Ah, ce sacré David. En rejetant un oeil à sa
filmographie après avoir vu le film que je m'en vais vous critiquer
ci-dessous, je me disais "Tout de même, quelle drôle de carrière. Voilà un
gars qui, après un premier film de malade (il faut que je vois un jour,
tiens), a enchainé avec un classique en noir et blanc, une adaptation d'un
classique de la SF, puis qui est revenu à du cinéma plus expérimental tout
en insérant Une Histoire vraie au milieu ! Pour aujourd'hui,
attardons-nous sur un film qui a beaucoup fait pour sa réputation de
réalisateur bizarre mais génial.
Dans un bled paumé des Etats-Unis comme il en existe tant, Jeffrey est
obligé d'interrompre la fac et de reprendre un petit boulot suite à
l'accident d'arrosage de son père. Lors d'une ballade, il ramasse une
oreille. Avec l'aide d'une charamante lycéenne qui n'est autre que la
fille de l'inspecteur local, il mène l'enquête, qui ne va pas tarder à
l'introduire dans l'univers étrange de Dorothy Vallens, chanteuse de
cabaret qui a bien des soucis avec les vilains du coin. La vie de Jeffrey
va soudain devenir beaucoup moins tranquille.
De loin, le scnéario n'a rien de très original, une histoire vue et revue
d'innocent qui drague une naïve tout en mêlant son nez dans des
machinations tout à fait standard pour le premier polar venu. Ce qui fait
tout, évidemment, c'est le traitement de Lynch. Je ne parle pas du sexe ou
de la violence qui ont pu choquer le bourgeois quand le film est sorti,
car ça parait assez anodin de nos jours, juste de quoi pimenter un peu le
tout.
Non, ce qui est fascinant dans ce film, c'est la façon qu'a Lynch de
détourner les genres, un peu à la manière, finalement, de ce que font
souvent les frères Coen dans leurs films, mais en plus franchement
déroutant. La romance nunuche est traitée trop sérieusement pour ne pas y
voir une pointe d'ironie (la description de la petite ville est criante de
vérité à peine exagérée), mais le côté noir du film part carrément en
cacahouète. Il n'y a pas vraiment de résolution de l'enquête (Jeffrey
devine tout sans problème, les éléments viennent se mettre sous son nez
!) et les vilains sont grotesques à souhait (sacré personnage de Frank).
On a donc plutôt une suite de scènes tantôt franchement délirantes tantôt
plus sérieuses (avec une pointe d'humour assez inattendue par moments, on
retiendra quelques répliques mythiques), qui ne sont pas toutes du même
intérêt, mais qui donnent un tout très intéressant.
Bien sûr, quand on a vu la suite de la carrière de Lynch, on ne peut
s'empêcher de voir ici une sorte de galop d'essai avant de passer à
carrément plus étrange et de destructurer le récit (ici, c'est sobrement
linéaire), mais ça reste un film très maitrisé (niveau caméra, c'est
impeccable du début à la fin) devant lequel on ne s'ennuie pas. Un joli
jalon.
Roupoil, 26 août 2008.