Vous le savez, je suis généralement plus attiré par les
sorties américaines que par notre cher cinéma hexagonal. Mais il est pour
le coup rarissime que j'aille voir un film francophone qui ne soit pas
français. À vrai dire, ce Bullhead n'est que très partiellement
francophone, c'est un film belge penchant plutôt vers le flamand. Du cinéma
de nos amis mangeurs de frite, on connait le cinéma social façon Dardenne,
et éventuellement des clowneries faisant intervenir un quelconque Poelvoorde
ou Damiens. Là, on en est très loin...
On se réfère plutôt à la grande tradition de films de mafieux si on tente de
résumer l'intrigue. Le héros, après avoir subi un grave traumatisme dans son
enfance, est aujourd'hui un traficant assez prospère. Mais suite à
l'assassinat d'un flic par un de ses fournisseurs potentiels, il se retrouve
confronté à son passé. Ses coups de sang vont le mener au bord du gouffre.
On est chez Scorsese ? Ben non, pas du tout, ici le héros s'appelle Jacky
(je vous épargne le nom de famille), et ça se passe dans le Limbourg, au
fin fond de la campagne belge, à deux pas de la frontière linguistique. Quand
au trafic, il s'agit d'hormones de croissance pour le bétail.
Dit comme ça, évidemment, ça peut sembler moyennement attirant. Si je vous
ajoute le fait que le film cherche aussi à mélanger un peu tout les genres,
ajoutant une histoire d'amour contrariée et un côté plus ou moins humoristique
tendance lourdingue avec une paire de mécanos wallons pas très dégourdis ;
et qu'en plus de tout ça une partie des acteurs sont franchement moyens, on
peut même craindre le pire. Pourtant, le film a fait le voyage jusqu'aux
Oscars, et sincèrement, il le mérite.
Déjà, son acteur principal est phénoménal, et donne à son personnage d'armoire
à glace aux nerfs à fleur de peau une intensité extraordinaire. On en oublie
facilement tout ce qui l'entoure pour se concentrer sur ses réactions, et
même en restant en apparence impassible la majeure partie du temps, son
interprète nous transmet sa sensibilité écorchée de façon fascinante. L'autre
bonne raison de se déplacer, c'est la réalisation étonnante du grand débutant
Michael Roskam. L'ambiance est là, avec ces jolis plans de campagne brumeuse,
et quand le réalisateur tente d'imposer du lyrisme à coups de gros plans
répétés sur le visage de son héros, potentiellement très casse-gueule, ça
marche. Toute la force du film est très bien résumé par son épilogue brutal
(mais prévisible). C'est un peu forcé, ça pourrait être grand-guignol et
ridicule, mais ça dégage une puissance étonnante.
Roskam n'a pas franchement choisi la facilité pour son entrée en lice, mais
il s'en sort avec les honneurs. Pas sûr maintenant que le deuxième film
soit plus facile à faire que le premier pour lui, car les attentes seront
grandes le concernant. S'il arrive à s'éparpiller un peu moins en gardant
toute son énergie concentrée sur son sujet, il peut très rapidement cotoyer
les tout meilleurs.
Roupoil, 19 mars 2012.