Il y a fort longtemps, à une époque où la fantasy n'était
pas encore propice à décrocher des pluies d'oscars et où l'animation ne
connaissait presque que le bon vieux dessin, fut Dark Crystal, épopée en
marionettes troussée par Jim Henson et Frank Oz (oui, oui, ces noms
rappellent un certain Muppet Show) et devenue mythique pour une poignée de
fidèles. Poignée dont je ne fais absolument pas partie, mis comme en
général j'aime l'animation, je n'ai pas manqué l'occasion de voir ce vieux
classique.
L'histoire est tellement caricaturale qu'il vaut mieux prendre le ton
solennel du narrateur pour la raconter sans risque de moquerie : dans un
monde qu'on suppose lointain, survivent une dizaine de méchants Skeksès
(orthographe sûrement approximative) qui dominent le cristal magique et le
monde par la même occasion, et une dizaine de vieux Mystiques, sages et
gentils. Mais une vieille prophétie annonce qu'avant la grande
conjonction, qui approche à grands pas, un jeune Gelfling ira sauver le
monde en soignant le cristal, et alors "deux deviendront un, et un sera
entier".
Ca vous semble débile ? C'est normal, ça l'est. Et c'est complètement
assumé. Plus précisément, l'invraisemblable naïveté de l'histoire et des
dialogues (on a vraiment l'impression pendant un moment que ça s'adresse à
des gamins de deux ou trois ans, et c'est peut-être d'ailleurs le cas,
mais ça n'empêche pas qu'un adulte puisse y trouver un intérêt) fait
partie intégrante du monde de Dark Crystal (mais attention, ça n'a rien à
voir avec la naïveté qu'on peut trouver dans les mauvais Disney, ce n'est
pas cruche, juste désarmant). Pour y pénétrer réellement, il faut se
résoudre à retrouver une partie de son âme d'enfant, et par exemple de sa
capacité d'émerveillement devant une technique d'animation qui risque tout
de même de faire un peu pleurer de rire les gamins actuels.
Mais une fois qu'on est dedans, qu'est-ce que c'est bon ! On se laisse
tout bêtement emporter par la magie qui émane de l'ensemble, et ce n'est
pas ici un vain mot. Le simple fait de prendre le temps de placer quelques
plans "inutiles" sur les décors (eux aussi dans un style assez naïf, mais
qui collent parfaitement au reste) suffit à instaurer une atmosphère, et
la simplicité de l'intrigue est compensée par les trouvailles qui
foisonnent par ailleurs. Ne serait-ce que le bestiaire, qui pour le coup
évite complètement les poncifs du genre (franchement, un pseudo-toutou à
la machoire démesurée, c'est vachement mieux que les classiques centaures
ou elfes), mérite qu'on garde un oeil attentif sur tout ce qui se passe.
Et on finit même par se laisser aller à trouver la conclusion
intéressante, et certaines "scènes d'action" où des marionettes font des
sauts en l'air à la limite du grotesque paraissent trépidantes. Fabuleux
pouvoir de l'imagination quand elle est intelligemment sollicitée.
Malgré cette portion de critique proche du dythirambique, je n'irai pas
jusqu'à prétendre (comme le voudraient peut-être certaines personnes qui
l'ont regardé avec moi ;-) ) qu'on tient là un chef-d'oeuvre de
l'animation, certaines oeuvres plus récentes (et même d'autres aussi
anciennes) ajoutant à l'émerveillement une réalisation plus intéressante.
Mais on tient là une alternative originale et séduisante, notamment du
point de vue de la narration, aux oeuvres actuelles. A découvrir, même
vingt ans après, pour ceux qui s'intéressent au genre.
Roupoil, 11 janvier 2006