L'un de mes plus beaux ratés de ces dernières années dans
la catégorie grands classiques a été Little big man, le western
habituellement acclamé d'Arthur Penn. Pas rancunier pour deux sous, je
laisse une deuxième chance à ce réalisateur à peine quelques mois après
cette cuisante déconvenue, avec son autre oeuvre mythique, la cronique des
amants criminels Bonnie Parker et Clyde Barrow.
Dans un bled quelconque au milieu de l'Amérique meurtrie du début des
années 30 (meurtrie par la crise économique, pour ceux qui auraient des
trous de mémoire), Bonnie est une gentille allumeuse qui bosse comme
serveuse mais s'ennuie un peu dans son trou. Un beau jour, Clyde, petit
gangster sans envergure, passe devant sa fenêtre et tente de
l'impressionner avec son gros pistolet (non, non, pas de grivoiseries
cachées là-dessous, puisque Clyde n'est pas vraiment du genre bête de
sexe). Chacun de leur côté, ces deux êtres au fond assez pitoyables
n'auraient sûrement jamais défrayé la chroniques. Réunis, ils vont devenir
un couple mythique, provoquant dans tout le pays un mélange de terreur et
d'admiration.
Les couples criminels sont devenus depuis la sortie de Bonnie and
Clyde un filon assez classique au cinéma, mais le film de Penn a le
mérite de l'antériorité sur bien d'autres dans sa catégorie (à commencer
par la plus poétique Balade sauvage de Malick, plus récente de
quelques années). Le spectateur déçu par Little big man que
j'avais été a tout de même été bien content de retrouver le soin appliqué
aux images, avec notamment plein de très belle scènes en extérieur.
D'ailleurs, même au niveau du ton, les deux grands films de Penn ne sont
pas très éloignés : grande liberté et une bonne dose d'ironie, notamment
ici dans l'utilisation d'une musique quasi saugrenue pour ponctuer
quelques moments forts du film.
La différence fondamentale est tout de même que, là où Little big
man brodait une pure fiction délirante et assez déroutante, ce
film-ci est bien obligé, par son sujet, de coller un minimum à la vérité
historique. Alors, même si les changements de ton de Penn peuvent
continuer à désorienter, ils ont le mérite d'éclairer ce fait divers sous
tout un tas d'angles différents, que le spectateur est invité à explorer à
sa guise : histoire d'amour passionnée mais perturbée par les
insuffisances de Clyde (pas l'aspect le plus réussi à mon gout), violence
brute (bien rendue, on se croirait presque chez Peckinpah par moments) et
de façon peut-être moins attendue une insistance discrète sur le côté
"inéluctable gâchis" de toute l'histoire. Au fond, les gangsters dépeints
par Penn sont loin d'être antipathiques (de toute la bande, c'est celle
qui ne voudrait pas être mêlée à tout ça, la belle-soeur de Clyde, qu'on a
en permanence envie de baffer), et ne semblent être devenus de vrais
truands que par le biais quasi aléatoire de l'ambition de Bonnie de sortir
de son trou (et son amour pour Clyde) et maladresse du pauvre bougre
qu'ils récupèrent rapidement (celle qui entraine le premier meurtre).
D'ailleurs, personne ne semble très conscient de la gravité de ce qui se
passe, et seule Bonnie, sur la fin, semble regretter que la troupe fonce
droit vers un destin tragique.
Il y a indiscutabelemtn de quoi réfléchir sur ce thème passionnant. Penn
préfère manifestement nous laisser libres de mener cette réflexion à notre
guise plutôt que de forcer nos sentiments ce que je regrette au fond un
peu (il n'y a pas vraiment de scènes extrêmement frappantes dans le film).
Mais son film reste une oeuvre très maitrisée, et cette fois-ci,
intéressante de bout en bout.
Roupoil, 22 février 2009.