Certains l'ont peut-être oublié, mais avant de devenir
des auteurs reconnus et de verser dans un cinéma plus consensuel, les
frères Coen ont commencé en purs cinéastes indépendants avec des oeuvres
très personnelles. Je ne parle pas de The big Lebowski mais bien
de leurs premiers films, une petite dizaine d'années auparavant, au rang
desquels Barton Fink tient une place de choix puisque c'est son
succès, à Cannes notamment, qui a servi de tremplin à la carrière des
frangins.
Barton Fink est un auteur de théâtre ambitieux et stressé, militant pour
un théâtre populaire, qui obtient ses premiers succès sur la scène
new-yorkaise. Son éditeur le convainc de faire un tour par la case
Hollywood pour se faire un nom et de l'argent avant de revenir au théâtre.
Il débarque en Californie dans un monde étrange qui lui convient peu.
Recruté pour un scénario de film de lutte, il se retrouve face à
l'angoisse de la page blanche dans son hôtel miteux. Mais son voisin
Charlie est là pour le soutenir.
Difficile de classer ce film. Ca commence comme une brillante analyse du
statut d'écrivain engagé, ça passe par une comédie loufoque sur le
microcosme du cinéma d'alors (années 40) et ça se finit en thriller
fantastique, le tout dans atmosphère constamment étrange. Inévitablement,
un nom vient à l'esprit : David Lynch. Les frères Coen partagent avec le
maitre cette capacité à insinuer via de subtils détails un sentiment de
malaise dans les scènes les plus anodines. On a en permanence l'impression
qu'il y a des choses à voir au-delà de ce qui nous est montré. La
réalisation impeccable ajoute encore à la fascination, qui constitue une
grande part de l'intérêt du film.
Ceci dit, contrairement à un Lynch, les Coen disposent d'un scénario
construit et assez linéaire. A la limite, j'ai presque envie de dire que
c'est la faiblesse du film. En se raccrochant à cette histoire, les Coen
nous livrent certes des moments de réflexion passionnants, mais atténuent
involontairement le côté bric-à-brac génial du film. En hésitant à
s'accrocher au rationnel ou à se laisser emporter par l'étrange, le
spectateur finit par moments par ne plus trop savoir où se mettre.
Certains resteront sûrement de ce fait perplexes devant ce film, mais ceux
qui aiment se plonger dans un univers décalé trouveront là matière à se
délecter. Je regrette tout de même un peu que les Coen se soient éloignés
de ce style où je suis certain qu'ils auraient pu faire encore mieux.
Roupoil, 27 juillet 2006.