Est-ce une bonne idée de revoir un film comme ET
quand on a largement dépassé la tranche d'âge auquel il est censé
s'adresser ? Au fond, on a tout à y perdre et rien à y gagner : le
souvenir formidable qu'on en a ne pourra être qu'affadi par un excès de
rationalisation qu'on ne pourra éviter, et ce qui était poétique hier
risque fort de paraitre mièvre aujourd'hui. Mais le critique étant
impacable et sans coeur, il se prépare au pire sans état d'âme.
Première surprise, ce n'est pas exactement le même que je viens de revoir
que celui qui m'a enchanté étant gamin, l'édition spéciale pleine d'effets
numériques étant passée par là. Heureusement, les retouches sont légères,
mais je persiste à me demander l'intérêt de ce genre de traficotages : ils
sont visibles à trois kilomètres, et le film perd en unité ce qu'il ne
gagne pas vraiment en beauté. Un jour, on admettra que, comme la
colorisation forcée de classiques noir et blanc, c'est une connerie. Bref,
j'en oublie de raconter l'histoire mais tout le monde la connait : un
gentil extra-terrestre est abandonné par ses congénères au beau milieu de
la Californie et recueilli par le petit Elliot. Outre des pouvoirs
spéciaux assez torchesques, E.T. a un désir : rentrer chez lui.
Avant l'inévitable happy end, il va se passer bien des choses, de
l'action, du suspense, du rire et des larmes. Surtout les larmes
d'ailleurs, car le film joue à fond la carte des effets lacrymaux. Eh
ben, vous savez quoi ? Je retire tout ce que j'ai dit dans l'intro, ça
fonctionne toujours aussi bien, et on chiale à vingt-cinq ans comme on l'a
fait à dix (enfin, on se retient un peu plus, mais l'esprit y est).
Et pourtant, quand on y réfléchit, Spielberg ne s'est pas beaucoup foulé :
le groupe de gamins dont le père est parti et la mère trop occupée pour
être vraiment présente, rêveurs et mignons tout plein (eh oui, Drew
Barrymore haute comme trois pommes, sûrement son meilleur rôle), ça sent
le cliché. Mais c'est un coup de génie d'avoir fait adopter E.T. par ces
gamins. N'est-ce pas le rêve de tout gosse d'avoir un ami comme lui, venu
d'ailleurs mais tout gentil, capable de faire de grosses bêtises mais
supérieurement intelligent, et surtout qui partage au sens propre ses
émotions ? Spielberg le réalise, et on marche totalement avec lui. Le côté
magique et poétique du film n'a pas pris l'ombre d'une ride.
Les grincheux prétendront que c'est moins vrai pour le visuel. Je réponds
d'une part qu'on s'en fout, d'autre part que ce n'est même pas vrai,
Spielberg étant assez malin pour s'affranchir des modes. Et au moins, la
musique de John Williams est intemporelle et, comme si souvent,
magnifique. Quand on aura ajouté que les plus vieux auront droit à un ou
deux bons moments de rigolade lors des petites allusions à une certaine
trilogie de science-fiction scénarisée par un bon copain de Spielberg, il
ne manque vraiment rien pour faire de ce film un très grand moment de
cinéma réellement apprécié par toute la famille (et pas seulement les
gamins !), l'un des meilleurs films de son auteur, ce qui n'est pas peu
dire.
Roupoil, 26 juillet 2006