Allez hop, encore une petite critique de Kubrick (qui,
comme vous l'aurez peut-être constaté, est un de mes cinéastes préférés)
pour la route. Pour aujourd'hui, dans la famille des genres
cinématographiques magnifiés par le grand Stanley, je demande la fresque
historiques. Pas forcément le Kubrick le plus souvent cité, et pourtant,
ce film a de quoi marquer les mémoires...
Ascension et décadence de Redmond Barry, petit bourgeois irlandais qui
finira joueur de cartes professionnel après un passage dans le gratin de
l'aristocratie. C'est un peu une histoire à la Umberto Eco qui nous est
contée ici, sauf que l'Histoire, avec une majuscule, ne sert vraiment que
de toile de fond aux aventures de Barry, et qu'elle n'est que fort peu
éclairée par ce qu'on voit à l'écran (ne comptez pas en apprendre beaucoup
sur la Guerre de Sept ans en regardant le film). Tout commence fort
modestement, mais les hasards et circonstances (et le tempérament du
personnage principal) vont rapidement mêler le jeune Redmond à des
événements dont il n'a pas grand chose à faire, mais dont il saura fort
bien profiter.
Ce qui frappe toujours quand on voit (ou revoit) Barry Lyndon,
c'est bien sûr l'incroyable beauté du film. On a beau être prévenu, les
extérieurs filmés par Kubrick sont bluffants et font partie des plus
belles images que le cinéma nous ait jamais offerts. On a l'impression
d'une suite de tableaux (les ciels sont incroyables, il fallait bien la
patience d'un Kubrick pour mettre en boîte des images pareilles), c'est à
la fois fascinant et déconcertant, car Kubrick insiste vraiment beaucoup
dans cette direction. Tout le film est extrêmement contemplatif, la caméra
est d'une grande précision, mais la façon de filmer est parfois à la
limite de virer au procédé systématique (les zooms arrière en permanence,
ça finit par se voir), c'est un poil agaçant. Bien sûr, ça implique une
certaine lenteur dans la narration, parfaitement assumée. En gros, je suis
en train de prévenir les personnes qui aiment les films qui bougent en
permanence qu'ils risquent de s'emmerder devant Barry Lyndon.
Ce n'est pas faute de rebondissements et de choses à raconter, pourtant,
mais la narration est volontairement très posée, avec cette voix off très
flegmatique mais excellent pour peu qu'on aime l'ironie subtile. C'est
peut-être un peu dommage dans la mesure où, quand ça se lâche un peu (la
bagarre dans le salon, par exemple), on entrevoit ce qu'aurait pu être le
film avec un peu plus de mouvement (ce qui, personnellement, ne m'aurait
pas déplu), mais une fois le parti pris accepté, il faut bien admettre
qu'on tient là une fort belle oeuvre, à ranger sans honte auprès des
autres chefs-d'oeuvre de Kubrick. Encore une fois, la musique génialement
utilisée contribue grandement à rendre un certain nombre de scènes
inoubliables, et réciproquement, le film a grandement contribué à la
renommée de quelques airs qui y sont repris (en premier lieu le trio de
Schubert et le Sarabande d'Händel, bien entendu).
Bien qu'on ait par moments plus l'impression d'être dans un musée que
dans une salle obscure, Barry Lyndon reste, par son incroyable
beauté plastique, un film nécessaire et unique, comme savait si bien les
faire Stanley Kubrick.
Roupoil, 6 mai 2005.