Encore du Burton ? Eh oui, le bonhomme est assez
prolifique en ce moment, et son dernier projet ne pouvait manquer de
créer plus que de la curiosité : Alice aux pays des merveilles,
le chef-d'oeuvre de fantaisie de Lewis Carroll, adapté ou plutôt
réadapté (après une première version qui constitue encore à ce jour l'un
des Disney les plus attachants et originaux) à la sauce Burton, avec
toute son équipe de fidèles pour l'épauler.
Plutôt que de refaire un Alice fidèle à l'original en se contentant d'y
intégrer de vrais acteurs, les scénaristes ont préféré trousser une
sorte de suite qui n'est en fait qu'un décalque des premières aventures
d'Alice, désormais adulte. Fuyant un soupirant qui ne lui plait guère
(il faut dire qu'il est un peu trop rouquin pour être totalement
fréquentable), elle tombe une nouvelle fois dans un trou qui l'emmène
sous terre, dans ce drôle de monde aux lapins blancs à redingote, où on
change de taille en buvant une gorgée, et où la Dame rouge fait subir un
enfer à une bonne majorité de ses sujets. On attend d'elle qu'elle sauve
le monde en terrassant le vilain Jabberwocky, mais elle semble tellement
perdue que tout le monde se demande s'il n'y a pas eu erreur sur la
personne.
De fait, cette astuce scénaristique est un assez faible prétexte,
puisqu'on retrouve tout de même dans le film tous les personnages du
bouquin (et du dessin animé), dans des rôles qui n'ont pas changé un
poil. Tous ? Presque. Car si tous les personnages sont bel et bien là,
deux habitants du monde de Carroll manquent tout de même cruellement à
l'appel : l'humour et la fantaisie. De fantaisie, on n'a que l'ersatz
que représente l'heroic fantasy à laquelle on a tenté un peu
maladroitement de mélanger le monde d'Alice, qui est tout de même un peu
plus subtil qu'un simple blanc/rouge manichéen où une épée magique
permet de tataner les méchants presque sans effort. Quant à l'humour,
c'est un désastre totalles scénaristes n'ayant apparemment pas saisi par
exemple que faire faire absolument n'importe quoi au lièvre de Mars ne
suffirait pas à le rendre hilarant. La logique de l'absurde est quelque
chose d'affreusement délicat à manier, et Lewis Carroll était passé
maitre en la matière. Ses successeurs de 2010 font très pâle figure en
comparaison.
À défaut de merveilles, on doit donc se contenter de suivre une intrigue
au fond très linéaire et surtout assez soporifique (pas une scène où on
tente de ménager un réel suspense ou créer une once d'émotion), dont les
seuls rares moments plaisants sont ceux où on découvre un décor amusant
(un bon point tout de même pour les images de synthèse réussies ; on
n'en dira pas autant de la 3D pas du tout exploitée) ou redécouvre un
personnage légendaire. Les acteurs font leur numéro de manière plus ou
moins convaincante (Alice est à peu près aussi jolie et lisse que
l'esthétique du film), mais à aucun moment le film n'arrive à fasciner.
Autant que la déception est à la hauteur des grandes attentes que
j'avais pour ce film. J'ose espérer que Burton s'est seulement laissé
bouffer par les exigences de Disney pour pondre un aussi mauvais opus,
et qu'il s'est contenté de soigner l'ethétique de façon assez efficace
(même la musique d'Elfman, qui commence à sérieusement se répéter, n'est
pas à la hauteur de ses autres collaborations avec Burton). Il nous a
concocté ici un gâteau fort coloré, dont l'aspect apétissant faisait
saliver d'avance. Hélas, une fois la friandise avalée, et l'absence
totale de goût constatée, ne reste plus que le regret de s'être laissé
arnaquer en beauté.
Roupoil, 6 avril 2010.