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Histoire et mémoire en Pologne

§ … et Décadence (1696–1795) ? §

La République sous tutelle (1697-1764)

L'élection de deux rois, en 1697, fut suivie de troubles, jusqu'à ce que la Diète pacificatrice de 1699 marque le succès du roi de Saxe Auguste II. Les Turcs lui restituèrent la Podolie (1699), mais la constitution d'une vaste coalition anti-suédoise tourna au désastre. La Pologne fut envahie en 1702, puis les Suédois installèrent Stanislas Leszczyński sur le trône (1704). Auguste II abdiqua même en 1706, avant de retrouver le pouvoir à la suite des victoires Russes (bataille de Poltawa, 1709). Pour protester contre les excès des troupes saxonnes stationnées en Pologne, les Confédérés de Tarnogród prirent alors les armes (1715). Sollicité comme arbitre, le tsar envoya ses troupes à Varsovie.

La «Diète muette» (1717) mit alors fin à quinze ans de désordres. En réduisant les effectifs de l'armée à 12-14.000 hommes, elle faisait le jeu des Russes. Mais elle introduisait aussi des réformes réclamées de longue date. Cette armée serait ainsi entretenue par les biens du roi, du clergé et, ce qui était nouveau, de la noblesse. Les magnats se voyaient ainsi retirer l'administration des fonds militaires. Ces mesures permirent un retour à la paix intérieure. Après des années de guerre, l'économie connut un net redressement.

Cette diète illustrait la mise sous tutelle du pays. En 1720, la Prusse et la Russie s'entendirent à Potsdam pour garantir les libertés nobiliaires qui rendaient la République impuissante. Comme le prévoyait le «traité des trois aigles noirs» de 1732, la Russie, la Prusse et l'Autriche violèrent ouvertement la souveraineté polonaise lors des élections de 1733. Stanislas Leszczyński y obtint la majorité des votes, mais la Guerre de succession de Pologne (1734-1735) l'écarta au profit du roi de Saxe Auguste III, candidat des puissances.  De plus en plus dépendante de Moscou, la République resta neutre lors des Guerre de succession d'Autriche (1740-1748) et de Sept Ans (1756-1763), alors que la conquête de la Silésie par la Prusse créait une menace d'encerclement. Pire, on ne fit rien pour empêcher les armées des pays voisins de traverser régulièrement le pays.

En effet, la guerre nordique avait donné lieu à des conclusions paradoxales. Le maintien du statu quo territorial était perçu comme une marque de protection divine. On pensait que le pacifisme serait le meilleur garant de l'intégrité du pays. Loin de s'effrayer du rôle des puissances, les magnats n'hésitaient pas à leur faire appel pour imposer leurs intérêts. La petite noblesse sarmate, elle, bornait de plus en plus son horizon aux affaires locales, ce dont témoignait la multiplication des procès de bornage. Dès lors, on ne se rendit pas compte des effets produits par la propagande des voisins, qui payaient des auteurs prestigieux comme Voltaire pour diffuser l'image, fort déformée, d'un pays arriéré et fanatique. Au contraire, on idéalisait le régime et de la «liberté dorée», célébrée jusqu'à l'excès, comme le prouvait le proverbe «la Pologne tient par son anarchie».

De ce fait, les magnats pouvaient régulièrement mobiliser leur clientèle pour défendre des libertés dont ils étaient les principaux bénéficiaires. La paralysie du pouvoir central était patente : le liberum veto était utilisé pour bloquer toute réforme. Il suffisait que le client d'un clan s'oppose à une loi pour la bloquer. En offrant de larges subsides aux magnats, les puissances voisines y trouvaient aussi un moyen commode de prolonger la paralysie du pays. 13 des 14 diètes réunies sous Auguste III se séparèrent sans avoir rien voté…

Échec des Réformes et Partages (1764-1795)

En 1764, la noblesse élut, sous bonne garde russe, Stanislas Auguste Poniatowski (1664), ancien amant de la tsarine Catherine II. Celui-ci se montra beaucoup moins docile que prévu. Il put s'appuyer sur l'émergence d'un courant nobiliaire, issu des loges maçonniques ou des écoles piaristes, qui voyait dans la diffusion des idéaux des Lumières les bases d'un redressement. Ces velléités se heurtèrent à une réaction décidée. En 1766, la Prusse contraignit la diète confédérée qui siégeait depuis 1764 à se dissoudre. Comme la protection des dissidents religieux leur donnait un prétexte d'intervention commode, Prussiens et Russes imposèrent ensuite l'octroi de l'égalité de droits aux protestants et aux orthodoxes (diète de Rzepninów, 1767).

La confédération de Bar (1768) s'opposa à ces mesures. Elle défendait la position prédominante du catholicisme et s'opposait à la présence des troupes russes, qui mirent trois ans avant de venir à bout du mouvement avec l'appui des troupes royales. Les Russes comprirent alors que la Pologne pouvait leur échapper : la protection russe n'avait plus l'attrait de jadis, puisque l'ambassadeur n'avait pas pu constituer de contre-confédération. De plus, les clients russes, Stanislas Auguste et les Czartorycki en tête, avaient tenté de jouer leur propre carte. Moscou devait donc obtenir le soutien des voisins, ce qui passait par un partage de la Pologne-Lituanie, conclu en 1772 avec la Prusse et l'Autriche. Il amputait la République de près de 210.000 km2.

Les partages renforcèrent paradoxalement les réformateurs : le redressement devenait urgent. Exploitant au maximum leur marge de manoeuvre, ils poursuivirent les réformes entreprises dans les années 1760 (création d'une école des cadets, d'un hôtel des monnaies). En 1773, les fonds issus de la dissolution des jésuites financèrent une Commission de l'Éducation Nationale qui modernisa le système scolaire. Les manuels furent rédigés par des spécialistes européens (Dupont de Nemours, Condillac). Le latin recula au profit du polonais et des sciences. Les universités de Cracovie et de Wilno couronnaient un système qui forma une intelligentsia issue surtout de la noblesse sans terre.

Les réformateurs profitèrent de la guerre russo-turque de 1787-1791 pour réunir une diète confédérée, ce qui voulait dire que le liberum veto était suspendu et les décision prises à la majorité. Elle augmenta les effectifs de l'armée puis vota la première constitution européenne le 3 mai 1791. Dès la fin de la guerre turque, Catherine II suscita cependant la confédération de Targowica (1792), qui fit appel aux troupes russes. Celles-ci qui défirent sans difficulté l'armée polonaise. L'année suivante, Prussiens et Russes se partagèrent une nouvelle fois la République, réduite à 210.000 km2. La France était l'autre bénéficiaire de l'opération, car les Prussiens avaient retiré des troupes du front français.

La République était désormais un strict protectorat russe, en pleine crise économique à cause de la désorganisation du marché intérieur. La radicalisation de la société suscita un soulèvement, lancé depuis Cracovie par Tadeusz Kościuszko. Ses succès initiaux ne renversèrent pas suffisamment un rapport de force favorable aux Russes et aux Prussiens. Malgré l'appel de Kościuszko aux serfs et l'engagement de certains Juifs, les insurgés purent surtout compter sur la petite noblesse et la population de Varsovie, Cracovie et Wilno. Le soulèvement prit fin à l'automne 1794 (bataille de Maciejowice (octobre), massacre de Praga (novembre)). Les vainqueurs, rejoints par l'Autriche, procédèrent alors au Troisième Partage de la Pologne-Lituanie, rayant ainsi le pays de la carte.

Bibliographie