Bientôt 80 ans mais encore toutes ses dents, Clint
Eastwood est devenu, depuis son mémorable adieu au western avec
Impitoyable, un réalisateur non seulement respecté mais attendu.
Quelques mois après sa sélection à Cannes, rien de très surprenant donc à
ce que son dernier opus soit bien accueilli à sa sortie en salles. En ce
qui me concerne, j'avais pourtant un petit peur : un sujet qui ne
m'attirait pas plus que ça, une durée assez nettement au-dessus de la
norme, et un mauvais souvenir de ma dernière expérience Eastwoodienne,
même si c'est plus le scénario qu'autre chose qui m'avait déplu dans
Lettres d'Iwo Jima. Ma copine n'était pas extrêmement motivée au
départ non plus, et puis finalement on a réussir à se convaincre d'aller
le voir tous les deux. On n'a pas été déçus.
Cette drôle d'histoire d'échange, c'est celle de Christine Collins, une
mère seule dans l'Amérique des années 20, dont le fils unique disparait un
beau jour (enfin, beau, façon de parler, du coup). Elle fait dans un
premier temps confiance à la police locale pour le retrouver mais, quand
on lui annonce que le garçon est de retour, elle constate avec effroi
qu'il ne s'agit pas de lui. Malgré les évidences, les autorités refusent
de reconnaitre leur erreur, et Christine entame un long et difficile
combat contre l'absurdité ambiante, soutenue par un pasteur qui ne mâche
pas son mépris de l'administration du Los Angeles de l'époque.
Mine de rien, cette base de scénario assez simple est en fait un point
d'accroche idéal pour explorer beaucoup d'aspects de la société américaine
de l'époque, y compris les plus extrêmes dans leur violence (serial
killers et asiles psychiatriques notamment). Le personnage de Christine
Collins n'est finalement pas vraiment le moteur de l'action, mais plutôt
un point central autour duquel gravitent tout un panel de personnages un
poil archétypiques mais qui font de bons héros et méchants de cinoche,
bien incarnés par un casting solide (je suis pas fan de Jolie en général,
mais elle est plutôt pas mal en mère un brin dépassée par les évènements).
Mais le l'énorme point fort du film, c'est son extraordinaire fluidité.
Près de deux heures et demie de long, et pas une scène qu'on aurait envie
d'abréger ou de supprimer, pas un enchainement brutal ou incohérent, pas
un cadrage ou un mouvement de caméra douteux, pas un détail de
reconstitution qui ne soit pas à sa place, c'est tout simplement
impeccable de bout en bout, et c'est à la fois tellement rare et en
apparence tellement simple qu'on en vient à être surpris que ce film soit,
uniquement niveau mise en scène, tellement au-dessus du niveau moyen des
sorties actuelles alors même qu'il se complait au fond dans un classicisme
que certains ne manqueront pas de trouver un brin poussiéreux. Comme quoi
c'est encore dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes.
Pour être tout à fait honnête, je dois quand même admettre que je n'aurais
pas été contre un peu plus de nervosité voire de brutalité dans les
moments les plus intenses, le film étant presque trop lisse pour marquer
autant que la plupart de ceux que je classe dans la catégorie
chef-d'oeuvre. C'est d'ailleurs ce qui explique ma note un poil sévère
pour une oeuvre qui est tout de même d'une grande solidité, et
indiscutablement l'un des films à voir actuellement au cinéma.
Roupoil, 2 décembre 2008.