Il n'y a pas longtemps, un de mes très chers
colocataires a eu la bonne idée de se procurer un coffret DVD Caro-Jeunet.
L'occasion pour moi de me replonger dans la courte carrière en duo de ces
drôles de zouaves (dont l'un est certes devenu assez célèbre par la
suite), que j'avais découverts lors d'une nuit mémorable dans la bonne
vieille salle Dussane de l'ENS (à une époque où il y avait encore des gens
pour organiser une nuit de cinéma avec trois grands films de suite,
souvenirs, souvenirs...). Bref, j'avoue que dans mes brumeux souvenirs
(j'exagère un peu, ça doit faire environ cinq ans), j'avais été fortement
impressionné par la Cité des enfants perdus, mais beaucoup moins
convaincu par leur premire opus. Séance de rattrapage histoire de
confirmer cette impression. Ou pas...
Cette critique fera partie des rares où je ne ferai pas de résumé de
l'intrigue. Ou plutôt si, je le fais : "Dans un futur (?) brumeux où le
rationnement est la règle, un immeuble survit grâce à son boucher qui est
approvisionné régulièrement en locataires frais recrutés via petite
annonce. Le nouveau venu est un drôle de zèbre, ancien clown, qui tombe
sous le charme de la fille du boucher, violoncelliste myope comme une
taupe. Celle-ci fait appel aux troglodistes, drôles de végétariens en
costumes de plongeurs." Bon, en fait je me rends compte en le tapant que
ce résumé n'est pas si mal (bon, c'est normal, c'est le mien), mais il
peut donner une mauvaise idée du film, dont l'intérêt n'est pas tant dans
ce curieux déroulement d'événements que dans la façon dont ils sont mis en
scène.
Car la patte Caro-Jeunet, c'est avant tout un travail extraordinaire sur
l'aspect visuel. On retient bien évidemment les teintes ocres qui dominent
le film et les effets de brouillars autour de l'immeuble, mais cela va
beaucoup plus loin que ça : le moindre plan est soigneusement réfléchi,
les scènes magnifiquement agencées, c'est un plaisir pour les yeux.
L'utilisation des fameuses "tronches" (Pinon dans le rôle principal bien
sûr, mais comment oublier Dreyfus en boucher, et le reste de la
distribution est à la hauteur) ajoute encore à cette ambiance fascinante.
Par ailleurs, les idées de mise en scène sont légion, notamment ces
étonnantes scènes uniquement rythmées par des sons répétitifs. Rien que
pour l'énorme bouffée d'air insufflée dans un cinéma qui a bien du mal à
se renouveler, ce premier opus mérite largement son statut de film culte.
Après, on ne peut pas totalement nier que le film est un peu décousu.
Beaucoup de scènes bluffanyes, mais l'intrigue au fond assez quelconque
(une fois le curieux point de départ assimilé) peine à les lier entre
elles, et par moments on est un peu en train d'attendre le futur moment
fort. Malré tout, cette nouvelle vision m'a nettement plus impresionné que
la précédente. Un style qui ne plaira sûrement pas à tous, mais si vous en
avez marre de voir toujours la même chose sur grand écran, je doute que ce
curieux film ne vous titille pas l'imaginaire.
Roupoil, 27 mars 2007.