(Lien vers la publication d’origine sur facebook, dont cette page est un complément)
Voici une liste de constats sur la mise en place des réformes du lycée et de la loi “pour une école de la confiance.” Ça ne prétend pas être universel, ce sont juste des faits constatés à mon échelle. Une liste exhaustive serait démesurée...
Qu’on soit bien d’accord : l’objectif n’est pas de nier qu’il y ait des aspects positifs à la réforme, ni les problèmes du lycée actuel. Plutôt de vous laisser juger de ce qui pose problème à un certain nombre de professeurs.
1. Le nouveau lycée
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Sur le papier, en termes de temps d’enseignement, on pourrait croire qu’il n’y a pas de changement important. En pratique, la réforme est prétexte à faire disparaître la majorité des heures à effectifs “réduits” (moins de 30 élèves). Ces heures étaient déjà mises en danger chaque année avec la diminution des dotations horaires ; dans le nouveau lycée, on a droit à quelques heures dans lesquelles il faut faire rentrer options, accompagnement personnalisé, et cours en demi-groupes... notamment nécessaires pour apprendre à parler une langue, faire les TP obligatoires dans les (petits) labos de sciences ou d’informatique, ou tout simplement, assurer un suivi individuel (impossible avec moins de 2 minutes par élève dans une heure...)
Dans mon lycée, par exemple : pour un programme de maths plus chargé, en 1ère, les élèves n’auront plus que 4h de cours, au lieu de 6h. En 2nde, il n’y aura plus d’accompagnement personnalisé excepté pour l’orientation.
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En fin de 2nde, les élèves doivent choisir trois spécialités qui s’ajouteront à leurs enseignements de tronc commun (les filières S/ES/L disparaissent). En soi, pas de souci. En pratique, leurs choix influent directement sur les études qu’ils pourront faire (exemple : faire des études d’ingénieur en arrêtant les maths, c’est compliqué)... et bien sûr, les attendus du supérieur n’ont pas été publiés pour permettre à nos élèves de s’orienter. Les choix se sont faits à l’aveugle.
Pardon, les attendus pour les prépas ont été donnés ! La semaine dernière. Soit une semaine après validation des choix définitifs de nos élèves.
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Les spécialités ou combinaisons de spécialités possibles varient selon les établissements. Pour les élèves, cela peut signifier un lycée beaucoup plus éloigné pour satisfaire des vœux (sous réserve que le changement de lycée soit accepté), des emplois du temps “à cheval” sur plusieurs établissements... ou des choix contraints par ce que propose le lycée de secteur.
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Sur les nouveaux programmes, il y a eu une consultation des enseignants. Dont on ne nous a jamais donné les résultats. En maths, tous les collègues que je connais les jugeaient surchargés ; l’inspectrice nous avait “rassurés” : l’inspection avait fait la même remontée, les programmes allaient être modifiés.
Ensuite, les programmes ont été soumis au vote du conseil supérieur des programmes. Et tous refusés, à part celui de sciences physiques. Avec régulièrement autour de 80% de voix contre, 10% d’abstentions et 10% pour.
Ensuite, les programmes ont été publiés sans aucune modification.
(En maths, on nous a dit que les inspecteurs généraux ont demandé à être reçus à ce sujet par le ministère, et que le ministère a refusé d’accuser réception de la demande de rendez-vous.)
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Et tant qu’on parle des maths... En fin de 2nde, il n’y a plus que deux possibilités : rien du tout, ou le programme de spécialité, plus exigeant que celui de la filière S actuelle. Bref, si un élève a besoin d’un peu de maths pour ses études, tant pis pour lui, il ne peut prendre que la version difficile.
(Et contrairement à ce qu’a prétendu le ministre à la radio, l’option “maths complémentaires” ne résout pas ce problème : elle n’existe qu’en Terminale et s’appuie sur le programme de 1ère.)
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Pour les emplois du temps, la faisabilité concrète ne semble pas avoir été étudiée. En tout cas, notre direction nous dit ne pas savoir ce que ça va donner... et je ne parle pas d’avoir des emplois du temps raisonnables pour nous ou nos élèves...
1-bis. Le nouveau bac
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Le contrôle continu représente 40% de la note finale. Les épreuves qui en constituent la majorité, quoique tirées d’une banque nationale, sont choisies par les professeurs de l’établissement. Bref, le bac perd son caractère national. (Alors que ce caractère national permettait justement à certains très bons bacheliers de faire ré-évaluer leurs dossiers pour des filières sélectives, afin d’éviter qu’ils en soient exclus parce qu’ils viennent de banlieue.)
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Plus marginalement, ces épreuves “communes”, réparties sur 7 semaines selon les premières projections, vont forcément entraver le déroulement “normal” des cours et rendre plus complexe tout projet de voyage scolaire.
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En Terminale, les épreuves finales de spécialité sont prévues pour mars-avril. Comment finir le programme à temps ? ... et que faire après, avec des élèves qui doivent continuer à venir alors qu’ils ont fini ?
2. Le statut des professeurs
Une fois la loi “pour une école de la confiance” passée, les professeurs auront un “devoir d’exemplarité” (remplaçant le “devoir de réserve” initialement proposé, qui aurait interdit de donner son avis dans le cadre privé). La formulation laisse une grande incertitude sur la liberté de parole laissée. Actuellement, on a le droit d’exprimer une opinion tant que c’est en dehors de l’exercice de nos fonctions, et sans engager l’Education Nationale.
Quant aux autres obligations des professeurs, voici ce que j’ai retenu, sous réserve de changement depuis mes dernières infos (car moins directement vérifiées que celles du 1) :
- deuxième heure supplémentaire obligatoire,
- obligation de remplacer tout collègue absent, en étant prévenu la veille,
- formations obligatoires sur le temps libre (le Sénat l’a retiré de la loi, du coup ça va passer par décret),
et en projet :
- passage de 1 à 3 jours de carence,
- probable augmentation du temps de présence obligatoire, une fois qu’on aura constaté que la réforme actuelle ne tourne pas si les profs ne sont pas au lycée H24.
Certes, tous ces points concernent principalement le “confort” de ces fainéants-de-profs. Sauf qu’avec un temps de travail moyen déjà supérieur à 40h, beaucoup ne peuvent pas faire plus. On fera juste moins bien, au détriment des élèves. Pareil pour les jours de carence, on viendra contaminer nos élèves sans être en état de leur enseigner... Pour ma part, avec 6 jours d’absence sur 4 ans, dont 75% où j’ai été remplacée par des collègues volontaires, ça équivaut simplement à la suppression du congé maladie. Quant à travailler au lycée plutôt que chez moi, sans bureau dédié au lycée... disons que je mettrais trois semaines à rendre les évaluations, au lieu de trois jours.