Épistémologie
Thèmes apparentés
Grèce contemporaine
Ésotérisme Pythagoricien
Au VIe siècle, la Grèce, qui s'étendait largement vers
l'Ouest jusqu'à la Sicile et au Sud de l'Italie (la Grande Grèce), vit
ses colonies occidentales soudain renforcées et animées par un afflux
de réfugiés d'Ionie chassés par les conquérants Perses. Pythagore
qui était né à Samos avant 550, à un moment où tout l'Est de la Grèce
devenait peu sûr, vint s'installer à Crotone en Sicile probablement
avant 520. Autour de la mystérieuse figure de ce personnage
s'établirent rapidement un grand nombre de légendes. Déjà, à la fin du
Ve siècle, il ne restait sans doute plus aucune source sûre
d'informations sur la vie et l'œuvre de Pythagore ou
de ses successeurs immédiats. La raison de ce mystère réside
certainement dans la doctrine même et le mode d'enseignement appliqués
par celui qu'on appelait le Maître. En effet rien de ce qu'enseignait
Pythagore ne devait être écrit ni divulgué aux
non-initiés, et les initiés eux-mêmes se distinguaient en deux
classes, les μαθηματικοί ,
étudiants privilégiés dans la connaissance des pensées du Maître, et
les᾽ακουσματικοί
,
auditeurs capables de connaître un peu de cet enseignement, mais
indignes d'êtres appelés pythagoriciens. Par ailleurs, afin d'éviter
l'illusion commune qui fait croire à certains qu'ils sont auteurs
d'une découverte (alors qu'ils ne sont que fortuitement le support
concret de la cristallisation de cette découverte) toute pensée et
toute nouveauté issues de la réflexion des cercles pythagoriciens
étaient attribuées au Maître, même longtemps après sa mort. Et il est
ainsi probable que le fameux théorème qui porte son nom fut de
création beaucoup plus tardive que son temps.
Le secret devait être bien gardé, et relativement peu nombreux parmi
les pythagoriciens sont ceux qui ont laissé des écrits. On dit même
que certains furent punis de mort (par le sort, ou avec l'aide de
zêlés confrères, comme le fut Hippasos) pour avoir
divulgué un peu de la connaissance ésotérique qu'ils avaient acquise.
Dans sa cosmogonie, l'école pythagoricienne hérite en partie de la
réflexion milésienne, mais la plus grande part de la pensée qui s'y
rattache a probablement une origine non héllénique, orientale, où se
mélangent intimement science et éthique, associées par une hypothèse
dualiste explicite en un savoir religieux (d'où l'importance de
l'aspect ésotérique). Le corps et l'âme (ici Ψυχή ,
mais conçue comme immatérielle) sont des entités séparées (1);
et l'âme, immortelle, peut se fixer dans des
corps différents à la suite d'une métempsychose qui la conduit parfois
à habiter toutes sortes de corps animaux (2). Cette
propriété de l'âme, ainsi que les contraintes numériques qui
s'associent à tous les objets, matériels ou immatériels, entraînent un
grand nombre d'incompatibilités ou de nécessités. Les pythagoriciens
respectaient donc de très nombreux tabous et suivaient une morale très
stricte, enseignée (3) dans
un système d'éducation particulier. Toutes les passions devaient être
évitées, comme tous les excès, de façon à conserver l'harmonie de
l'âme (4). Enfin les
pythagoriciens tenaient infiniment à l'amitié vraie et n'importe quel
membre de l'École aurait tout fait pour un autre membre en difficulté,
ce qui excluait toute rivalité ou jalousie. D'ailleurs l'attribution à
Pythagore lui-même de toutes les découvertes aidait
bien à éviter toute tension mise en jeu par le vain désir de propriété
intellectuelle. Aristote, qui est la principale
source de notre connaissance actuelle des pythagoriciens, rapporte
qu'ils tenaient que la nature première des choses est le Nombre. Pour
certains mêmes, les choses sont faites de nombres. L'élève du
pythagoricien Philolaos, Eurytos, par
exemple démontrait de façon graphique, au moyen de petits cailloux
colorés qu'il collait sur un mur enduit de plâtre à cet effet, que le
nombre de l'Homme est 250 et celui du végétal 360 (5).
D'autres donnaient un rôle moins grossier au
nombre en associant un chiffre explicatif à chaque chose (le carré a
pour nombre quatre par exemple) ou bien encore en postulant que des relations
entre nombres expliquaient l'objet (à la manière des proportions
utilisées dans les recettes de cuisine).
L'école de Crotone proprement dite fut de courte durée, car elle ne
survécut pas à la destruction de la ville (450), mais une école
d'inspiration pythagoricienne perdura plusieurs siécles dans tout le
sud de l'Italie. Au cours de la période initiale furent élaborés trois
grands courants de pensée : la réflexion arithmétique, l'étude des
propriétés du son et les principes géométriques de la forme de
l'Univers. L'arithmétique et la géométrie étaient sans aucun doute
inspirées en partie de la physique milésienne et des traditions
orientales qui leur avaient donné naissance, puisque Diogène
Laërce rapporte par exemple que le Γνωμών
avait été inventé par Anaximandre. Deux figures
arithmético-géométriques illustrent bien les préoccupations des
pythagoriciens dans ces domaines. Le Τετρακτύς
( tétractys), triangle formé des quatre premiers nombres
entiers,
• • • • • • • • • •
τετρακτύς
et dont la somme est la Décade, nombre sacré, image symbolique des
paires opposées qui engendrent l'Univers, était le signe
d'appartenance au groupe des pythagoriciens. Le Γνωμών
,
formé de deux figures récurrentes, engendrées par le déplacement de
points régulièrement espacés, permettait de représenter toutes les
figures géométriques (6).
._._._._._. ._._._._.|. ._._._.|.|. ._._.|.|.|. ._.|.|.|.|. .|.|.|.|.|. τετράγωνον . . . . . . ._._._._._. ._._._._.|. ._._._.|.|. ._._.|.|.|. ._.|.|.|.|. ἑτερόμηκες
Le Γνωμών
impair engendre à partir de la Monade (le point unité) l'ensemble des
nombres impairs, mais aussi en vertu de sa symétrie, le carré et les
figures qui s'y rapportent. Le Γνωμών
pair, engendré par la Dyade, génère les nombres pairs et les figures
rectangulaires. Le rôle fondamental des constructions géométriques
s'inscrit dans l'insistance plus générale mise par Pythagore
et ses disciples sur le rôle de la mémoire ou plutôt de la
réminiscence (ou du "rappel", ἀνάμνησις
anamnèse) dans les processus conduisant à la connaissance
parfaite. En effet, il ne suffit pas de savoir que chacun possède une
âme qui a connu de nombreuses expériences au cours de ses vies
antérieures, encore faut-il, à l'instant, être capable de faire
ressurgir le souvenir du passé. Les μαθηματικοί
avaient l'obligation d'entretenir ce pouvoir de souvenir en se
remémorant chaque soir tous les événements de la journée écoulée. Ils
espéraient ainsi devenir aptes à se souvenir de l'histoire de leur
âme, et peut-être ainsi la faire échapper par un rite de purification
approprié (on retrouve les mêmes préoccupations chez Empédocle) au
cycle des naissances. Ce qui se résume dans l'admirable phrase d'Alcmaeon
de Crotone :
τους ανθρώπους διά τούτο απόλλυσθαι, ότι ου δύνανται
την αρχήν τω τέλει προσάψαι
Les hommes trépassent parce qu'ils n'ont pas la force de joindre la fin au commencement
Bien qu'il soit particulièrement difficile de savoir les origines exactes de la géométrie, et l'on sait l'intérêt de Thalès pour cette formalisation, il est probable que les premiers pythagoriciens furent à l'origine de l'étude des polygones et polyèdres réguliers. Ils découvrirent tous les polyédres réguliers convexes, le tétraèdre, le cube, l'octaèdre, le dodécaèdre et l'icosaèdre et s'en servirent pour expliquer les propriétés géométriques de tous les objets que l'on rencontre dans l'Univers (7). Et c'est pour avoir trahi, en divulgant le mode de construction du dodécaèdre et sa relation avec le pentagone régulier (les faces de ce polyèdre sont pentagonales) qu'Hippasos de Métaponte fut exclu de l'École pythagoricienne (on rapporte même qu'il mourut noyé). Enfin, c'est au cours de la première partie de la vie de l'école de Crotone que fut découverte la notion d'incommensurable (à partir de l'étude des triangles rectangles à côtés mesurés en nombres entiers) et que s'amorça le problème de la quadrature du cercle.
La musique fut aussi une préoccupation fondamentale dès les premiers temps du pythagorisme et l'on pense qu'Hippasos fut l'inventeur des premières règles établissant la hauteur des sons et surtout le relation de dépendance entre les intervalles musicaux et certains rapports numériques.
Plus tard furent codifiées les règles de la cosmogonie pythagoricienne, résumées sous la forme d'un décade d'Opposés :
περας και απειρον Limité Illimité περιττον και αρτιον Impair Pair εν και πληθον Un Beaucoup δεξιον και αριστερον Droite Gauche αρρεν και θυλη Mâle Femelle ηρεμουν και κινουμενουν Immobile Mobile ευθη και καμπυλον Rectiligne Courbe φως και σκοτον Lumineux Sombre αγαθον και κακον Bien Mal τετραγωνον και ετερομηκες Carré Rectangulaire
Le plus remarquable dans cette liste hétéroclite (et Aristote
ne se prive pas de sarcasmes à ce sujet) est l'association, plus tard
développée par Platon, entre le Non-Limité, le Pair
et le Mal, ce qui implique une idée d'imperfection, de démesure, d'ὕβρις
,
associée à l'Infini, alors que la finitude (et l'on concevait le plus
souvent chaque κόσμος
,
en particulier celui dans lequel nous vivons, comme fermé, doué de
limites) et la régularité, la symétrie (de polygones ou de polyèdres
réguliers par exemple) sont perçus comme symboles de la perfection.
L'ensemble de ces dix paires d'opposés devait suffire, par des
combinaisons appropriées à donner une représentation adéquate du
monde.
Les Monades, principes de l'Unité, de l'absence de mélange, de mesure et de pureté étaient conçues comme des points de l'espace doués d'une certaine épaisseur. Organisés dans l'espace et mis en mouvement ils pouvaient engendrer toutes les formes possibles, d'abord les formes géométriques simples (comme celles qu'on trouve à partir du Γνωμών) puis les autres. Les textes d'Archytas (contemporain de Platon et élève de Philolaos) sont particulièrement révélateurs à cet égard. Il y discute les propriétés de la Monade (qui coupe le monde en deux, pair et impair, par simple auto-addition), définit les progressions arithmétique, géométrique, et harmonique (8) et les utilise comme fondements des règles musicales. Et surtout il donne les démonstrations géométriques d'un certain nombre de théorèmes mettant en jeu la genèse de figures tridimensionnelles obtenues par le mouvement règlé de figures plus simples: cylindre (déplacement sur un cercle d'une droite parallèle à elle-même), tore (déplacement d'un cercle dont le centre parcourt un cercle de rayon plus grand) ou cône (engendré par la révolution d'un triangle autour d'un de ses côtés).
Archytas fut aussi l'un de ceux qui démontrèrent que, contrairement à l'intuition qu'on pouvait en avoir à cause de son apparente perfection, l'Univers était infini. Pour cela il utilisa la conception sphérique de l'Univers des Milésiens et argumenta ainsi: si j'avais atteint l'au-delà, c'est à dire l'univers des étoiles fixes, me serait-il possible d'étendre la main, ou mon bâton, vers l'extérieur, ou non ? Et la réponse est affirmative, en n'importe quel point de cette apparente frontière. Cela implique que les lois de la physique soient conservées en tout point de l'univers et aussi qu'il soit absurde d'imaginer qu'il existe une limite à l'Univers.
Mais c'est sans doute ce qui nous reste des écrits de Philolaos de Tarente qui donne la vue la plus révélatrice de la cosmologie pythagoricienne. En effet dans cette cosmogonie la Terre n'est plus le centre du monde. L'Univers est pour cet auteur, comme pour ses prédécesseurs, la composition de paires d'Opposés, du Limité (la Monade) et du Non-Limité (la Décade) (9). La Décade contient en elle-même la nature intrinsèque du point (l'unité), de la droite (deux), du plan (trois, triangle qui définit un plan) et de l'espace (par le quatre qui définit le tétraèdre, premier polyèdre régulier et première figure à trois dimensions) (10). Mais la genèse ne s'arrête pas là, le cinq engendre Qualité et Couleur, le six : l'élan vital (ψύχωσις), le sept : l'esprit (νοῦς) la santé et la lumière, le huit : l'amour (ἔρως), l'amitié (φιλία), l'astuce (μῆτις) et l'intention (ἐπίνοια). Mais ce ne sont pas tant les nombres que les principes géométriques qui s'y rattachent qui sont à l'origine de la compréhension du monde (11). Et Platon dans le Timée reprendra cette hypothèse pythagoricienne en associant aux quatre éléments quatre polyèdres réguliers : tétraèdre : Feu, octaèdre: Air, icosaèdre : Eau, et cube : Terre, et en postulant que le dodécaèdre est la figure (limitée!) qui symbolise l'Univers.
Le monde entier est organisé autour d'un noyau, le Feu central, et
autour de celui-ci, de façon concentrique sont arrangés les Dix Corps
Célestes (12). De la
périphérie vers le centre on trouve les étoiles, les cinq planètes
(Saturne, Jupiter, Mars, Venus et Mercure), le Soleil, la Lune et
enfin, entre celle-ci et le Feu central,᾽Αντιχθον ,
l'Antiterre. Ce dernier astre, qui nous cache le centre de l'Univers
et nous est invisible (car la face de la Terre est toujours tournée à
l'opposé, comme la face cachée de la Lune est toujours invisible de la
Terre) est habitée par des êtres vivants. Dans l'Univers ainsi
organisé Philolaos distingue trois régions
principales; la région extérieure Όλυμπος
,
contient les éléments purs, la région intermédiaire, où se trouvent
les cinq planètes, le Soleil et la Lune, Κόσμος
,
et la région intérieure où se meuvent la Terre et l'Antiterre, régions
du changement, Οὐρανός
.
La Terre et son compagnon tournent simultanément autour du Feu
central, dans la même direction que le Soleil et la Lune mais dans un
plan différent. Le Soleil est transparent et joue le rôle d'une
lentille concentrant la lumière du Feu de l'Éther olympien. La Lune
est habitée (13) et son
jour dure quinze jours terrestres. Cela fait que ses habitants sont
quinze fois plus forts et plus beaux que les hommes.
La tradition pythagoricienne impliquait non seulement un cycle dans la vie des âmes mais aussi un cycle, repérable par une arithmétique appropriée, dans les phénomènes astronomiques. Ainsi la Grande Année (qui est la période de ces phénomènes) avait fait l'objet de savantes conjectures, et Œnopides de Chios (qui n'était sons doute pas pythagoricien, mais certainement très au fait des travaux de la secte) avait fixé à 59 ans de 365 jours et 22/59e la durée de la Grande Année (14). Reprenant ses tables, Philolaos se rendit compte qu'avec une petite modification il pouvait trouver que la Grande Année avait 93 = 729 mois, c'est à dire un mois de moins que celle d'Œnopide, ce qui lui paraissait beaucoup plus satisfaisant et donnait 364 jours et demi par an (15). Ainsi devenait-il possible de donner au nombre une puissance très générale sur les lois qui gouvernent l'Univers.
Les pythagoriciens ne s'intéressaient pas seulement à la cosmologie, comme leurs prédécesseurs et leurs contemporains ils furent passionnés par la biologie, et cela au travers de l'étude de l'acoustique et de la physique musicale (pour laquelle ils sont encore connus aujourd'hui) mais aussi par toute une interprétation des propriétés intrinsèques des êtres vivants. Dans le premier domaine s'illustrèrent, outre Pythagore lui-même, Hippasos et Archytas, qui mirent au point les mesures de longueur conduisant aux principaux intervalles musicaux (octave, quinte et quarte) et établirent des relations entre le son rendu par des disques métalliques en fonction de leur épaisseur, et des fils métalliques en fonction de leur longueur. Philolaos, quant à lui, précisa l'ensemble des notes en définissant la quinte majeure et la quarte majeure, ainsi que la composition de l'octave (cinq tons et deux demi-tons) et fixa ainsi les bases de ce qui constitue notre musique actuelle.
Dans le domaine de la biologie les conceptions pythagoriciennes sont fortement marquées par leur pensée dualiste. Et la métempsychose permet à une âme d'habiter n'importe quel corps. En ce sens le monde est partout occupé par des âmes. Aristote rapporte que les disciples de Pythagore pensaient que les rayons du soleil sont vivants et qu'on peut voir concrètement les mouvements des âmes dans les mouvements des points brillants qui parcourent en tous sens, même en l'absence de vent, les rayons solaires. Ainsi l'air est rempli d'âmes qui influencent nos rêves et nos actions et nous avertissent de l'avenir par les présages. Les pythagoriciens étaient animés de nombreuses préoccupations médicales et, bien avant l'école d'Hippocrate de Cos, c'est un habitant de la Grèce de l'Ouest, Alcmaeon de Crotone, qui vers l'an 500 créa la première école médicale proprement dite en Grèce. Il étudia les fondements de la perception sensorielle et fit de nombreuses observations anatomiques. On dit même qu'il fut le premier à oser l'énucléation de l'œil. Mais sa contribution la plus fondamentale est certainement le fait qu'il reconnut que le siège de toutes les sensations est le cerveau. Celui-ci reçoit en effet des signaux provenant des oreilles (dont la structure creuse permet la concentration du son), des yeux (qui transmettent la lumière par des filaments conducteurs du Feu jusqu'au centre du cerveau), du nez, de la langue et de tout le reste du corps. Ces différents signaux, conduits par des chemins appropriés sont arrangés en une structure harmonieuse par le cerveau, et c'est cette capacité à faire la synthèse de l'ensemble des sensations qui en fait le siège de la pensée. L'engrangement des perceptions constitue la mémoire, et la croyance (non raisonnée), et lorsque les souvenirs sont stabilisés ils constituent alors la connaissance (16). Alcmaeon distingue encore l'intelligence, qui est l'aptitude à organiser les sensations, et l'attribue seulement à l'Homme, alors que les autres êtres vivants n'ont que la perception sensorielle et ne sont pas capables de comprendre.
Le rôle fondamental qu'il donnait à l'encéphale lui fit étudier l'embryogénèse en relation avec la formation de la tête, qu'il considérait comme formée en premier. Son matériel expérimental était l'œuf d'oiseau et il fut partisan de l'origine femelle de toute descendance, au contraire de l'opinion généralement admise qui l'attribuait à la semence mâle. Tout tissu était pour lui composé de qualités opposées (en nombre plus grand que dans la tradition pythagoricienne la plus orthodoxe) :
"Alcmaeon enseigna que ce qui conserve la santé est l'équilibre (ἰσονομία) entre les puissances - humidité et sécheresse, froid et chaleur, amertume et douceur et le reste - et que la prépondérance de l'une cause la maladie, car la prépondérance de n'importe laquelle est destructrice. Le principe actif de la maladie est l'excès de chaleur ou de froid, son occasion est la pléthore ou l'insuffisance de nourriture, son siège est le sang, la moëlle ou le cerveau. La maladie peut aussi être engendrée par des causes extérieures comme l'eau, le milieu environnant, l'épuisement, la torture ou des causes analogues. La santé, au contraire, est le mélange des qualités en proportions harmonieuses"
Beaucoup d'autres pythagoriciens s'intéressèrent à la biologie, mais il ne reste plus que quelques minces fragments de leur pensée. Menestor utilisa la théorie des opposés pour fonder une botanique dans laquelle il étudia la germination, la fructification et le rôle de l'environnement des plantes. Et, comme Empédocle pour le règne animal, il utilisa l'idée d'un processus de dissolution (σῆψις) pour expliquer le goût des végétaux. Hippon chercha à ramener les cycles biologiques au nombre 7 et Philolaos, à la différence d'Alcmaeon, expliqua les maladies par l'excès de certains fluides répandus dans tout le corps, comme la bile. Archytas enfin, chercha à expliquer les formes biologiques par des propriétés mathématiques intrinsèques (17). Pourquoi les parties des végétaux et des animaux sont elles le plus souvent arrondies, et non triangulaires ou polygonales? Archytas l'expliqua par le mouvement naturel, c'est à dire le mouvement qui respecte également toutes les contraintes, comme on l'observait par exemple dans la rotation uniforme d'un triangle autour d'un de ses côtés, mouvement qui engendre un cône. Le respect des contraintes de symétrie engendre des surfaces arrondies. On peut penser que l'idée en était suggérée par la croissance de l'écorce des arbres en anneaux concentriques. De la même manière le tronc humain aurait été constitué de couches concentriques. Il est possible enfin de remarquer l'analogie qui existe entre cette façon de voir et la structure concentrique de l'Univers pythagoricien.
Les disciples de Pythagore parlaient au nom d'une vérité qui s'exprime par le Nombre. D'autres parmi leurs contemporains se disaient autrement porteurs prophétiques de la vérité, ce sont eux que nous allons considérer à présent.
1: Matière et âme, distinctes à la manière du couple manichéen des dieux asiatiques. (retour au texte)
2: La preuve en est donnée par le fait que le souvenir d'événements passés antérieurs à leur naissance, que certains peuvent retrouver comme toutes les propriétés de l'Univers, est soumis à des lois numériques, arithmétiques. Et certains en ont même fait le calcul: 6 années sont nécessaires pour le temps des transmigrations terrestres. (retour au texte)
3: Depuis la procréation jusqu'à l'âge adulte toutes les phases du développement humain sont considérées comme d'une importance cruciale. Mais alors que les éleveurs prêtent une très grande attention à l'élevage des animaux dont ils s'occupent les hommes font bien peu de cas de ces problèmes lorsqu'il s'agit de leur propre descendance. Il faut au contraire s'astreindre à donner une éducation de tous les instants. Les relations sexuelles, par exemple, devraient être tardives (après vingt ans pour les garçons) et associées au développement de l'harmonie du corps et de la connaissance intellectuelle. Garçons et filles doivent apprendre le contrôle de soi par une vie de labeur dépourvue de tout superflu. Et comme toute passion est nuisible à l'acquisition de la connaissance suprême il va de soi que les relations sexuelles ne peuvent avoir pour objet que la procréation, et ne doivent être le fait que de ceux qui sont capables d'élever leurs enfants, car la procréation à tort et à travers, sans éducation appropriée pour les enfants qui en sont le produit est à l'origine du Mal. Aux enfants on doit apprendre très tôt les règles de la meilleure conduite avec les premiers rudiments du savoir (lecture et écriture), aux jeunes hommes les lois de l'Etat, aux adultes le travail actif et le service public, enfin les vieillards possèdent le savoir théorique, le jugement et sont capables de bon conseil. Pourtant le moment d'apparition de ces diverses dispositions ne doit pas être considéré comme universellement déterminé, mais doit en réalité être corrèlé au développement harmonieux de la personnalité. L'adolescence est la période la plus difficile et beaucoup d'attention doit lui être consacrée afin d'éviter les erreurs de l'enfance (qui ne sont pas des fautes!) et celles de l'âge mûr, en particulier les passions trop fortes. Jamais la violence ne doit être employée, même la violence verbale doit être évitée. De toutes façons se bien conduire est l'idéal de l'amour, de la beauté et du savoir, seuls biens dignes d'intérêt, au contraire de ce que pense le vain peuple. (retour au texte)
4:...είναι διο πολλοί φασι των
σοφών οι τας αληθινές φύσεις εν τοίς ρυθμούς και τους μέλεσιν οργής
μεν αρμονίαν είναι την ψυχήν, οι δ' έχειν αρμονίαν
selon les uns il y a identité entre âme et harmonie, mais pour les
autre l'âme est douée (entre autres) d'harmonie. (retour
au texte)
5: Cette façon de faire peut nous paraître bien primitive, mais est-elle si éloignée de l'engouement récent pour de grossières analogies plaquées sur le réel et qui expliquent toutes choses par des "catastrophes", ou plus grossièrement encore par des "structures dissipatives" ou les vertus dormitives de l'"auto-organisation" ? (retour au texte)
6: Il semble que la caractéristique principale du Γνωμών soit la présence d'un angle droit (on retrouve là une préoccupation qui conduisit certainement au théorème de Pythagore), et la récurrence qui permet de conserver la même forme par homothéties successives, en ajoutant une "équerre" à chaque nouvelle figure. Pour cette raison aussi le Γνωμών était sans doute un instrument, peut-être une équerre, utile au repérage des terres et à l'architecture. (retour au texte)
7: Analogie explicative longuement reprise par Platon dans le Timée, et qui pourrait servir de thème à des analogies contemporaines comme celles que développe René Thom dans sa théorie des catastrophes. (retour au texte)
8: Les deux premières sont connues de tous. Une progression harmonique serait : etc..; la moyenne harmonique tire son nom du fait qu'elle donne les rapports numériques des trois principaux intervalles musicaux, obtenus à partir des notes produites par des cordes dont les longueurs se trouvent dans les rapports 6:3 = 2:1 (octave); 6:4 = 3:2 (quinte); 4:3 (quarte). (retour au texte)
9: Philolaos ne choisit pas la Dyade comme principe engendrant le Non-Limité mais la Décade. Ce choix correspond à la très longue tradition orientale qui avait conduit à utiliser le Tétractys comme symbole de la secte et aussi à engendrer le monde avec dix paires d'opposés. Philolaos justifie ce choix par un argument anthropologique, comme le rapporte DK A13 en remarquant que non seulement les Grecs mais tous les hommes comptent en donnant un rôle particulier au chiffre dix. (retour au texte)
10: D'ailleurs on peut à nouveau s'assurer de l'importance majeure de la Décade : le tétraèdre a quatre faces et six côtés, ce qui donne dix. (retour au texte)
11: Ce qui entraîne que la géométrie est
la reine des sciences:
γεωμετρια ἀρχη και μητροπολις ... των ἀλλων [μαθηματων].
(retour au texte)
12: Faut-il rappeler ici la quête à laquelle nous avons assisté autour de la dixième planète ? (retour au texte)
13: Il y a un peu plus de cent ans, dans son Astronomie Populaire Camille Flammarion imaginait ce qu'étaient les sélénites. Et les martiens ont débarqué sur la Terre, par la volonté d'Orson Welles, il n'y a pas si longtemps... (retour au texte)
14: On donne aujourd'hui la valeur de 365 jours 5 heures 48 minutes et 46 secondes pour l'année solaire. (retour au texte)
15: Ce type de placage qui consiste à déformer le réel pour l'ajuster à un modèle théorique, perçu comme "intuitif" ou "révélé" est encore de nos jours un puissant moteur. Nous en verrons sans cesse des exemples. (retour au texte)
16: "Eh bien! Quand j'étais jeune, poursuivit Socrate, c'était merveilleux, Cébès, la passion que j'avais pour ce type de connaissance qu'on appelle Histoire de la Nature. Elle me paraissait en effet d'une beauté éclatante: on connaît les causes de chaque chose, en vertu de quoi chacune vient à l'existence, en vertu de quoi elle meurt, en vertu de quoi elle subsiste! Et, bien souvent, il m'arrivait de me mettre sens dessus dessous en examinant des questions comme celle-ci: est-ce à la suite d'une certaine putréfaction, à laquelle participent le chaud et le froid, que, comme certains le prétendent (Archélaos), se constituent les animaux ? Ou encore, est-ce le sang (Empédocle) qui fait que nous pensons, ou bien l'Air (Anaximène) ou le Feu (Héraclite) ? Ou bien n'est-ce aucun de ces éléments, mais plutôt le cerveau (ἐγκεφαλον) en donnant naissance aux sensations de l'ouïe, de la vue, de l'odorat, sensations qui, à leur tour engendreraient la mémoire (μνήμη) et l'opinion (δόξα), tandis que de la mémoire et de l'opinion, lorsqu'elles auraient acquis la stabilité, naîtrait une connaissance, grâce aux sensations". Platon, Phédon 96 abc et DK A 11. 35 (retour au texte)
17: On retrouve ici une préoccupation qui n'a cessé de hanter les meilleurs mathématiciens - et Archytas était certainement un très grand mathématicien - comme on peut le voir aujourd'hui dans l'oeuvre de René Thom ou de ses imitateurs. (retour au texte)
Troisième chapitre: les philosophes devins