David Lynch, le retour, après quelques années d'absence.
Il faut dire que son dernier film avait fichu un sacré coup à la planète
cinéma, ou du moins à mon auguste personne. Lynch, l'enfant terrible du
cinéma américain, qui depuis maintenant trente ans navigue à vue aux
abords d'une incertaine frontière entre le cinéma "commercial" et l'art
contemporain (vous savez, les installations incompréhensibles qu'on voit
dans les musées), avait atteint avec Mulholland Drive une sorte
d'extraordinaire point d'équilibre entre ces deux tendances. La question
était donc : mais que va-t-il nous sortit maintenant ?
La réponse a été en partie donnée par Lynch lui-même via le format utilisé
: désormais, il tourne en numérique, caméra à la main, pour se laisser
plus de liberté. Indiscutablement, ça se voit : le grain n'est pas le
même, c'est flou, les couleurs sont dures. Je dois dire qu'en ce qui
me concerne, la pilule est un peu dure à avaler. Pourtant, on ne peut pas
nier que le travail de l'image est une fois de plus monumental, et
extrêmement intéressant. Simplement, ce film est visuellement beaucoup
moins séducteur que son précédent, plus extrême.
Commentaire qui, en fait, pourrait s'appliqer au film tout entier. Ce qui
répond d'ailleurs à la question que je me posais initialement : Lynch est
carrément parti très loin dans la direction de l'oeuvre d'art presque
abstraite. On avait l'habitude d'avoir du mal à comprendre les délires de
l'ami David, mais en général, on pouvait au moins tenter de suivre une
ligne directrice, saisir quelques personnages, et savourer une scène en
elle-même "normale". Ici, rien de tout ça, il n'y a pas de branches
auxquelles s'accrocher, c'est le grand plongeon dans un grand kaléidoscope
sans grande cohérence. On sent bien derrière tout ça des pistes de
réflexion se dessiner, notamment sur la confusion entre l'actrice et le
rôle qu'elle joue (thème qui, vous le noterez, avait déjà été pressenti
par Roupoil lui-même à la fin de sa désormais célèbre analyse de
Mulholland Drive), mais pas vraiment d'actions qui se suivent (du
moins après la première heure), juste des bribes à recoller ... ou pas.
Les personnages avec qui je suis allé voir le film n'ont pas aimé du tout.
Je les comprends. Certains crient au chef-d'oeuvre intégral. Je peux
l'admettre aussi. Comme toujours, je vais éviter de trop me mouiller dans
un sens ou dans l'autre, en disant que si le film est indiscutablement
intéressant, je n'y ai que peu accroché (vous avez le doit de traduire "je
me suis fait chier" sans beaucoup déformer). En gros, ce n'est pas ce
genre d'oeuvre que j'ai envie d'aller voir au cinéma. Mais je ne pense pas
avoir perdu mon temps devant les trois longues heures de cette étonnante
expérience visuelle. Lynch reste un formidable manipulateur d'images et de
sons.
Roupoil, 12 février 2007.