Je vais me faire un petit peu plaisir avec cette
critique d'un film que j'apprécie beaucoup, mais qui pourtant ne fera
sûrement pas l'unanimité. Si vous pensez avoir tout vu dans la catégorie «
aventures médiévales » et s'il vous semble qu'il n'y a pas trente-six
mille façons de traduire en images la légende arthurienne, venez donc
partager la vision peu commune de John Boorman, c'est une expérience
indiscutablement enrichissante.
Comme je ne connais pas par coeur les multiples versions littéraires de la
légende, je ne vous dirai pas à quel point on peut considérer l'adaptation
comme fidèle à l'une ou à l'autre, en tout cas, ça s'inspire de Malory et
ça correspond plus à ce que l'honnête homme du vingt-et-unième siècle
connait sur le Roi Arthur que le film du même nom (Roi Arthur, pas
Excalibur) sorti l'an dernier et démoli sur cette même page par votre
serviteur. On aura donc droit à un rapide (enfin, un peu plus de deux
heures quand même, mais c'est dense) résumé comprenant tous les
incontournables : Arthur retirant l'épée du rocher, Lancelot et Guenièvre,
Perceval et le Graal, Morgane piégeant Merlin, etc...
Pour commencer, je ne peux pas être totalement objectif, un film qui
commence sur fond de marche funèbre de Siegfried (pour ceux qui auraient
l'outrecuidance de ne pas comprendre de quoi je parle, il s'agit de la
plus belle page musicale jamais écrite par Richard Wagner) ne peut être
mauvais... Blague à part, ce qui surprend dès les premières minutes de ce
film, c'est que Boorman, loin de se contenter de faire une belle
adaptation en se laissant porter par la solidité du sujet (je pense
notamment à une certaine trilogie inspirée d'un best-seller de Tolkien
quand je dis ça :-) ), a insufflé une âme à son film. Déjà, la musique,
puisque j'ai commencé par là. Ça peut paraître facile d'en recourir à la
Tétralogie et à Carmina Burana pour accentuer les scènes grandioses, mais
quand c'est utilisé aussi parcimonieusement et intelligemment qu'ici (car
il n'y a pas que ça comme musique dans le film), c'est d'une efficacité
redoutable.
Ensuite, les images. Je ne sais pas trop comment expliquer ça, mais ça ne
ressemble pas aux autres films sur le sujet. Cadrages souvent très serrés
(pas un seul plan large sur une plaine pendant les batailles), un mélange
de réalisme (pas de batailles entre armées gigantesques) et de violence
d'un côté, et de magie de l'autre qui donne au film un aspect oppressant
et fantastique vraiment prenant. Bien sûr, les grincheux diront que c'est
parfois trop et que le film a mal vieilli. Certes, les effets spéciaux
sont assez bizarres par moments (mais il y en a assez peu...) et il faut
avoir le coeur bien accroché pour laisser passer le ralenti sur le vol
d'Excalibur sur fond de soleil couchant rouge pétant dans la scène finale.
Mais bien que souvent à la limite extrême du ridicule, ça passe. Et ça
donne un nombre de scènes d'anthologie rarement égalé au cinéma (le
scénario amène forcément un certain hachage dans la mesure où il n'y a pas
vraiment le temps de faire beaucoup plus qu'aligner les moments forts de
la légende, et pourtant le film garde une unité et une fluidité
impressionnante).
Au niveau des acteurs, mêmes remarques. Leur jeu est souvent hautement non
conventionnel, mais à mon goût parfaitement adapté. Merlin en est le
meilleur exemple : il passe son temps à surjouer en déclamant des phrases
sybillines avec un air inquiétant, je comprends parfaitement qu'on trouve
ça grotesque, mais je pense au contraire que ça fait partie du charme de
ce film.
Vous l'aurez compris, il faut adhérer à l'esthétique de cet
Excalibur pour pouvoir l'apprécier pleinement, mais pour peu que
ce soit le cas, vous le considérerez rapidement comme le classique
incontournable sur la légende du Roi Arthur (avec Sacré Graal,
naturellement, que l'on est d'ailleurs très tenté de prendre pour une
caricature du film de Boorman quand on visionne ce dernier ; mais comme il
est sorti quelques années avant, sauf pouvoir caché des Monty
Python...).
Roupoil, 9 mars 2005