souvent discutables des jurés cannois, ça interpelle
et ça invite le cinéphile consciencieux à aller se plonger dans une salle
obscure pour voir de plus près de quoi il en retourne, même si le cinéma
affiché social des frères Dardenne n'est pas forcément sa tasse de thé.
C'est donc l'histoire d'un enfant. Celui de Bruno, voyou à la petite
semaine dans une cité quelque part dans les Flandres, et de Sonia, encore
un visage d'adolescente. Mais c'est surtout dans leur tête que nos deux
paumés sont trop jeunes pour assumer leurs responsabilités. A les voir se
chamailler sans cesse comme des gamins et avoir une vision de l'avenir qui
ne dépasse pas le lendemain, on sent les catastrophes poindre. Ca ne
manquera pas, Bruno décidant sur un coup de tête de vendre leur fils pour
qu'il puisse être adopté par une famille plus aisée.
On ne peut pas dire qu'on soit surpris devant ce film, qui est totalement
conforme à ce qu'on en attend pour peu qu'on se soit un peu renseigné
avant d'aller le voir. Les Dardenne s'attaquent à la vie peu enviable des
rejetés de notre société, avec une méthode que l'on sent parfaitement
rodée même quand c'est la première fois qu'on les voit à l'oeuvre. De
vrais acteurs, qui plus est tout à fait justes dans leur rôles ; un
scénario solide, qui bascule de façon très sobre et efficace vers le
dramatique, en étant crédible à tout moment ; et une réalisation
extrêmement précise, qui va chercher les détails tout en restant très
vivante.
On ne s'ennuie donc pas vraiment, ce qu'on pourrait craindre devant ce
genre de film (enfin, en ce qui me concerne, du moins...). Mais, comme
vous l'aurez compris, je ne considère toutefois pas vraiment ce film comme
un chef-d'oeuvre, ni même comme la grande réussite saluée par les
spécialistes. Pourquoi ? Tout simplement parce que, si je n'ai aucun
reproche à faire à la réalisation, je me demande tout simplement quel est
l'intérêt de ce type de cinéma. En refusant toute fioriture (pas de
musique, bien sûr, mais également un grand dépouillement visuel), les
Dardenne nous offrent certes un documentaire d'une précision appréciable,
mais vidé de toute émotion. On a beau se dire que ce qu'on voit à l'écran
pourrait, et même devrait être poignant, révoltant, on regarde les
événements s'enchaîner sans grande passion. C'est particulièrement vrai
pendant la première moitié de l'heure, l'obstination des frères Dardenne
finissant presque par nous sortir de notre léthargie dans les dernières
scènes.
Ca ne fait malheureusement pas un film. Je n'ai rien à reprocher à ceux
qui se sont pâmés devant cette oeuvre, qui a des qualités indéniables.
Simplement, la prochaine fois, je laisserai ce genre de film à ceux qui
les apprécient vraiment.
Roupoil, 29 octobre 2005.