Dans la catégorie des films qu'il fallait absolument que
je voie depuis un certain temps et dont j'attendais beaucoup, celui-là
était peut-être en tête de liste. Assez curieusement, même après avoir
acquis le DVD, j'ai mis quelques mois avant de me décider à le regarder,
et accessoirement quelques autres avant de me décider à taper ma critique.
Il est si dur de décrire l'effet Burton...
Dans une banlieue américaine très pastel, Peg, vendeuse de cosmétiques à
domicile, a un jour la curiosité d'aler faire un tour dans le drôle de
manoir qui surplombe la colline. Elle y découvre Edward, drôle de créature
inachevée muni de ciseaux en guise de mains, et le ramène chez elle.
Edward, bien qu'assez mutique et maladroit, se révèle en coiffeur et
tailleur de haies. Il tombe au passage amoureux de la fille de Peg, qui
sort avec un playboy débile.
Comme on peut s'y attendre, quelque chose va se détraquer dans ce bel
arrangement. Puisque j'en suis à parler du scénario, commençons par
regretter un des rares défauts du film à mon goût. L'intrigue est certes
une fable magnifique sur l'intolérance et une histoire d'amour impossible
qui fera chavirer les coeurs sensibles (donc le mien), mais elle reste au
fond conventionnelle : le personnage de Jim est une caricature peu
intéressante, et la satire de la middle-class ne va au fond pas très loin,
comme si Burton avait voulu s'en tenir au côté conte de fées mélancolique.
Je pense qu'aujourd'hui il rajouterait une couche plus aigre qui rendrait
le film plus fort. Mais bon, d'un autre côté, on frémit rien qu'à l'idée
de ce qu'aurait pu devenir un tel scénario dans les mains de quelqu'un
d'autre.
Car dans le cadre qu'il s'est fixé, Burton réalise des merveilles : son
univers poétique et décalé est ici, pour la première fois, exploité
idéalement. Les scènes en flash-back avec Vincent Price en inventeur sont
à pleurer de beauté, pour ne citer qu'elles. Et rien que le manoir et son
drôle de jardin mettent dans l'ambiance dès les premières minutes du film.
Les acteurs sont excellents, à commencer par Johnny Depp, qui réalise une
performance quasi-muette phénoménale. Le regard perdu qu'il a au début du
film est extraordinaire, et la qualité du maquillage le renforce encore.
Et que dire de la musique d'Elfman, si ce n'est qu'elle est une fois de
plus magnifique et colle parfaitement aux images ?
Burton ne nous laisse pas le choix : on ne peut que tomber amoureux de
Winona Ryder, assister impuissants au dénouement tragique de l'histoire,
et pleurer devant la beauté de la scène finale. Avec un immense plaisir.
Le premier chef-d'oeuvre de Tim Burton, suivi déjà de quelques autres.
Série, on l'espère, loin d'être achevée.
Roupoil, 3 juin 2006