Des fois, dans la vie, il y a des films dont on se dit
que si on ne va pas les voir, il y aura une sorte de trou dans notre
culture cinématographique, alors on va les voir, même si on ne se sent pas
super emballés avant la séance (qui a dit "après non plus" ?). La bande
annonce laissait entrevoir de beaux paysages, c'est toujours ça de pris.
Il ne s'agit donc pas, comme nous l'a si bien fait remarquer la critique,
d'un western gay. M'enfin, de loin ça y ressemble pas mal. Deux jeunes
gens vont garder des moutons dans la montagne tout un été. Ils parlent
peu, mangent des haricots, disent du mal de leur employeur, se bourrent la
gueule au whisky, et finissent par s'enculer dans les buissons (enfin,
sous la tente, en fait). Ensuite, ils se quittent et construisent chacun
ce qui ressemble à une vie de famille tranquille. Mais quatre ans après,
ils se voient à nouveau, et soudain, c'est le drame.
Je vais peut-être arrêter là de me foutre de la gueule du film, sinon vous
allez vraiment croire que je ne l'ai pas aimé alors que ce n'est pas le
cas. Disons simplement qu'au bout d'une heure, je m'attendais
effectivement à avoir beaucoup de mal à en dire. Toute la première partie
dans les montagnes est à mon sens très insipide. C'est du western
naturaliste, il ne se passe essentiellement rien (ah si, tout de même, Ang
Lee essaie de nous préparer à la suite à coup de petits symboles
disséminés pas discrètement du tout), et même si les paysages sont
effectivement jolis, on se fait poliment chier.
On en vient même à en craindre le pire quand nos deux héros, qui se sont
découvert des penchants homos entre temps, retournent à la civilisation et
se marient chacun de leur côté. On a très peur de l'overdose de pathos
pour tout le reste du film, et ça commence d'ailleurs un peu comme ça, de
situations clichés en plans très recherchés à la limite du ridicule (je ne
sais plus exactement quand ça se situe, mais celui avec Heath Ledger
debout après avoir tatané la gueule à deux ivrognes à la fête du village
est assez énorme). Heureusement, le film est sauvé pendant ce court moment
de flottement par la présence de ses acteurs, toujours crédibles (que ce
soient les deux rôles principaux où les seconds rôles féminins, tous très
bien).
Et puis paf, à peu près à la moitié du film, par on ne sait quel miracle,
Ang Lee trouve le ton juste, et le film devient superbe. A partir du
moment où nos deux cow-boys se retrouvent après quatre ans de séparation,
en fait. On comprend vite que leurs déboires familiaux ne sont là que pour
accompagner le sujet principal du film, l'analyse de leur relation à trous
et de leur solitude. Et là-dessus, il est d'une justesse étonnante (enfin,
j'imagine, je n'ai pas vraiment eu l'occasion de me retrouver dans une
situation similaire) et réussit dans la deuxième moitié quelques scènes de
pure émotion parfaitement efficaces (ce qu'on attendait depuis le début,
tout de même). Même la petite musique un peu répétitive finit par nous
toucher.
Sur la dernière heure, Ang Lee a parfaitement réussi à atteindre son but :
un grand mélo comme on les aime (le fait qu'il implique deux gays ne
change pas profondément le fond du sujet, à savoir l'amour impossible et
l'éloignement forcé). On en vient même à se dire que la première heure a
permis d'asseoir suffisamment les personnages pour rendre la suite plus
fluide. Mais bon, ça ne me suffit pas à classer ce film comme
chef-d'oeuvre, contrairement à mon amie la critique. Simplement un bon
film, que je ne regrette finalement pas d'avoir vu.
Roupoil, 9 février 2006.