Voilà un film qui ne va pas être facile à critiquer. Au
vu de son pourcentage gozu très elevé, vous aurez compris que Dead
man n'est pas vraiment le type de film qu'on regarde d'un oeil
distrait, en devinant un bon quart d'heure à l'avance le déroulement du
scénario. Non, ici, Jarmusch nous entraîne dans une voie différente, celle
de l'odyssée mystique d'un homme dépassé par les événements, dont on ne
saura rapidement plus très bien qui il est vraiment.
Tout commence par un long voyage en train. William Blake (Johnny Depp,
toujours convaincant dans les rôles les plus étranges)y voit défiler une
galerie de portraits qui ne lorgne pas encore trop vers le bizarre, à
l'exception peut-être d'un massacre de bisons par les fenêtres du train.
Il se dirige vers Machine pour y prendre un poste de comptable dans une
usine métallurgique. Mais rien ne se passe comme prévu : un employé de
bureau ricanant le refuse sous prétexte de retard, et le directeur,
étrangement irréel, le chasse carrément à coups de fusil. William va
chercher du réconfort auprès de la belle Thel, qui hélas ne tarde pas à se
faire trucider par son ancien amant, lui-même refroidi par un Blake
transformé en fugitif, avec aux trousses trois redoutables chasseurs de
prime, car l'homme qu'il a eu la maladresse de tuer n'est autre que le
fils de celui qui aurait du devenir son patron.
Jusque là, ça va, à deux ou trois détails étranges près, le film se tient
bien. Ça ne va pas durer... Blake ne tarde pas à croiser un indien
solitaire qui se fait appeler Nobody (Personne) et qui commnece à le faire
douter de sa personnalité (et le spectateur avec !) : il serait en fait
mort, et aurait été de son vivant William Blake, le poète. Il lui faut
maintenant retourner au monde des esprits, avec quelques meurtres à
commettre sur le chemin. On n'est plus sûr de très bien comprendre où
Jarmusch veut en venir, et de fait, on ne tarde pas à laisser tomber toute
tentative de compréhension de cet OFNI (Objet Filmique Non Identifié).
Qu'à cela ne tienne, même si on se retrouve devant une succession de
scènes sans queue ni tête, on accroche quand même. Pas que les scènes
elle-mêmes aient beaucoup plus de sens (non mais franchement, d'où sortent
ces trappeurs (dont Iggy Pop déguisé en bonne femme !?) bouffeurs de
fayots, par exemple ?), mais on est saisi par la beauté formelle du film.
La noir et blanc est vraiment beau, la musique qui accompagne, composée
essentiellement de quelques accords de guitare aux moments opportuns,
colle parfaitement à l'ambiance, et certaines scènes y gagnent un pouvoir
de fascination difficilement explicable (comment expliquer qu'on soit
scotché à l'écran quand un cadavre chauve se fait écraser la tête ?).
Avec cet étrange Dead man, Jarmusch n'a peut-être pas vraiment
réussi le film culte qu'il semble chercher en permanence (ben non, il ne
suffit pas d'aligner n'importe quoi pendant deux heures pour faire un
grand film ; là, on a par moments l'impression de se faire avoir), mais à
défaut parvient souvent à capter l'attention du spectateur et, en fin de
compte, à lui faire suffisament apprécier ce film pour lui donner envie de
le revoir quelques années plus tard, comme ça a été mon cas.
Roupoil, 15 août 2004.