manilius
En résumé, le but de la science est partout identique, connaître les conditions matérielles des phénomènes. Mais si ce but est le même dans les sciences physico-chimiques et dans les sciences biologiques, il est beaucoup plus difficile à atteindre dans les dernières, à cause de la mobilité et de la complexité des phénomènes qu'on y rencontre

Claude BERNARD


Table des Matières
Textes complémentaires

I. Biologie moléculaire et physico-chimie des macromolécules

Mes connaissances en biologie moléculaire étaient très rudimentaires. C'est en suivant les séminaires hebdomadaires du laboratoire et par mes nombreuses lectures, en parallèle avec le déroulement des expériences qui m'étaient confiées, que je commençai à discerner les thèmes les plus importants de la biologie. A mon entrée à l'Institut de Biologie Physico-Chimique (IBPC) mon sujet de recherche n'était pas clairement défini. Il s'agissait de m'initier à la biochimie de la synthèse des protéines in vitro. Il me fallait d'abord apprendre à manipuler les objets biologiques : marquages radioactifs, chromatographie, spectroscopie... Mon orientation immédiate découla des conditions de ce premier contact avec la recherche. Il me fallut plusieurs années d'un long travail sur les objets de la biologie pour enfin parvenir à ce qui répondait à mon attente, l'étude des relations entre ces objets, cette manifestation de l'information qui constitue le cœur réel de l'organisation du vivant.

A. Physico-chimie de l'ARN de transfert

Peu après mon entrée au service de Biochimie, Mildred Cohn, mondialement connue pour son étude des macromolécules par Résonance Magnétique Nucléaire, arrivait pour une année sabbatique. Il était  naturel d'utiliser mes connaissances en physique en me faisant travailler sous sa direction. C'est ainsi que je commençai l'étude de l'ARN de transfert au moyen de sondes paramagnétiques. Je partageai mon temps entre l'IBPC où je préparais l'ARN, et le Muséum d'Histoire Naturelle où Marius Ptak et Claude Hélène exploitaient un spectromètre de RMN aux humeurs fantaisistes. Je bénéficiai là de leurs conseils et de leurs explications. Mildred Cohn pour sa part prit grand soin de me faire comprendre les particularités des méthodes physiques appliquées au matériel biologique. Je terminai heureusement assez vite mon travail de DEA en mathématiques (Marcel Brelot, Théorie Classique du Potentiel, à l'Institut Henri Poincaré) car il me fallait tout apprendre.

Ma thèse de troisième cycle, soutenue fin 1967, traitait des interactions de l'ARNt et des ions paramagnétiques utilisés comme sondes locales pour analyser la conformation de la molécule. Afin de poursuivre cette étude, il fallait disposer d'un spectromètre plus élaboré dans lequel on pût faire varier le champ magnétique (mais aussi la température et divers paramètres physiques). Ce spectromètre n'existait pas en France, et l'un d'eux se trouvait en construction à la Bell Telephone Company aux États-Unis. Je devais donc y aller. Mais il apparut bientôt qu'un des maîtres d'œuvre de cette construction, Maurice Guéron, revenait en France à l'École Polytechnique et qu'il était donc préférable que je commence ma thèse de doctorat d'État avec lui, sous la présidence de Pierre-Gilles de Gennes. D'une façon inhabituelle il se trouvait que le centre intellectuel et technologique d'une recherche de haut niveau se trouvait en France et non aux États-Unis. Aussi je choisis de rester en France. Je le fis d'autant plus facilement que j'avais été formé pendant plus d'une année par une chercheuse américaine.

J'entrai ainsi au laboratoire de Physique du Solide de l'École Polytechnique, dirigé par l'un des "pères" d'une technique révolutionnaire de la résonance magnétique nucléaire, Ionel Solomon (les équations de Bloembergen-Solomon sont à la base des techniques multidimensionnelles les plus modernes de la RMN). La tâche initiale qui m'attendait là me surprit quelque peu : il n'était pas question de biologie, mais de physique et d'électronique. Je devais avec Maurice Guéron construire un spectromètre de RMN à champ variable à impulsions. Il me fallut près d'un an pour le mettre complètement au point : mettre en place d'abord le système de détection du signal, avec un amplificateur à gain élevé et à très bas bruit, et ensuite, construire la logique électronique permettant d'engendrer les séquences d'impulsions qui nous permettraient plus tard d'étudier la relaxation des protons dont le moment magnétique aurait été, un instant, soumis à un champ magnétique variable intense (c'est là la base des techniques actuelles de RMN 2D, 3D, etc.). Au laboratoire PMC (Physique de la Matière Condensée) j'appris beaucoup de physique et d'électronique, et j'ai certainement tiré un grand profit des longues discussions avec M. Guéron, mais aussi avec les physiciens du solide, qui m'ont fait voir des aspects inconnus de la matière et m'ont fait comprendre l'importance du rôle de l'environnement microscopique des macromolécules.

En parallèle je restais en contact avec la biologie au cours des brefs séjours que je faisais rue Pierre et Marie Curie pour préparer des échantillons d'ARN de transfert aussi homogènes que possible. Enfin, j'ai pu commencer mes expériences sur l'ARN de transfert. Cela se traduisit par la collecte de plusieurs milliers de mesures de temps de relaxation longitudinal des protons (avec, bien sûr, tous les problèmes techniques possibles, dus à l'électronique perturbée par toutes sortes de signaux, et même le passage du métro !, à l'instabilité des systèmes de régulation des températures, à l'instabilité des échantillons biologiques etc., tout ce qui fait une bonne initiation - au sens africain - à la recherche).

Pourquoi tant de mesures, un appareillage aussi complexe (et je n'ai pas mentionné la résonance paramagnétique électronique, réalisée dans le laboratoire de Pierre Douzou...) pour l'étude d'une macromolécule ? Il faut ici rappeler la situation de l'époque, elle est exemplaire à plus d'un titre. En 1966 le code génétique venait d'être établi et l'hypothèse de l'adaptateur, faite par Crick en 1958, s'était concrétisée par la découverte des molécules d'ARN de transfert. Aussi l'étude structurale des molécules d'ARNt était-elle particulièrement opportune. Deux aspects complémentaires se voyaient favorisés : d'une part la recherche de cristaux d'ARNt pour parvenir à en résoudre la structure par diffraction des rayons X, d'autre part l'analyse de leur conformation en solution par des techniques physiques, chimiques et biochimiques. On attendait de mon travail que je puisse donner quelques éléments de la structure spatiale de la molécule, en les reliant à la structure secondaire en "feuille de trèfle" proposée par Holley. Et l'outil qu'on me donnait pour faire cette étude était l'ion manganèse, paramagnétique, qui devait me permettre de sonder la molécule.

Le premier résultat que j'obtinsODV - principalement par l'étude de la relaxation des protons en présence du manganèse, mais aussi par des expériences de modification chimique - fut que la molécule n'est pas rigide, et qu'elle est constituée de deux moitiés sensiblement égales qui se meuvent l'une par rapport à l'autre. Je présentai ce résultat lors d'un atelier de l'EMBO à Cambridge en Angleterre, puis à une Gordon Conference sur les acides nucléiques aux États-Unis. Mes observations sur la liaison des métaux divalents sur l'ARN de transfert furent bien accueillies, mais je ne réussis pas à emporter l'adhésion à propos de la mobilité de la molécule. En effet, le consensus de l'époque était que l'"adaptateur" ne pouvait être qu'une molécule rigide. Aussi mes résultats, qui démontraient le contraire, furent ignorés. Pourtant à ma grande satisfaction, la flexibilité de la molécule de l'ARN de transfert a été redécouverte cinq ans après ma thèse par d'autres méthodes physiques, et en 1980 par la technique de diffraction des rayons X. Elle est aujourd'hui bien acceptée et les travaux correspondants sont de temps en temps encore cités.

Corrélés à une analyse de modifications chimiques de la molécule d'ARNt mes expériences montrèrent que la flexibilité de la molécule est déterminée par l'état de la boucle dihydro-uridine. L'analyse thermodynamique de la dégradation de la molécule par la polynucléotide phosphorylase, enzyme fétiche du laboratoire, montra en outre qu'il existe des contraintes entropiques particulières définissant un ensemble de conformations possibles, toutes organisées à partir d'un seul centre de nucléation. Ces résultats ont été confirmés quelques années plus tard par le rôle particulier de la boucle dihydro-uridine dans la structure de la molécule. On sait désormais comment sont mises en place les molécules d'ARNt au cours de la synthèse des protéines sur le ribosome et, en particulier, comment l'anticodon change de structure au cours de l'étape d'allongement de la chaîne polypeptidique. La dynamique que je postulais alors montrait comment la structure de l'anticodon pouvait être stabilisée dans une forme ou dans l'autre en fonction de la conformation de la molécule autour de la boucle dihydro-uridine. Dans la mesure où il me faudrait peut-être encore continuer pour un temps à m'intéresser à l'ARNt je choisis d'en étudier les mécanismes de dénaturation, ce qui me permettrait peut-être de comprendre certains aspects de la dynamique de la molécule. L'ARNt spécifique du tryptophane semblait être un excellent objet d'étude, d'autant plus que Hirsh avait montré - ce qui était remarquablement en accord avec mes observations et les hypothèses qui s'y rapportaient - qu'un mutant suppresseur de l'ARNtTrp était altéré dans une base située dans le bras dihydro uridine et non dans l'anticodon. J'espérais que par ce biais je pourrais commencer à aborder un problème central qui me tenait à cœur, celui de l'existence d'une ponctuation secondaire de l'expression génétique (voir plus bas). En effet, le codon UGA joue un rôle particulier en ce sens qu'il est, dans des contextes appropriés (par exemple à la fin du gène de la protéine de capside chez le phage Qβ), reconnu comme un codon traduisible et non comme un codon de terminaison. Cela laisse supposer qu'il puisse jouer un rôle important dans certaines régulations. L'étude de la suppression pourrait donc être un moyen intéressant d'aborder cette question.

Deux autres résultats sont issus de mon travail de thèse. Un résultat technique, d'abord. L'usage du manganèse comme sonde locale des mouvements d'une molécule était alors très répandu. L'interprétation des mesures des temps de relaxation des protons qui se trouvent au voisinage de l'atome de manganèse repose sur la valeur d'un "temps de corrélation" τc spécifique du manganèse dans l'environnement considéré. Or temps de corrélation τc possède trois composantes principales dont deux seulement renseignent sur le site de liaison du manganèse : τr mesure la dynamique conformationnelle locale et τh l'échange des protons considérés avec les protons analogues de la solution; le troisième, τs, est une caractéristique intrinsèque des électrons d du manganèse, dans un champ magnétique donné.

La plupart des études avaient été faites à champ magnétique constant, et il était impossible, avant ce travail, d'avoir une idée de la contribution de ce τs au temps de corrélation mesuré τc. Sa valeur était considérée par tous comme négligeable. Or l'intérêt de la construction d'un spectromètre à champ variable était de pouvoir enfin atteindre directement τs. Le résultat est, hélas, clair : loin d'être négligeable la contribution de τs est dominante et elle limite singulièrement l'usage de la méthode de relaxation. L'ensemble des conclusions publiées dans des dizaines d'articles, était donc à reconsidérer. Depuis ce travail il est devenu habituel de prendre en compte le temps de relaxation du spin du manganèse τs et cela a conduit à faire tomber la méthode à champ fixe en désuétude. Heureusement, l'utilisation d'un système à température variable (outre le champ magnétique variable) me permit de m'affranchir de cette contrainte intrinsèque et d'atteindre directement le temps de corrélation τr. C'est cette mesure qui me prouva que la molécule d'ARNt se comporte comme si deux parties de taille sensiblement égale étaient mobiles l'une par rapport à l'autre. Cette interprétation conduit à penser que les deux hélices (formées du bras de l'anticodon en continuité avec le bras de la boucle dihydro uridine) constituent un assemblage mobile, une sorte de rotule centrée au niveau de la boucle. Cela permettrait à la molécule de prendre une succession de formes ouvertes ou fermées, très importantes pour assurer la dynamique de la traduction de l'ARN messager.

Il restait enfin à découvrir la localisation des ions manganèse dans la molécule. L'analyse de leur liaison par résonance paramagnétique électronique montra qu'ils s'associaient, à force ionique suffisamment faible, selon deux classes. Une première classe, constituée de quatre à six ions, formait un système coopératif tandis qu'une deuxième classe se comportait comme dans le cas de l'association à n'importe quel ARN. Il fallait donc envisager des particularités structurales de la molécule qui puissent rendre compte de cette association biphasique. Ces travaux avaient en outre établi que les premiers sites d'association sont éloignés les uns des autres : cela fut confirmé par la diffraction des rayons X qui montre que quatre à six atomes de magnésium sont fortement associés à la molécule et qu'ils sont situés, éloignés les uns des autres, dans la rotule formée de la boucle dihydro U et de la boucle TΨCG, et dans la boucle de l'anticodon.

Après ma thèse et mon bref retour à l'IBPC, il me fallait songer à explorer d'autres directions dans un travail post-doctoral. Mildred Cohn m'avait proposé de venir à Philadelphie continuer à exploiter mes connaissances en résonance magnétique. Mais, à la suite d'un bref séjour à la Johnson Foundation je compris que ce qui m'intéressait vraiment n'était pas les objets de la biologie, mais les relations qu'ils entretiennent. Pourtant, au cours de mon séjour à Philadelphie, une conversation avec le très imaginatif Arthur Kowalski me révéla l'intérêt potentiel de ma connaissance des ions de transition en me montrant que certains d'entre eux pourraient jouer le rôle d'analogues covalents du magnésium. Aussi lorsqu'Henri Buc me proposa de venir effectuer ma recherche post-doctorale dans son laboratoire, il me vint à l'idée de faire d'une pierre deux coups : je pourrais y mettre au point quelques aspects de la chimie des analogues covalents du magnésium, et profiter de ma présence à l'Institut Pasteur pour apprendre la génétique bactérienne. Je pourrais ainsi m'essayer à l'étude qui me passionnait le plus et tenter de mettre en évidence quelques uns des aspects de la ponctuation secondaire, dont l'importance me paraissait primordiale. En parallèle je créai avec Maurice Guéron le premier enseignement de la biologie à l'Ecole Polytechnique.

Publications 1967-1971

B. Chimie organométallique: marquage d'affinité par des analogues covalents du magnésium

Lusage qu'on peut faire des ions de transition comme marqueurs d'affinité concerne aussi bien les acides nucléiques que les protéines. Mes premiers essais ont consisté à marquer spécifiquement des molécules d'ARN de transfert et se sont poursuivis sur d'autres molécules, en particulier au site catalytique de diverses enzymes.

Le principe de la méthode repose sur l'observation suivante : ce qui est important dans la fonction biologique d'un ion métallique (en particulier dans la catalyse enzymatique) est sa stéréochimie (son diamètre et sa coordination avec divers ligands), sa charge (positive) et la rapidité d'échange de certains de ses ligands. Cette dernière caractéristique limite en fait le recyclage des substrats dans de nombreuses catalyses, car c'est en dernier lieu le relargage des produits de la réaction liés au métal qui limite la possibilité du passage d'une réaction à la suivante. Aussi, si l'on veut conserver, geler, une image des événements qui se déroulent au cours du phénomène catalytique on est conduit à rechercher un ion ayant les mêmes caractéristiques stéréochimiques, et de charge, que l'ion que l'on veut mimer mais dont les ligands ne peuvent s'échanger.

Le cas le plus ubiquiste est celui du magnésium. Sa coordinance est octaédrique, son rayon ionique est de 0,65Å et ses ligands s'échangent rapidement (avec un cycle de l'ordre de 0,1 μs). Pour le mimer on cherche à respecter au mieux ces contraintes, sauf bien sûr, la dernière. La théorie prédit que seuls des ions ayant la configuration d3 ou d6 (spin faible) auront des ligands non-échangeables. Dans la série du fer cela conduit à l'ion vanadeux V2+ ou à l'ion ferreux Fe2+. Malheureusement l'un comme l'autre de ces ions sont très sensibles à l'oxydation spontanée en présence d'oxygène, et le second, plus stable, se trouve plutôt dans l'état spin fort que spin faible (avec les ligands usuels, oxygène ou azote). On est donc conduits à utiliser des ions porteurs de trois charges positives, Cr3+ ou Co3+ qui sont, effectivement, générateurs de complexes irréversibles.

Par raison de commodité j'ai choisi de mettre d'abord au point la technique avec la synthèse de complexes utilisant l'ion cobaltique, car il suffit de partir de l'ion cobalteux, chimiquement stable, pour obtenir par oxydation de nombreux complexes cobaltiques. Mais il est certain que cet ion diamagnétique (car il est dans l'état de spin faible) est beaucoup moins intéressant du point de vue physico-chimique que l'ion chromique qui est, lui, paramagnétique mais beaucoup plus délicat à manier.

Deux essais furent tentés. D'abord la formation de complexes du Co(III) avec l'ARNt et ensuite de complexes AMP-Co(III) avec la glycogène phosphorylase b (cela convenait fort bien puisque Henri Buc analysait son comportement allostérique). Il était assez facile de fixer des ions Co(III) sur l'ARNt par simple oxydation avec de très faibles quantités d'eau oxygénée à pH assez alcalin et d'analyser les oligonucléotides isolés après coupure par la ribonucléase T1 de molécules marquées d'ARNtPhe purifié. Cette première expérience confirmait l'existence de quatre sites où se lient préférentiellement les métaux, en des endroits de la molécule essentiels pour l'établissement de sa structure tridimensionnelle.

En utilisant une méthode électrolytique j'ai préparé d'abord un complexe de l'AMP et de l'ion cobaltique. Et dans le laboratoire de H. Buc, j'ai entrepris le marquage du site allostérique liant l'AMP, de la glycogène phosphorylase b. Au cours de cette première étude il a été possible non seulement de montrer la liaison irréversible du complexe cobaltique - ce qui démontrait la faisabilité de la méthode - mais aussi de mettre en évidence une interaction du site catalytique avec le site allostérique régulateur. Cette interaction était bien prévue par la théorie allostérique, mais nos expériences montraient clairement, au moyen d'un marquage partiel (une seule sous-unité marquée) que le substrat sous sa forme macromoléculaire (le glycogène) participe à la stabilisation de la forme active. Ce résultat, un peu inattendu au vu d'une interprétation directe de la théorie allostérique, indique que l'interaction avec le glycogène fournit un élément important pour la conformation de l'enzyme. Or dans les conditions biologiques normales la phosphorylase n'est pas en solution dans le cytoplasme, mais se trouve associée à des particules de glycogène, sans doute avec d'autres protéines. Il est donc légitime de se demander si cela n'implique pas une organisation particulière de l'eau au voisinage de l'enzyme. Et c'est l'eau qui pourrait directement participer à la stabilisation des différentes formes allostériques de la protéine. Marc Dreyfus, Bernard Vandenbunder et Henri Buc se sont alors intéressés à cette hypothèse et leurs expériences donnent des résultats bien compatibles avec l'idée d'un rôle majeur de l'eau dans la stabilisation des interactions quaternaires nécessaires aux différentes formes de la phosphorylase b.

J'avais, comme d'autres, remarqué au cours de mes études de RMN, qu'il existe autour des macromolécules une couche de molécules d'eau qui ne se comportent pas comme celles de la solution, et l'on peut proposer que la pression de sélection qui a conduit à une chaîne polypeptidique particulière peut correspondre à une organisation particulière des molécules d'eau le long de la chaîne. Une perturbation locale de la structure de l'eau (par exemple par exposition au solvant d'un résidu hydrophobe) pourrait ainsi se trouver propagée le long de la chaîne polypeptidique et entraîner une modification globale de la molécule. Le rôle de la consommation d'énergie chimique (hydrolyse de l'ATP) serait simplement d'exposer le résidu en question, la suite de l'effet étant alors en grande partie entropique. Et un modèle de ce genre, où l'entropie joue un rôle de premier plan pourrait expliquer bien d'autres phénomènes où la mécanique est importante, comme l'avancée des ARN messagers sur les ribosomes.

Nous avons analysé d'autres sites actifs des ATPases et proposé une méthode générale de préparation de dérivés cobaltiques des nucléotides. Puis nous avons commencé à explorer les possibilités d'autres analogues du magnésium, le chrome III puis l'iridium III. Dans ce dernier cas, nous avons effectué un certain nombre d'expériences, en particulier avec la glutamate déshydrogénase d'une souche de bactéries halophiles. D'autres expériences, avec des dérivés du ruthénium m'avaient permis de construire une sonde fluorescente du récepteur de l'acétylcholine. Cette sonde, qui était sensible à la présence du neuromédiateur, n'a pas été utilisée au-delà d'expériences préliminaires (avec Jean-Luc Popot). Malgré les résultats prometteurs de ces derniers résultats (en particulier avec les ions lourds comme l'iridium III utilisables non seulement comme analogues de substrats, mais comme marqueurs pour les techniques utilisant la diffraction des rayons X, la microscopie électronique, ou même comme agents thérapeutiques) le peu de moyens dont je disposais ne me permettait pas de les développer comme il convenait. Aussi décidai-je en 1978, avec un certain regret, de cesser ce type de recherche pour me consacrer entièrement à la génétique moléculaire qui commençait à me donner des résultats fort intéressants.

Publications 1972-1978

fl+

accueil