Juste pour vous mettre dans l'ambiance, je tiens à
préciser que j'ai vu pour la première fois ce film au cours d'une soirée «
DVDéprime » avec un copain, juste après le visionnage de Virgin
Suicides. Eh bien, je peux vous dire qu'à côté de Breaking the
waves, ce dernier fait office de remontant. J'ai dit dans mon intro à
ma page web ciné que j'aimais les films déprimants, avec celui-là, au
moins, on est servi.
Quelque part en Europe du Nord (l'Écosse, me dit Google, je veux bien le
croire), dans un village très traditionnel, une jeune femme un peu
dérangée mentalement s'apprête à épouser un étranger qui travaille sur une
plate-forme pétrolière non loin de là. Tout se passe bien, jusqu'au jour
où Jan (le mari) est victime d'un accident qui le laisse à l'état de
légume (physiquement s'entend, car il garde toute sa tête). Il ne tarde
pas à essayer de convaincre Bess (sa femme) d'aller coucher avec d'autre
hommes et de lui raconter ensuite pour entretenir un semblant de proximité
sexuelle.
Bon, au vu d'un scénario pareil, on se demande, d'une part quel zouave a
bien pû avoir l'idée de tourner ce film, et d'autre part ce que peut bien
donner le résultat à l'écran. La réponse à la première question, Lars von
Trier, donne des pistes pour la seconde. Niveau stylistique, ce sera don
hyper-réaliste, caméra tremblotante, pas l'ombre d'un effet de lumière ou
d'une musique sous-jacente. Il faut un peu de temps pour s'habituer, mais
une fois qu'on est dedans, le procédé permet finalement une proximité au
drame assez surprenante. La scène du mariage ressemble ainsi à une vidéo
tournée au camescope par un convive, on s'y croirait.
Du coup, le scénario lui-même passe presque comme une lettre à la poste.
C'est crû, c'est dérangeant assez souvent, mais les personnages sont
tellement humains qu'on s'attache à eux et qu'on suit les péripéties sans
trop se poser de question sur leur vraisemblance. Les acteurs sont tout à
fait dans le bain, Emily Watson en tête, absolument époustouflante dans le
rôle de Bess. Pendant près de trois heures, il n'y a pas une seule
intonation, pas une seule expression du visage qui semble jouée, tout est
tellement naturel et adaptée qu'on a réellement l'impression d'être témoin
direct d'un drame et pas de sa recréation à l'écran.
Bien sûr, les émotions qui submergent le spectateur aux moments forts en
sont décuplées, et je défie quiconque de rester de marbre au moment où
Dodo hurle sa douleur devant le lit de mort de Bess (d'ailleurs, moi-même,
au moment où je tape ces lignes, rien que d'y penser, je me sens beaucoup
moins zen qu'il y a quelques secondes). D'ailleurs, je ne vois pas d'autre
scène dans tout ce que j'ai vu au cinéma qui prenne autant aux tripes que
celle-là.
Au final, je suis bien embêté pour juger un tel film. Ça s'éloigne trop de
ce qu'on a l'habitude de voir pour être jugé selon des critères standard
(mais pas du tout dans le sens de Gozu par exemple, la même histoire
filmée d'une autre façon rentrerait sans problème dans un cadre
classique). D'un côté, je me sens un peu volé car il me manque des
dimensions que j'aime avoir au cinéma (aucune stylisation), et d'un autre,
je me dis qu'un film aussi émouvant et différent doit absolument être vu
pour se faire une idée de ce que peut être un cinéma différent des
standards. Bref, allez le voir et jugez par vous-mêmes.
Roupoil, 27 octobre 2004.