Petit Audiard est devenu grand. en à peine quelques films,
et après un dernier passage à Cannes très remarqué pour son Prophète,
le voila de retour avec rien de moins qu'un statut de grand favori sur la
Croisette. Je n'avais été qu'à moitié convaincu par son opus précédent, mais
difficile d'échapper à celui-ci. d'ailleurs, ça se bousculait aux portes de
la salle quand j'y suis allé (à un horaire pourtant pas surchargé, comme
d'habitude).
Après l'étouffante atmosphère carcérale du Prophète, Audiard reprend
un peu d'air ici, et semble même se laisser aller à un peu de romantisme
en contant l'histoire d'un couple hors-norme, celui formé par Ali, jeune papa
célibataire paumé dont les capacités intellectuelles sont inversement
proportionnées à la taille de ses biceps ; et Stéphanie, dresseuse d'orques
au Marineland qui voit sa vie brisée (et ses jambes coupées) par un dramatique
accident.
Et donc, ils vont s'aimer, se découvrir malgré leurs différences, et à la fin
ils seront heureux et auront beaucoup d'enfants. Hum, non, quand même, c'est
un peu plus compliqué que ça, et on peut rassurer les fans, ça a beau être une
sorte de mélo, Audiard n'abandonne pas pour autant son style sec et presque
brutal. On retrouve même la relative froideur que j'avais déjà constatée dans
ses films précédents, et assez curieusement, celle-ci convient parfaitement
à cette nouvelle histoire. Le récit est suffisamment fort par lui-même pour
qu'il n'y ait pas besoin d'ajouter quoi que ce soit, et cette façon très directe
et sans affect de filmer les choses permet à quelques scènes d'atteindre des
sommets d'intensité vraiment impressionnants (sans trop dévoiler, les
retrouvailles ente Ali et son fils et ce qui s'ensuit vous secouent bien comme
il faut).
Quelque part, Audiarda trouvé un terreau très fertile pour son style là où on
ne l'attendait peut-être pas. Je peux comprendre le gros succès d'estime du
film dès sa sortie, et même les applaudissements cannois, car on ressort de
la séance marqué. Pour autant, je ne crois pas qu'il faille crier au
chef-d'oeuvre (et en ce sens, l'absence de récompense cannoise me parait
normale), car le film souffre encore d'imperfections, et notamment d'une
narration mal maitrisée. Curieux de prétendre avoir un film trop court quand
la projection dure deux heures, mais l'enchainement des péripéties semble
un peu forcée par moments, et surtout certains thèmes sont amenés de manière
franchement peu convaincante. Le dialogue précédant la première fois entre
Ali et Stéphanie, par exemple, est à côté de la plaque, semblant sortir de
nulle part la carte de l'humour décalée (qui n'a absolument pas sa place dans
un tel film) pour contourner la difficulté du thème pourtant essentiel qui
est abordé là. Plus globalement, les dialogues (et au fond le scénario) ne
sont pas à la hauteur de l'image.
On aurait pu espérer également un approfondissement de la psychologie du
personnage d'Ali (Audiard ayant un sacré acteur sous le bras, il fallait en
profiter), qui reste désespérément ras du bitume tout au long du film. C'est
à se demander pourquoi une nana qui n'évoluait au départ pas du tout dans le
même milieu peut s'accrocher à lui. C'est presque du détail, mais c'est tout
de même du détail de fond. Audiard est certainement un grand faiseur d'images,
il n'a peut-être pas encore trouvé le socle qui lui permettra de dépasser le
statut de bon film, ce qu'est indiscutablemet ce De rouille et d'os.
Roupoil, 31 mai 2012.