Suite à ma déception à la vue du dernier Lynch, mais
également à cause de mon admiration sans borne pour son précédent film, je
me suis dit qu'il était grandement temps que je me plonge un peu plus
avant dans la filmographie du monsieur. Pour ne pas tenter le diable,
retour sur un film "classique", tellement d'ailleurs qu'on est presque
surpris qu'il soit signé Lynch, et qui plu est que ce soit son deuxième
film. La valeur n'attend pas le nombre des années, certes...
Elephant man, c'est le surnom donné à John Merrick, à cause de la terrible
difformité dont il est victime depuis sa naissance (et apparemment
provoquée par la rencontre un peu abrupte entre sa mère et un éléphant).
Il est montré comme phénomène de foire par un certain Bytes, auquel
l'enlève le jeune docteur Treves. L'intérêt de ce dernier semble dans un
premier temps purement médical, mais il finit par se rendre compte que
Merrick, loin d'être un idiot, est un homme raffiné et cultivé.
Pourra-t-il pour autant s'intégrer à la société londonienne ?
Le film développe de façon finalement assez prévisible sa réflexion sur la
tolérance, des cris de terreur des premières personnes à voir le visage de
Merrick à l'hôpital (belle idée au passage de cacher ce visage au
spectateur pendant les vingt premières minutes du film pour attiser sa
curiosité) à son amitié avec Treves et une actrice de théâtre qui finira
par, enfin, lui permettre de se montrer au grand jour. On peut même
regretter que Lynch n'insiste pas plus sur l'ambiguïté du rôle de Treves
(tout de même suggérée dans quelques scènes) qui finit par devenir presque
trop bon au vu de sa froideur initiale. On n'est pas loin de tomber dans
le manichéisme.
Mais si Lynch reste relativement conventionnel dans sa narration, c'est
tout simplement qu'il peut se le permettre. L'histoire en elle-même est
très émouvante, et la forme tout simplement parfaite : noir et blanc
impeccable, une manière de filmer les couloirs de l'hôpital qui suffit à
instaurer une ambiance prenante, des acteurs convaincants (Hopkins
réussissant justement à faire passer sur son visage cette ambiguïté que le
scénario a adoucie), une musique très bien intégrée, et tout simplement
quelques scènes qui font monter les larmes. On pardonne même l'escapade
sur le continent qui n'est à mon sens pas très bien insérée dans le récit
(il y a par ailleurs quelques autres petites longueurs) puisqu'elle est le
préambule à la fabuleuse scène de la gare et à ce cri du coeur de Merrick
(I am a man) qu'on n'est pas près d'oublier.
Finalement, le terme de classique convient bien au film. Lynch y limite
essentiellement les expérimentations visuelles au générique, et pour le
reste se contente de maitriser totalement un très beau sujet. Une belle
leçon de cinéma pour ceux qui pensent que le monsieur n'est capable que de
faire des films incompréhensibles pris pour des chefs-d'oeuvre par une
bande d'illuminés.
Roupoil, 25 mars 2004