Le jour où j'arrêterai de commencer toutes mes critiques
par "c'est le premier film de cet auteur que je vois", mes lecteurs auront
peut-être plus de raisons de penser que je ne suis pas un guignol qui
écrit sur des choses qu'il ne connait pas :-). Mais bon, il faut une
première fois pour tout dans la vie, voici venue l'heure de mon premier
Cronenberg (oui, ça fait un peu mal sur le coup, mais c'est bon quand
même).
Ceux qui ont vu ne serait-ce que la bande annonce du film savent de quoi
il retourne. Pas de grande Histoire au programme malgré le titre un poil
grandiloquent, mais simplement celle d'une famille dans un bled paumé de
l'Indiana, qui va basculer de façon inattendue dans la violence. Tom Stall
flingue un jour avec une efficacité redoutable deux malfrats pour protéger
les employés de son petit restaurant. Cela attire chez lui des
journalistes en quête de sensationnel, mais aussi de drôles de types qui
semblent le prendre pour un truand accompli. Tom est-il vraiment celui
qu'il prétend être ?
Après une mise en place un brin laborieuse (la gentille petite famille
américaine en train de prendre son petit déj, d'accord, ça pose le décor,
mais la scène elle-même a déjà été vue dans un petit millier de séries
télé), l'intrigue se met réellement en place et, si elle n'a au premier
abord rien de sensationnel (d'autant plus que le déroulement lobal est
assez prévisible), elle captive malgré tout, grace à l'art qu'a Cronenberg
de créer une tension insoutenable en plaçant des explosions de violence
attendues, mais qui ne se déroulent jamais exactement comme on s'y
attendait, et injectent dans le film une intensité incroyable
(honnêtement, je n'ai pas souvenir d'avoir déjà vu au cinéma des scènes de
flinguage à tout va aussi bien foutues). Pas de doute, Cronenberg maîtrise
totalement sa caméra et ses effets.
Ce qui est peut-être un peu moins convainquant (et empêche à mon sens le
film d'atteindre vraiment le statut d'oeuvre incontournable), c'est tout
de même le déroulement global de l'intrigue. Tout cela est tellement bien
huilé et la progression tellement finement orchestrée que ça en devient un
brin mécanique et artificiel. La démonstration est réussie, mais un peu
trop théorique. Je pense notamment aux scènes où le fils de Tom bastonne
un de ses camarades au lycée (scènes au lycée qui, d'ailleurs, tout comme
celles de vie de famille, ne sont pas parmi les plus originales), puis se
prend une baffe de son père dix secondes après qu'il ait dit "Chez nous,
on ne résoud rien par la violence", bon, c'est un peu facile. Plus
curieux, une fois que l'inarrêtable ascension dans la violence a mené à
une dernière partie qui n'est pas la plus réussie, le film se conclut dans
une sorte d'impasse qui me laisse un peu sceptique (je ne prétend pas
qu'une fin moins ouverte eut été préférable, ceci dit, mais ça fait un
effet bizarre).
Finalement, le film repose énormément sur le talent derrière la caméra de
Cronenberg, qui filme tout (y compris les scènes de cul, qui sont
d'ailleurs relativement inutiles) en virtuose, et transforme ce qui aurait
pu être un film lourdaud dans les mains d'un autre réalisateur en bon
moment de cinéma. Peut-être pas le film incontournable sur la violence
qu'il aurait souhaité (quoique, techniquement parlant, le traitement de la
violence fera sûrement date), mais une des valeurs sûres de cet automne.
Roupoil, 19 novembre 2005.