Bon, commençons par préciser que la note est certes
sévère mais est plus une sanction envers un film présenté par beaucoup de
gens comme un chef-d'oeuvre alors qu'il ne le mérite à mon avis absolument
pas, que comme un jugement objectif que, je l'avoue, j'aurais bien du mal
à faire sur un tel film. Ne vous inquiétez pas, je vais expliquer dans la
suite ce que j'entends par là. En tout cas, ce qui est certain, c'est que
je n'ai pas aimé cet Elephant.
Rappelons le concept du film (on ne peut pas vraiment parler de scénario)
: Van Sant nous propose simplement de suivre à travers quelques
adolescents dans leurs déambulations quotidiennes à travers leur
établissement scolaire. Bien sûr, il ne s'agit pas tout à fait de
n'importe quel établissement, ni d'un jour ordinaire, puisque le film se
conclut par un massacre perpetré par deux lycéens (en l'occurence celui de
Columbine également cible du documentaire de Michaël Moore Bowling for
Columbine ; de toute façon, je crois qu'heureusement, celui-ci n'a
pas fait d'émules à ce jour). Il ne s'agit absolument pas d'un
documentaire, simplement de la mise en scène stylisée de quelques moments
anodins de la vie de ces jeunes avant le drame.
Mettons tout de suite les choses au point : les raisons qui ont poussé les
meurtiers, je n'en ai rien à foutre. Enfin, non, ce n'est même pas ça,
mais en tout cas je ne venais certainement pas pour voir un film
explicatif (j'irais jusqu'à dire que je ne vois pas très bien en quoi un
tel acte a besoin d'explication, et comme je suis en forme, je vais même
pousser jusqu'à prétendre que je peux comprendre les motivations de ces
deux lycéens : quand on est un ado qui se cherche une personnalité, qu'on
est un peu rejeté par les autres (le film ne dit pas grand chose
là-dessus, mais au moins quand l'un des deux dit sous la douche "Je n'ai
jamais embrassé", on peut supposer qu'il n'a pas un succès foudroyant
auprès des filles :-) ), on se réfugie souvent dans un imaginaire peuplé
de super-héros ou au moins de gens qui font toutes sortes de choses
autrement plus passionnantes que le quotidien d'un gamin de 15 ans (je
fais rentrer là-dedans par exemple les jeux video où on shoote sur tout ce
qui bouge, qui à défaut d'être subtils, procurent une dose d'adrénaline
appréciable à beaucoup de gens) ; est-il si si inimaginable que certains
décident un jour que, plutôt que de continuer à s'embêter, ils préférent
tenter une expérience grandeur nature de défoulement ? Bien sûr, la
plupart sauront résister à ces pulsions (heureusement), mais un fait
divers comme celui de Columbine ne justifie pas une analyse psychologique
extrêmement poussée des coupables ; enfin bref, j'espère ne pas avoir trop
choqué mes lecteurs, j'ai des théories un peu extrêmes parfois :-) ).
Bon, où en étais-je ? Ah oui, le film n'est pas a priori explicatif, et
c'est très bien. Ceci dit, je me permets une petite interrogation à ce
sujet : le film est censé ne rien expliquer, mais là où on voit la plupart
des protagonistes dans des activités totalement anodines (prendre des
photos, ranger des bouquins à la bibliothèque), les meurtriers sont
présentés en train d'acheter des flingues sur Internet, de regarder des
documentaires sur le nazisme, ou de jouer à des jeux video pour le moins
douteux (franchement, ils ont été le chercher où, le jeu en question, ce
n'est pas crédible tellement ce qu'on en voit est caricatural). Et ça
devient carrément douteux quand on les voit de rouler une pelle sous la
douche. Enfin bref, la neutralité du réalisateur me semble pour le mois
discutable, mais je veux passer outre puisqu'il case au milieu de tout ça
un peu de Beethov.
Pour le reste, que dire ? Ben pas grand chose, on a droit à des plans de
ciel bleu et de T-shirts à répétition, et à des scènes d'un intérêt à peu
près nul. Les lycéens que Van Sant a décidé de suivre vaquent à leurs
occupations habituelles, c'est-à-dire, comme n'importe quel ancien lycéen
le sait bien, rien de passionnant. Un bon point assez surprenant, c'est
qu'on ne s'ennuie pas. La réalisation maniérée (non mais franchement, ces
ralentis grotesques à deux ou trois moments, n'allez pas me dire que c'est
ça qui vaut un Prix de la mise en scène à Cannes ?) n'empêche pas une
certaine beauté des images qui suffit à maintenir le spectateur en éveil
Mais à part ça... Le quotidien d'un gamin de 15 ans, on sait ce que c'est,
pas la peine de nous infliger des banalités pendant une heure pour nous
le faire ressentir. D'autant plus, et là c'est plus gênant, que le film ne
véhicule aucune émotion. C'est tout simplement banal. Van Sant a beau nous
sortir la sonate "Clair de Lune" à un moment (ah, ça, c'est toujours
efficace), ça ne suffit pas à rendre une scène à la base sans intérêt
poignante.
Le pire est toutefois à venir avec la conclusion. On pourrait espérer que
le film prenne tout son sens au moment de la fusillade, mais non, le peu
qu'on commence à ressentir est immédiatement annihilé par le comportement
absurde des protagonistes ("Oh, il s'est fait tirer dessus ! Alors, les
enfants, on va tous sortir calmement par la fenêtre, d'accord ?"). Je ne
sais pas si c'est censé être réaliste, mais même si c'est le cas, je n'en
ai rien à foutre : Loft Story dans un film art et essai, ça ne le
fait pas du tout.
Au final donc, un bel écrin totalement vide. Je ne sais pas exactement ce
que Gus Van Sant a voulu faire passer avec ce film, mais il y avait
manifestement une forte barrière isolante entre l'écran et moi. Je me
demande toujours à quoi rime exactement de film, j'ai l'impression que je
n'aurais rien perdu à faire une sieste d'une heure et demie plutôt que
d'aller le voir. Quitte à faire de l'artistique sur du trivial à caractère
morbide, je propose le projet suivant : une visite filmée des bureaux du
World Trade Center le matin du 11 septembre, sans le son, avec le Requiem
de Mozart en fond. Et à la fin, juste le crash (sonorisé, bien sûr) des
avions. Nul doute qu'on me décernera un Oscar du mauvais goût. Gus Van
Sant, lui, a obtenu la Palme d'Or. On se demande bien pourquoi.
Roupoil, 16 août 2004