Renaissance (2006)


Renaissance (2006)
Film d'animation français, réalisé par Christian Volckman, produit par Onyx Films, Millimages, Timefirm Ltd et France 2 animation. Scénario de Matthieu Delaporte, Alexandre de La Patellière, Patrick Raynal et Jean-Bernard Pouy. Musique de Nicholas Dodd.

Or donc, est sorti, mercredi 15 mars 2006, un film d'animation français en 3D noir et blanc appelé Renaissance, un gros projet comme on n'en voit pas souvent en animation européenne. Je l'ai vu hier et je crois qu'il vaut la peine qu'on le fasse connaître : voici donc une petite critique (sans spoilers, qu'on se rassure).

J'avoue que j'attendais encore mieux, mais c'est pas mal du tout. Le scénario est assez classique, surtout pour qui est habitué au genre, mais dans l'ensemble ça m'a paru plutôt bien ficelé, bien mené et pas hollywoodesque (surtout pas à la fin). En plus les dialogues sont bien faits, mordants et cyniques à souhait, on sent que Jean-Bernard Pouy a participé au scénario.
Il faut simplement éviter un malentendu à propos du sujet du film : d'accord c'est de la SF, d'accord il y a de vrais morceaux de steampunk dedans et c'est une excellente inspi pour le jeu de rôle Exil (mais alors  vraiment, je pense que tout le film peut être récupéré d'une façon ou d'une autre), mais Renaissance est d'abord un film noir, avec tout ce qu'il faut dedans : le flic tourmenté au passé trouble et qui se prend des coups, les belles filles, les tromperies, les petits assassinats mesquins, et même les élans métaphysiques.
Il y a de vraies scènes d'action et des plans superbes sur la ville, mais pas tellement de scènes à grand spectacle. Là où n'importe qui aurait longuement montré les chouettes beaux immeubles ou les véhicules du XXIème siècle, le film reste centré sur les personnages (certains particulièrement bien campés, surtout Karas lui-même, le personnage principal). Pour un machin en 3D totale qui a coûté aussi cher, on peut trouver ça stupide ; ça me paraît plutôt un choix courageux, mais je ne sais pas si ça aidera le film à faire plein d'entrées.

Pour passer enfin au principal, le graphisme, tout le monde l'a déjà dit avant, mais c'est superbe. Ça ne veut pas dire que ça plaira à tout le monde, parce que c'est vraiment un style particulier : même si on a tendance à comparer Renaissance au film Sin City, les deux films n'ont rien à voir : Sin City est en images réelles et en nuances de gris ; Renaissance est en 3D totale et en noir et blanc tranché, en bichromie quoi, avec juste un peu de gris moyen pour les arrière-plans et les effets de transparence, mais on ne voit presque toujours que du noir tout noir ou du blanc éclatant. Si on n'aime pas, ça peut donner mal aux yeux. Mais si on accepte de plonger dedans, c'est magnifique : la 3D se voit finalement très peu et les graphismes oscillent entre une simplicité déconcertante et un niveau de détail ahurissant. Vous voyez le visage d'un personnage, qui a l'air tout simple, très BD, comme dessiné en trois traits à l'encre de Chine ; mais dès qu'il bouge, les zones noires se déforment comme des ombres, laissant deviner des reliefs invisibles, ébauchant au passage les traits du visage avec une belle fluidité. D'accord, c'est du motion capture, mais ça rend très, très bien. Et les regards sont d'une expressivité étonnante. Pour finir, le personnage quitte la scène, frôlant l'objectif au passage, et pendant une seconde vous apercevez le grain de sa peau au bord des zones noires, tandis que le tissu de son vêtement, à la texture tout aussi travaillée, est parcouru de petits éclairs blancs qui sont autant de coutures rendues avec une minutie incroyable.

L'univers du film, Paris en 2054, n'est jamais vraiment présenté : on le découvre petit à petit, toujours au passage. C'est peut-être un défaut. Mais cet univers est lui aussi minutieusement travaillé : la géographie parisienne est entièrement revue et corrigée, de même que les immeubles et les appartements ; on aperçoit aussi toutes sortes de détails, des plus manifestes aux plus quelconques, véhicules, meubles, logos, cartes d'identité. Mais toujours avec une espèce de discrétion, comme si ce n'était pas le plus important. Les parisiens auront quelques hoquets de surprise en reconnaissant au passage des endroits bien connus comme la Défense, le parvis de Notre-Dame ou les bords de Seine, "légèrement" transformés dans ce sombre avenir, mais le film ne s'apesantit pas outre mesure sur le petit jeu des différences, et reste obstinément centré sur l'histoire et les personnages. Trop modeste, Renaissance ? A chacun d'en juger, je suppose.

J'oubliais la musique. Elle n'est pas ébouriffante, et parfois un rien trop classique (pourquoi d'ailleurs avoir pris un orchestre symphonique de base, là où la première bande-annonce du film laissait attendre quelque chose de plus audacieux ?), mais dans l'ensemble pas trop grandiloquente, et elle arrive à mettre en place une ambiance assez oppressante et désespérée, bien dans le ton "noir" du film.

A la rubrique des reproches, je mettrais sans doute le petit quelque chose qui manque et qui aurait suffi à donner un vrai excellent film. Là, ça oscille "seulement" entre le bon (ou le moyen si vous êtes sévères) et le très bon. Peut-être qu'en trouvant un scénario encore plus tordu et en rajoutant une ou deux "grandes" scènes spectaculaires dans Paris pour sacrifier aux exigences d'une grosse production de SF, Renaissance se serait fait encore plus remarquer et aurait attiré plus facilement son monde.
Second reproche, les pubs. OK, Paris en 2054 c'est moche, Avalon règne, c'est l'artificiel, le commercial, c'est mal. Mais c'était pas une raison pour caser ici ou là un logo Coca sur un immeuble ou une pub Fnac dans le métro. Enfin, il y a aussi de vraies pubs fictives, c'est déjà ça...
Troisième reproche, si vous êtes pointilleux : les mouvements des lèvres des personnages ont été visiblement conçus pour coller aux dialogues anglais, d'où une impression de décalage avec les voix des comédiens qui rend le doublage trop artificiel (dommage parce que les voix françaises sont bien). D'où le paradoxe : pour profiter pleinement de l'animation, il faudra aller voir ce film français en... VO anglaise sous-titrée. Pour un film sorti pendant la semaine de la francophonie et tout, ça la fout mal.

Malgré ces quelques reproches et des choix un peu téméraires pour un film qui a un gros besoin de faire beaucoup d'entrées, Renaissance vaut largement la peine d'être vu. Des films comme ça en animation française,qui apportent d'un coup quelque chose de complètement neuf, ça ne se voit pas tous les jours. On avait déjà eu un OVNI superbe en 2003 avec Les triplettes de Belleville et là, c'est presque aussi beau. Au chapitre des grosses productions ambitieuses, on avait eu Kaena, la prophétie la même année, avec des graphismes très honorables et de bonnes idées dans l'univers, mais un scénario atrocement convenu. Là, non seulement c'est techniquement réussi, mais le scénario reste efficace et l'ensemble est d'une belle cohérence. Et cette fois il faut que ça rapporte, sinon les autres projets français qui sont derrière n'auront jamais de financements. Donc allez le voir, ça vaut la peine !




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