Bon, déjà, soyons honnêtes, quand on a Dracula et
Coppola sur la même affiche, ça nous met l'eau à la bouche (en attendant
le sang ;-) ). Parce qu'on se doute à l'avance que Coppola saura respecter
l'histoire originale et ne pas la transformer en un show dédié uniquement
au plaisir du spectateur, mais que ce sera malgré cela certainement
spectaculaire.
Est-il vraiment nécessaire de rappeler l'histoire de ce bon vieux Comte
Dracula ? De toute façon, je ne pourrais même pas vous dire si c'est
fidèle au roman, vu que je ne l'ai jamais lu :-). Ma référence serait donc
plutôt le Nosferatu de Murnau. En tout cas, ça commence par une
scène assez inattendue, puisqu'on a droit à un Dracula en pleine forme en
train de trucider des turcs à la pelle à la fin du Moyen-Âge, puis de
pleurer la mort de sa bien-aimée (suite à une fourberie des turcs en
question) et de se rebeller contre Dieu dans une fontaine de sang digne du
Shining de Kubrick. Cette scène donne le ton du film : c'est
spectaculaire (l'armure rouge pétante est même à la limite du mauvais
goût) mais ça ne se limite pas à ça. D'une part, Coppola place ici les
bases de l'histoire d'amour qui sera le centre du film, et par ailleurs,
on est tout de suite frappé par la beauté de la scène. C'est de toute
façon le point fort du film (mais il est énorme !), c'est très très beau
du début à la fin.
La suite reprend l'histoire bien connue : Jonathan Harker, clerc de
notaire à Londres, va faire un tour en Transylvanie pour régler une
affaire immobilière avec un certain Comte Dracula, lequel ne va pas
tarder à se montrer sous son vrai jour et à débarquer en Angleterre pour
s'en prendre à la fiancée de Harker. Un bon point à mon avis de cette
adaptation, c'est de ne pas trop s'attarder dans les Carpathes. On y est
suffisamment pour être impressionné par Oldman en vieux Dracula inquiétant
et pour plaindre le pauvre Harker (quoique, au lit avec Monica Bellucci,
il doit bien s'amuser), et c'est tout. Le reste se passe essentiellement à
Londres, et Coppola va énormément insister tout au long du film sur le
lien Mina-Dracula.
Toute cette partie à Londres est d'ailleurs l'occasion d'introduire une
galerie de personnages assez variée. Dracula lui-même, rajeuni et cheveux
longs, est vraiment magnifiquement interprété par Gary Oldman. Pour le
reste de la distribution, j'avoue être plus mitigé. Winona Ryder est
certes très jolie, mais trop réservée à mon avis par rapport à la
troublante Lucy, qui nous réussit à elle seule des scènes de lit
impressionnantes. Quand au Van Helsing de Hopkins, je le trouve un peu
trop illuminé pour être crédible. Mais c'est toute une part du film qu'il
représente. À côté des scènes aux châteaux (celui de Dracula et celui de
Lucy) qui sont résolument gothiques, il y a des tentatives d'ambiance
beaucoup plus moderne. Par exemple, le personnage de Renfield et plus
généralement tout ce qui se passe à l'asile a une esthétique assez
différente. Est-ce vraiment un mal cependant, dans la mesure où Coppola
réussit à conserver une unité visuelle dans son film, et dans la mesure
où, une fois rentré dans l'atmosphère un peu particulière, on est fasciné
de bout en bout ?
C'est d'ailleurs cette fascination qui permet aussi de ne pas trop
s'offusquer des quelques artifices techniques utilisés de temps à autre.
Bon, l'espèce de fumée verte, passe encore, les effets de caméra à
l'approche du château conservent une certaine efficacité, mais était-on
obligé de donner une dizaine d'apparences différentes à Dracula, à grands
renforts d'effets spéciaux par ailleurs très réussis ? Dans la mesure où
le film n'est justement pas très ancré dans le fantastique, et tente au
contraire (et y parvient !) de nous montrer Dracula sous un jour très
humain dans les rues de Londres, ce n'était certainement pas
indispensable. Ça rend l'histoire d'amour centrale (et c'était pourtant
une bonne idée de la mettre tant en évidence) un peu moins crédible et la
fin peut-être un peu trop grandiloquente.
Une tentative peut-être pas totalement convaincante donc, mais cohérente
dans ses parti-pris, et surtout une ambiance visuelle et sonore (tiens,
oui, je n'avais pas encore dit un mot de la musique, très efficace)
fantastiques qui suffiraient à faire de ce Dracula une grande
oeuvre qu'on a envie de voir et revoir. Et promis, un jour je
m'intéresserai plus au fond qu'à la forme quand je regarde un film :-).
Roupoil, 24 octobre 2004