La victime dans le procès pénal

La victime dans le procès pénal

  • Le principe de séparation entre l’action publique et l’action civile.

  • On appelle action publique la procédure consistant à établir :

    - l’existence d’une infraction, et son imputation à une personne déterminée,

    - le cas échéant le jugement de cette personne, et, si elle est alors reconnue coupable, sa condamnation à une peine.

    L’action civile est la procédure consistant à établir :

    - Le préjudice subi par la victime de l’infraction,

    - le versement de dommages et intérêts.

    L’action civile est exercée par la victime ou par ses ayants droits (ce qui pose la question de savoir qui est victime d’une infraction). En revanche, l’action publique est entièrement exercée par le ministère public, ou « parquet ». Le parquet est la partie de la magistrature en charge de la poursuite des délinquants. Ils sont indépendants des magistrats du « siège » (ceux qui jugent), du juge d’instruction ainsi que de la partie lésée (la victime). En tant qu’institution publique, il agit « au nom de la société » ; c’est toujours la société en son entier, ou l’Etat, qui inflige des peines, pour avoir transgressé la loi pénale. Les victimes n’ont donc, en principe, aucun rôle dans la punition, c'est-à-dire dans l’attribution des sanctions pénales.

    Pour jouer malgré tout un rôle fort dans la procédure pénale, la victime dispose de la possibilité de se constituer « partie civile » (La constitution de partie civile est facultative ; elle peut se faire au moment du dépôt de la plainte, et tout au long de l’instruction). Mais cela ne remet pas en cause, du moins en principe, cette séparation. Car, plutôt que d’ajouter une troisième partie au sein de la même procédure (en l’occurrence l’action publique), la constitution de la partie civile crée une nouvelle procédure : l’action civile. Son déroulement sera parallèle à celui de l’action publique ; mais sans pour autant se confondre avec elle. Car la partie civile n’a pour fonction que de défendre au procès les intérêts civils de la victime, c'est-à-dire que la partie civile ne doit plaider que sur le préjudice et la réparation (les dommages et intérêts), alors que l’infraction et la peine sont l’objet du seul réquisitoire du procureur (représentant du parquet au procès). C’est pourquoi, lorsqu’un procès pénal a lieu avec partie civile, c’est en réalité deux procès qui se jouent en même temps. Il est alors possible de distinguer d’un côté la partie pénale du procès pénal, et de l’autre sa partie civile ; et le juge sera amené à se prononcer à la fois sur le criminel (la peine) et sur le civil (les dommages et intérêts).

    Aussi, quand les associations de victimes se plaignent du fait que les victimes sont « tenues à l’écart » de l’instruction, il ne faut pas oublier que cette attitude (sans porter de jugement sur elle) correspond à un principe fondamental du droit pénal. Lorsqu’on parle alors d’une façon plus ou moins vague d’une amélioration nécessaire du « droit des victimes », se pose donc la question précise de savoir dans quelle mesure il faut maintenir ferme cette séparation. Pour décider de ce problème délicat, il faut avant tout remarquer que cette séparation repose sur une série de motivations qui concernent la conception de la peine et de son sens. En effet, elle correspond d’abord à l’idée que la peine ne sert pas à dédommager la victime, ou à réparer le préjudice qu’elle a subi, mais bien à punir ceux qui ont transgressé la loi pénale. Ensuite, en se présentant comme une sanction infligée par l’Etat, au nom de la société en son entier, elle se sépare nettement du modèle de la vengeance personnelle, dont se rapprocherait à l’inverse un modèle où la peine serait infligée à l’accusé au nom de la victime, c'est-à-dire dans une relation de personne privée à personne privée et non de personne privée à collectivité publique.

    Après avoir précisé qu’en principe, la fonction de la partie civile se cantonne à la défense des intérêts civils de la victime, et est donc censé demeurer entièrement distinct du problème de la peine, on est bien obligé d’avouer que ce principe est loin d’être suivi dans les faits. Souvent en effet la partie civile déborde de la seule question de la responsabilité civile de l’accusé, pour intervenir au moment du procès sur la question de la peine. Comme cet empiètement des parties civiles sur le terrain pénal n’est pas prévu par les lois, il relève entièrement de la pratique. Il faudrait donc se demander si ces pratiques ont évolué, et tenter le cas échéant de tracer les lignes de cette évolution.

  • Qui peut se constituer partie civile ?

  • L’article 2 du code de procédure pénale, qui définit l’action civile, précise qu’elle appartient à tous ceux qui « ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction. »

    La première remarque à faire est que l’action civile est facultative. Aussi, les procès avec partie civile ne représentent qu’une minorité des procès pénaux. Du point de vue de la qualité de l’infraction, les crimes, jugés devant une cour d’assises, sont évidemment bien plus concernés que les délits, mais ils ne constituent pas plus de 5 % des infractions. D’autre part, certaines infractions, par leur nature même, mettent spontanément la victime au centre de la procédure, car elles la lèsent très lourdement quant à son intégrité physique (les agressions violentes avec coups et blessures), son intégrité psychologique (les crimes sexuels) ou ses intérêts financiers (les escroqueries).

    Le problème réside ensuite dans l’interprétation de l’expression : « ceux qui ont personnellement souffert de l’infraction ». Ainsi dans le cas d’homicides, la famille, et le conjoint, ou éventuellement, (depuis peu ?) le concubin, peuvent se constituer partie civile. Du point de vue de la loi, la victime ne se réduit pas à l’individu qui a subi, pour ainsi dire, matériellement, l’infraction ; et le problème de savoir jusqu’où s’étend la sphère des victimes d’une infraction est un problème qui reste discuté.

    En 1972, une loi introduit l’article 2-1 qui ouvre à toute association régulièrement déclarée depuis plus de 5 ans, et dont l’objet est de lutter contre les discriminations raciales, la possibilité de se constituer partie civile dans les procès jugeant une infraction commise envers une personne en raison de son appartenance ethnique. Des lois ultérieures ouvrent cette possibilité pour une longue série d’autres infractions (Affaires sexuelles, toxicomanie, terrorisme, accidents du travail, infractions contre les handicapés, les enfants, mais aussi atteintes à l’honneur des déportés et des résistants, etc. Le dernier article de cette série est le 2-21, introduit en 2004, pour les infractions contre le patrimoine national), si bien les associations qui inscrivent à leurs statuts l’assistance aux victimes d’infractions ont aujourd’hui la possibilité de se constituer partie civile dans un très grand nombre de procès.

  • Quels sont les droits de cette partie civile ?

  • Le « procès pénal », au sens large, se décompose en une série d’étapes : il commence avec le déclenchement de l’action publique, implique éventuellement une instruction, pour se clore par le procès proprement dit. Mais il n’y a pas seulement lieu de préciser le rôle que peut jouer la partie civile sur chacune de ces étapes ; on peut aussi présenter le rôle que celle-ci joue après le procès, en faisant appel de la décision de la juridiction, ou dans l’application de la peine.

  • Le déclenchement de l’action publique.

  • La victime a deux moyens pour déclencher l’action publique : la plainte, transférée au procureur de la république, qui décide s’il y a lieu ou non de poursuivre.

    La citation directe (qui consiste à citer la victime directement devant la juridiction compétente).

    Dans le cas de la plainte, la victime a la possibilité de se constituer partie civile ; elle peut le faire aussi pendant toute la durée de l’instruction. Mais si la victime décide plutôt d’exercer l’action civile devant une juridiction civile, ou si elle décide tout simplement de ne pas demander de réparation, alors la victime disparaît complètement dans la procédure pénale. Au moment du procès, elle sera alors soit complètement absente, soit présente à titre de témoin ou simplement de public, assise sur les mêmes bancs que les autres témoins et les autres spectateurs.

  • L’instruction.

  • Le droit de la partie civile dans l’instruction a été singulièrement renforcé par la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence et le droit des victimes. L’article 82-1 précise maintenant que la partie civile peut, comme les autres parties, demander par écrit aux juge d’instruction d’effectuer certains actes qui lui paraissent nécessaires (auditions de témoins, transport sur les lieux, etc.) Lorsque le juge d’instruction décide de ne pas donner droit à cette demande, il doit motiver sa décision dans une ordonnance. Il est donc reconnu un droit à la partie civile de peser dans l’instruction, qui concerne bien la responsabilité pénale de la personne mise en examen (et non simplement sa responsabilité civile).

    Surtout, la loi introduit l’article 81-1, qui permet à la partie civile de faire procéder à des actes visant à établir la nature et l’importance du préjudice. Le juge d’instruction se voit donc confier une mission qui dépasse la seule sphère pénale, pour servir les intérêts civils de la victime.

    Enfin, la loi a introduit dans l’article préliminaire du code de pr. pén. une déclaration sur la nécessité d’informer les victimes du déroulement de l’instruction ; et a concrétisé cette exigence en introduisant une

  • l’audience.

  • Dans ce domaine aussi la loi de 2000 a contribué à augmenter les droits de la partie civile. Elle introduit, dans l’article 442-1, la disposition suivante : « Le ministère public et les avocats des parties peuvent poser directement des questions au prévenu, à la partie civile, aux témoins, et à toutes les personne introduites à la barre, en demandant la parole au président. » le principe est donc que les parties se trouvent pendant les débats sur un pied d’égalité ; elles peuvent toutes deux poser des questions aux témoins, en convoquer à la barre, réclamer l’examen de nouvelles pièces, etc.

    Ce nouvel article a beaucoup changé la physionomie des débats, car, avant son introduction, les parties ne pouvaient poser de question que par l’intermédiaire de président. La possibilité pour les parties de s’adresser directement aux personnes interrogées rend les débats plus vifs, et augmentent la place des parties (et en particulier de la place de la partie civile au procès). Par exemple, Daniel Soulez-Larivière, très critique vis-à-vis de cette tendance, se plaint, dans son ouvarge Notre justice (Robert Laffont, 2000) de ce que, dans ces circonstances, assurer la défense de l’accusé est devenu particulièrement difficile devant les « associations de victimes, puissamment organisées, relayées et encouragées par les médias et qui exercent une dictature sur le procès et réussissent à le dominer. »

    En plus de ce changement légal s’opère aussi une transformation de la pratique judiciaire. La loi reconnaît une place plus grande à la partie civile, et a singulièrement augmenté ses possibilités d’intervenir dans la procédure pénale. Toutefois, ces évolutions législatives ne remettent pas en cause le principe de séparation entre l’action civile et l’action publique. Ainsi, en théorie, les parties civiles sont cantonnées dans la question de la réparation du dommage, et ne sont toujours pas censées se prononcer sur la sanction pénale. Mais ici, la relative discrétion de la loi, qui sans autoriser les parties civiles à se prononcer sur la question de la peine, ne le prescrit pas non plus expressément laisse une marge de liberté qu’ont abondamment exploité les avocats des parties civiles. Comme on quitte ici le domaine du droit pour entrer dans celui d’une pratique non codifiée, on ne peut guère l’apprécier autrement qu’en s’en remettant aux témoignages des professionnels (car en France, à la différence des Etats-Unis, les audiences au procès sont strictement orales, et ne font pas l’objet d’une prise de notes.) Or ces témoignages, qu’ils viennent des magistrats ou des avocats, sont unanimes sur ce point : les parties civiles ne cessent de s’avancer dans la sphère pénale du procès, et les plaidoiries des avocats en faveur du dédommagement de la victime, se transforment de plus en plus en réquisitoires contre l’accusé. (voir par exemple, dans le dossier Dalloz la victime et la sanction pénale, les interventions du premier président de la cour d’appel de Paris, J-M Coulon : l’entrée de la victime dans la sphère pénale du procès ; du journaliste M. Peyrot, « la stratégie médiatique des victimes et de leurs avocats » ; ainsi que celle de Me Douarre, « Les aspects déontologiques de l’intervention de l’avocat dans le procès pénal », qui se demande si l’avocat de la victime, avec la loi de 2000, n’est pas en train de se transformer en « procureur bis ». Enfin, dans le dossier des AJ pénal, Alain Blanc, président de la cour d’assises de Paris, estime que : « si certains des avocats des parties civiles cessaient de réclamer une condamnation - qui plus est, en précisant qu’elle soit lourde, au nom du deuil nécessaire de leurs clients, tout le monde, y compris le débat judiciaire y gagnerait en dignité. »)

    Les raisons qui peuvent expliquer cette évolution nette du déroulement du procès pénal, et du rapport de force qui le compose, sont nombreuses et difficile à saisir.

    Le motif qui peut inciter la partie civile à s’aventurer sur le terrain pénal traduit le sentiment d’insatisfaction des victimes à l’égard d’une simple indemnisation. Si les parties civiles tiennent tant à tenir une place dans la sanction, c’est bien que la sanction de l’auteur est perçue comme une meilleure réparation, sur le plan psychologique, qu’une simple indemnisation financière. Or, à partir du moment où on considère que c’est la sanction elle-même qui constitue le moyen de réparer le préjudice subi par la victime, il devient très difficile, sinon impossible, de maintenir la séparation entre la réparation et la sanction (c'est-à-dire entre actions civile et publique). Après, la question de savoir si ce qui soulage la victime, c’est le fait d’être reconnu, ou le sentiment d’avoir sa part à la sanction, de pouvoir avoir le sentiment que c’est elle, dans une certaine mesure, qui punit la personne qui lui a causé du tort, appartiennent à la psychologie, et dépend aussi largement de la personnalité de la victime elle-même.

    Ensuite, il faut se demander ce qui explique la tolérance des magistrats vis-à-vis des parties civiles qui sortent de leur rôle en principe exclusivement civil. Cette tolérance manifeste la prise en considération du changement du sens et de la fonction du procès pénal. De plus en plus, le procès sert à reconnaître et à réparer le préjudice subi par la victime. En face de cette montée en puissance des victimes, les magistrats peuvent avoir le sentiment que c’est une évolution normale, et qu’il n’y a aucune raison de ne pas y faire droit ; mais ceux qui la désapprouvent s’oppose aussi à la force des associations de victimes, et indirectement de l’opinion publique sensibilisée par les médias à la cause des victimes.

  • Après le procès.

  • La partie civile ne peut interjeter appel de la décision que quant à ses intérêts civils (c'est-à-dire seulement quant au montant des dommages et intérêts.

    Ensuite, la référence à la victime intervient dans l’exécution de la peine. L’article 132-43 du c. pr. pén. conditionne la dispense ou l’ajournement de peine au versement intégral des dommages et intérêts.