Une lecture commentée du site de l'association "Teach for France" / "Le Choix de l'école"


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"Teach for France", membre du réseau "Teach for All" émanant lui-même de l'association américaine "Teach for America" créée en 1990, développe une rhétorique anxiogène au sujet des failles de l'Education nationale et se propose d'y remédier en recrutant "de jeunes diplômés" pour les envoyer dans des établissements difficiles avec pour but affiché de leur donner envie de rester enseignants. Le système éducatif français est certes perfectible (et je ne suis pas le dernier à critiquer ses défauts). Seulement voilà : dans ce cas précis, une lecture un peu attentive du site de l'association laisse penser que le "remède" a de fortes chances d'être bien pire que le mal. Un peu de lecture au sujet des "exploits" des autres organisations du même réseau dans d'autres pays montre que c'est loin d'être une supposition en l'air : à l'étranger, c'est déjà une réalité des plus sordides.
Cette analyse se fonde sur la consultation du site Internet de "Teach for France" le 10 août 2016. Vous pouvez consulter une archive de son état du 4 mars 2016 sur l'Internet Archive.
Vous trouverez aussi sur cette page des liens vers des articles et témoignages analysant les associations-membres du réseau "Teach for All", ainsi qu'une bibliographie.

2016 : La page d'accueil du site

La page d’accueil du site déploie une rhétorique bardée de chiffres dénonçant les failles du système éducatif français. Voyons cela. Le gros titre de la page consiste à dénoncer « des inégalités sociales marquées et croissantes ». Trois chiffres sont présentés au-dessous, ce qui laisse penser qu’il s’agit d’arguments à l’appui de cette thèse. Lisons. Trois chiffres hors-sujet ou extrapolés, une rhétorique qui ne repose sur aucune argumentation sérieuse, et cela alors même qu’il y aurait toutes sortes de moyens de dénoncer réellement les inégalités sociales à l’école en France, moyennant un minimum de documentation sur ce domaine. L’argumentaire de la page d’accueil trahit donc une connaissance très superficielle du sujet et une mise en avant de slogans et de chiffres qui ne supportent pas une lecture un minimum attentive. Ça commence bien.

La suite de l’argumentaire présent sur la page d’accueil a de quoi surprendre pour qui travaille dans l’enseignement. Le texte mobilise les procédés de l’épopée en évoquant un « défi » : curieuse conception de l’enseignement qui met en valeur la personne de l’enseignant et pas du tout les buts de l’enseignement proprement dit.
Les raisons invoquées pour rejoindre le programme vont du fragile au franchement déplacé. S’il s’agit de « contribuer au développement de son pays » ou de « rendre au système éducatif ce qu’il vous a donné », autant travailler directement pour le ministère de l’Education nationale. Mais voilà que l’association propose de « développer son leadership » (mot qui revient souvent sur le site). Or cela n’est pas et ne doit pas être le but d’un enseignant, pour qui l’exercice de l’autorité sur un groupe d’enfants ne doit surtout pas être une fin en soi. Un enseignant n’est pas un meneur d’hommes ! Il y a ici un problème éthique majeur. Et je suis de plus en plus sceptique sur la capacité d’une organisation pareille à former des enseignants capables de répondre aux exigences éthiques qui sont la condition sine qua non à un enseignement public convenable.
Quant au savoir, à l’éthique de l’enseignement, à la prise en charge d’enfants, à la formation de citoyens et aux valeurs républicaines, il n’en est absolument pas question.

2016 : la page de présentation de Teach for France

Nous passons à la page de présentation simplement intitulée « Teach for France ». On y apprend qu’il s’agit d’une association loi 1901. Elle dit opérer « à l’exclusion de tout but lucratif et en dehors de tout esprit d’appartenance philosophique, religieuse ou politique ». Voici une revendication de neutralité bien difficile à tenir… et surtout, complètement déplacé. C’est que l’Education nationale implique bel et bien un esprit d’appartenance philosophique et politique : l’attachement à la République française, à son histoire, à ses valeurs fondamentales et à la mission du service public (l’école gratuite, laïque et obligatoire). C’est même en partie cela que l’Inspection vérifie, et il y a régulièrement dans les faits divers des anecdotes portant sur des enseignants écartés de l’Education nationale en raison de propos racistes ou xénophobes, sans parler des royalistes occasionnels. Dans sa frénésie à montrer patte blanche, Teach for France mine sa propre crédibilité et trahit encore une fois sa méconnaissance du domaine où elle prétend opérer.
Enfin, pour ce qui est du but politique, les dénégations de "Teach for France" ne doivent pas faire oublier que l'organisation-mère du réseau "Teach for All", à savoir "Teach for America", mène bel et bien une activité de lobbying politique intense qui est de plus en plus évidente et de plus en plus dénoncée aux Etats-Unis.

Quand l’association « Teach for France » a-t-elle été créée ? Pas d’informations là-dessus. Un tour sur la Wikipédia en anglais apprend que l’association a été créée en 2015 : elle est donc toute récente, à peine un an d’existence. Autant dire qu’elle se met à peine en place. Rien de blâmable là-dedans en soi, mais pourquoi dissimuler cette information factuelle basique ? Pour passer pour plus anciens et plus expérimentés qu’ils ne sont ?
Peut-on accéder aux statuts de l’association via son site ? Non.
Y a-t-il des indications permettant d’adhérer à l’association ? Non. On peut seulement s’inscrire pour suivre son programme. Curieux.
Une association pareille, proposant un programme d’accompagnement aussi lourd, ne peut qu’engager des dépenses très élevées. Le site fournit-il des informations sur ses modes de financement (cotisations, dons, subventions) ? Non. Et là, cela devient franchement opaque.

La page mentionne simplement que l’association fait partie du réseau Teach for All, lui-même émanant de Teach for Amercia, association créée en 1990. L’association française reçoit-elle des fonds de la part de Teach for All ? Quelles sont ses relations exactes avec les autres associations du réseau ? Rien là-dessus.

Jetons maintenant un œil à la fin de la page, qui présente la composition du conseil d’administration de Teach for France.
Voilà un CA bien affairiste et extraordinairement commercial pour une organisation qui affirme œuvrer « à l’exclusion de tout but lucratif ». Voilà aussi un CA bien peu compétent en matière de recrutement d’enseignants, puisqu’aucun de ses membres ne possède le moindre diplôme de recrutement de l’Education nationale française (ni un diplôme équivalent d’un autre pays) et qu’aucun non plus n’a d’expérience de l’enseignement dans le secondaire. On sent ces gens bien armés pour communiquer et gagner de l’argent (dans une organisation non lucrative ?) mais on se demande comment ils pourront recruter convenablement de futurs professeurs puisqu’ils ne maîtrisent ni les connaissances de fond, ni les méthodes propres à ce domaine et qu’ils n’en ont aucune expérience. Accessoirement, une seule personne parmi les six membres du CA (Emmanuelle Wargon) a un tant soit peu travaillé dans le social, et elle est secrétaire, c’est-à-dire pas un grand poste à décisions. C’est bien peu pour une association qui se présente comme une championne de l’égalité des chances.

Passons à « l’équipe », maintenant :
Et voilà. En commençant cette petite recherche, je craignais que Teach for France ait peu de crédibilité dans ses prétentions à recruter de futurs enseignants et à les proposer à l’Education nationale. En réalité, ce n’est pas peu, c’est aucune. Ces gens n’ont tout simplement pas la moindre idée du domaine auquel ils prétendent contribuer. Rien en matière de connaissances de fond, rien sur les exigences propres à l’enseignement secondaire, rien sur les méthodes pédagogiques.

Je plains les futurs enseignants qui seront « formés » par une organisation pareille. Ils auront droit à beaucoup de communication et deviendront sans doute d’excellents meneurs d’hommes (pardon, d’enfants, mais là encore Teach for France ne semble faire aucune différence puisqu’aucun de ses membres n’a de formation ni d’expérience dans la prise en charge d’enfants), mais ils ne seront absolument pas préparés à enseigner selon les exigences normales de l’Education nationale.

2016 : le programme

La page « Programme » n’est guère plus rassurante sur les compétences de l’association.

J’ai déjà commenté le caractère fragile voire déplacé de l’argumentaire promotionnel en faveur du programme. Passons à ses modalités pratiques : comment Teach for All pense-t-il soutenir l’Education nationale en France ? Nous allons voir que ses méthodes sont quelque peu étranges.
Y a-t-il un critère d’âge pour s’assurer que les « jeunes diplômés » dont le site nous rebat les oreilles soient réellement jeunes (je rappelle qu’on peut tout à fait décrocher brillamment un master en reprise d’études) ? Non. Donc ils pourront aussi être vieux et il n’y aura pas de jeunisme déplacé. Ou alors le comité de sélection tranchera à vue de nez en toute subjectivité. Ni clair, ni professionnel, et là encore le mot « jeune » est là pour la comm’.

Quant aux modalités de la sélection (il faut comprendre ici : les épreuves de sélection, mais la pertinence du vocabulaire n’est pas le fort de ce site), elles sont assez floues. On ignore la durée des « exercices de mise en situation » tout comme celle de l’entretien individuel. On ignore qui exactement au sein de Teach for France est chargé de les faire passer, ni combien de membres compte le comité de sélection et quelles sont réellement leurs compétences dans ce domaine précis. On ignore même ce qu’un candidat est censé faire lors d’un « exercice de mise en situation en salle de classe » : improviser un cours ? Montrer sa capacité à tenir une classe (Teach for France recrute-t-elle aussi des figurants pour simuler une classe de 28 collégiens ?).

Mais tout va bien, la sélection pour la première année est déjà fermée et on nous promet bientôt l’ouverture de celle qui concernera la « cohorte 2017-2019 ». Oui, car les enseignants sont comparés à des légionnaires romains et forment donc des « cohortes » (il est vrai que l’école et l’armée, c’est tout pareil). Ah, et la sélection a été annuelle cette année mais sera tri-annuelle l’an prochain : vous trouvez ça peu clair ? Moi aussi.

Au fait, combien y a-t-il de places ouvertes au recrutement chaque année ? On n'en sait rien. Combien de candidats y a-t-il eu cette année ? On n'en sait rien non plus. Combien de personnes effectivement recrutées par rapport au nombre de places ouvert ? Nada. On critique autant qu'on veut les concours de la fonction publique en raillant sur les postes non pourvus, mais un gros avantage de ces concours, c'est qu'ils sont contraints à la plus grande transparence et que ce type d'information est public. Teach for France est loin de pouvoir en dire autant. Et l'opacité sur ce type d'information, c'est la porte ouverte au magouillage statistique. C'est aussi un cache-misère grossier pour dissimuler les possibles difficultés de recrutement rencontrées par l'association, alors qu'une structure véritablement saine rendrait tout cela public dans les comptes rendus des AG. Et là, c'est vraiment surprenant de la part d'une équipe qui compte autant de membres occupant ou ayant occupé des postes dans les hautes administrations. Un petit rappel sur la reddition des comptes en Grèce antique, peut-être ?

Supposons qu’on soit recruté. En quoi consiste cette formation et comment vole-t-on au secours de l’Education nationale ?
En devenant enseignant contractuel, directement à temps plein (sur quelle base ? 15h comme les agrégés ? 18h comme les certifiés ?). Teach for France a décidément très confiance en ses « jeunes diplômés », puisqu’elle leur impose d’emblée une charge d’enseignement très lourde pour des débutants, bien plus que ce qui est demandé aux enseignants stagiaires qui arrivent dans l’Education nationale après avoir passé le CAPES ou l’agrégation !
Où enseigneront les candidats recrutés ? Dans des établissements REP, les plus difficiles, où une heure de cours vous épuise comme trois. Le tout, encore une fois, en y étant envoyé par des types qui n’ont aucune expérience ni de l’enseignement secondaire, ni du social, ni des banlieues concernées. Ça promet.
Quant au statut d’enseignant contractuel, ce n’est pas compliqué, c’est le statut le plus précaire dans l’Education nationale. Difficile de faire autrement… attendez, en fait, si, on peut se faire directement recruter par l’Education nationale. Ce qui doit être très faisable quand on est un « jeune diplômé » titulaire d’un master avec « d’excellents résultats universitaires ». Donc encore une fois, Teach for France ne sert à rien… à part à précariser les gens.

Mais une seconde, il y a un programme d’accompagnement ! Quatre personnes, rien que ça. Ah, espérons qu’au moins il y a des enseignants, cette fois-ci.
Alors. « Un référent » désigné par l’Académie (donc la structure locale de l’Education nationale). Est-il enseignant ? Rien, tout est flou, là encore !
Un tuteur, ensuite. Enseignant ou ex-enseignant. Une seconde, donc il peut tout à fait ne plus avoir enseigné depuis vingt ans et donner des conseils à un prof débutant de nos jours ? Ça promet. Et qui le désigne ? L’Education nationale, au moins ? Non ! Teach for France ! Sauf que, comme on l’a vu, les gens de Teach for France ne connaissent rien à ce domaine. On peut donc légitimement se demander sur quels critères ils vont bien pouvoir recruter les candidats (sur leur bonne mine ? sur leur bagou ? sur leur docilité aux intérêts de l'association ?). Maintenant, que va faire ce tuteur enseignant ou ex-enseignant ? « Assister le participant dans la gestion de sa classe et de l’aider à faire face aux situations complexes auxquelles il est confronté ». Là encore, rien sur la formation aux connaissance de fond indispensables pour pouvoir enseigner quelque chose à quelqu’un (vous savez, quand on enseigne quelque chose, on est censé connaître le domaine en question avant… mais ça n’est pas important pour Teach for France !).
En plus de ça, « un tuteur issu de l’équipe de Teach for France ». Faites votre choix, vous préférez les commerciaux ou les spécialistes en aéronautique ? Quant au rôle exact de ce deuxième tuteur, rien dessus.
Attendez, il en reste encore un : « Un leadership mentor, issu du monde de l’entreprise. » Quel intérêt pour un prof débutant ? Aucun. C’est complètement déplacé.

Le pire est encore à venir. Une fois que les malheureux ont éclusé leurs 15 ou 18 heures de cours dans la semaine, ils ont un « accompagnement » tellement lourd que l’année de stage, à côté, c’est l’hibernation de la marmotte. Une séance individuelle hebdomadaire (« entre chaque participant et son tuteur », ah mais lequel ? Il y en a deux, vous avez dit… On ne saura pas, encore une fois c’est flou), une séance collective hebdomadaire, une observation de classe mensuelle et un séminaire trimestriel. Et la deuxième année c’est encore plus lourd avec les « séances bimensuelles » du leadership mentor.
Est-ce qu’au moins certains de ces rendez-vous impliquent le référent de l’Académie ? Non ! Tout ça prend place dans la structure Teach for France.
On a donc une « formation d’enseignants » qui prend entièrement place au sein d’une structure composée de gens qui n’y connaissent rien à l’enseignement secondaire ni à l’Education nationale, et où l’Education nationale n’a jamais son mot à dire. Cette formation n’est pas contrôlée, il n’y a aucune garantie donnée au Ministère ni aux citoyens qui vont confier leurs enfants à ces types.

Quel intérêt pour Teach for France et le monde de l’entreprise en général ? Evident : on prend un jeune diplômé brillant, on va le balancer en REP dans un collège super craignos où il va s’en prendre plein la gueule de la part des élèves, et comme il est bien fragilisé psychologiquement, on le maintient en permanence dans l’association, aux mains de types issus du monde de l’entreprise qui vont lui raconter ce qu’ils voudront en faisant tout pour prendre l’ascendant sur lui. A la sortie, ça donne des « enseignants » qui n’ont aucune formation réelle et qui sont menés par le bout du nez par cette association, laquelle ne présente aucune garantie ni aucune transparence. Si ça marche, ça donne des enseignants qui sont aux mains du monde de l’entreprise et qui doivent tout à son réseau. Et si ça ne marche pas, notamment en cas de gros incident en classe, rien n’empêche l’association de les laisser tomber, voire de se défausser sur le Ministère puisque c’est formellement lui l’employeur. Bref, Teach for France prend la gloire pour elle et laisse les problèmes à la fonction publique.

2016 : l'évaluation de l'impact et les "alumni"

La page détaillant l'évaluation de l’impact est une autre invention très drôle de "Teach for France" : elle consiste à définir elle-même les critères sur lesquels elle a envie qu'on l'évalue. Et comme on s’y attendait, "Teach for France" considère le système éducatif comme une simple boîte à bac. Aucune évaluation interne n’est prévue pour contrôler par exemple le niveau réel de connaissances des enseignants recrutés, ni leur bon respect des programmes, alors que c’est primordial à ce stade de leur formation et que tout enseignant stagiaire subit ce type de contrôle. C’est si caricatural que rien n’empêche de penser que ce tour de passe-passe a pour visée de contourner les contrôles habituels dans la formation des enseignants.

La page « Alumni » (notez l'anglicisme inutile) est courte, mais c’est elle qui en dit le plus long sur la visée réelle de l’association. Oh, bien sûr, les enseignants recrutés sont encouragés à « rester enseignants », ou plutôt, faudrait-il dire, à le devenir réellement, en passant les concours. Mais tout le reste, c’est-à-dire les quatre autres points, concernant tous l’exercice d’une influence au profit des intérêts de Teach for France, quels qu’ils soient. Tout est là : travailler dans l’encadrement en établissement (autrement dit, devenir principaux ou proviseurs), dans l’administration de l’Education nationale (autrement dit dans les rectorats voire dans l’Inspection, par des types qui n’auraient eu aucune formation d’enseignants réelle, rappelons-le), « œuvrer en faveur des politiques éducatives dans le cadre associatif », c’est-à-dire en substance servir les intérêts de l’association et de son réseau de connaissances pour influer sur les réformes de l’enseignement, et, bien entendu, prendre contact avec les mondes politique et médiatique. J’appellerais bien ça un cheval de Troie, s’il y avait une quelconque tentative réelle pour cacher quelque chose : là, c’est plutôt la stratégie du « plus c’est gros, plus ça passe ».

Sauf qu’à ce niveau d’incompétence, d’irresponsabilité et de prétention, ça ne passe pas.

2016 : conclusion

Résumons : Bref, ils sont incompétents et inexpérimentés. Et en dépit de ces failles béantes, qui seraient une cause de scandale et de démission si n'importe lequel d'entre eux s'avisait de recourir aux mêmes procédés dans le cadre de ses fonctions non-associatives, ils prétendent non seulement égaler l'Education nationale mais faire mieux !
Au passage, "Teach for France" ne se prive pas de récupérer allègrement et sans aucune autorisation l'image des jeunes diplômés des grandes écoles. Or, en dépit des clichés, ces élèves ne sont ni des surhommes ni des génies, mais des gens disposant d'une formation spécialisée qui ne les rend pas omnipotents - et ils n'ont jamais prétendu l'être. La rhétorique de "Teach for France" renforce ici délibérément des clichés faux et délétères, qui ne peuvent que nuire aussi bien aux futurs enseignants ainsi "formés" qu'à leurs collègues en installant un climat de concurrence qui n'a pas lieu d'être au sein des établissements scolaires. En outre, si je m'en tiens au cas de l'Ecole normale supérieure, les élèves de ces grandes écoles n'ont pas attendu des Pieds Nickelés pareils pour s'intéresser aux inégalités sociales et à l'enseignement par le biais de leurs propres projets et structures associatives, dont même les plus modestes apparaissent plus sérieux que "Teach for France". En effet, ces projets, si restreints soient-ils, ont sur "Teach for France" un avantage certain : ils s'intéressent sincèrement à la diffusion du savoir et aux élèves, et ne cherchent pas à pervertir le domaine de l'éducation pour en faire l'instrument de leur réseautage au service du privé et au mépris de l'intérêt général réel.

Au demeurant, les gens qui s'impliquent dans ce projet délirant feraient bien d'y réfléchir à deux fois : il a de telles allures de passoire quand on l'examine dès maintenant qu'il risque fort de se changer en casserole peu reluisante au bout de quelques années.

2018 : de "Teach for France" à "Le Choix de l'école"


En retournant sur le site de Teach for France aujourd'hui, j'ai été amusé. L'adresse teachforfrance.org m'a redirigé vers le site "Le Choix de l'école", à l'apparence complètement différente et au contenu complètement différent... du moins à première vue. Ouh, me suis-je dit, j'ai manqué des épisodes ! Vite, faisons un tour sur l'Internet Archive pour voir ce que j'ai manqué. Le 25 mai 2018, l'Internet Archive a enregistré un état du site qui montre le changement de nom de l'organisation : on voit écrit en gros sur l'en-tête "Le Choix de l'école" et en légèrement plus petit dessous "Teach for France". Le site conserve encore la même charte graphique que dans ses versions précédentes, avec teintes bleutées et photos de fond en noir et blanc. Le 9 août, la mention "Teach for France" disparaît du site au profit du seul nom "Le Choix de l'école".
Quelques mois plus tard, on a droit à un site aux couleurs et à l'habillage graphique entièrement changés. La page "A propos" nous apprend que l'association a été créée en 2015, mais pas qu'elle l'a été sous un autre nom. Tout lien avec l'ancien nom Teach for France ou avec l'organisation Teach for All est absent. Mais un simple coup d'oeil à la composition du Conseil d'administration suffit pour se rendre compte que les postes-clés sont toujours occupés par les mêmes personnes ("Laurent Bigorgne, président", "Emmanuelle Wargon, vice-présidente et trésorière", "Patricia Barbizet, administratrice", "Bernard Ramanantsoa, administrateur").
Bref, une opération de communication, et plus précisément d'enfumage, destinée à masquer les liens entre l'organisation française et le reste de l'organigramme international de Teach for All. Mais plus ça change, plus ça reste la même chose ! Tenez, allez donc lire la page "Processus de sélection". Vous y lirez dans "Etape 1. Admissibilité" qu'il faut commencer par remplir une candidature en ligne, puis viendra la case "Etape 2 : Admission" qui vous explique que "Les candidats admissibles participent à une journée d’évaluation" etc. Vous ne trouvez pas qu'il manque quelque chose entre les deux ? Oui, des renseignements sur les critères d'admissibilité, par exemple : ce qui fait que tel dossier va être admissible et tel autre non. Opaque ? Mais oui, aucun doute, "Le Choix de l'école", c'est toujours la même tambouille de réseautage que "Teach for France" et c'est toujours aussi... inadmissible.

Liens externes

Voici des liens vers d'autres analyses portant sur Teach for France et sur le réseau Teach for All. Naturellement, les articles portant sur les organisations "Teach for..." d'autres pays doivent être replacés dans le contexte propre aux structures éducatives des pays en question.

Au sujet de Teach for France / Le Choix de l'école :
Au sujet de Teach for America et des autres organisations du réseau Teach for All :

Bibliographie


T. Jameson Brewer er Kathleen deMarrais, Teach For America Counter Narratives: Alumni Speak Up and Speak Out, New York, Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, Oxford, Wien, 2015, ISBN : 9781454192572. (Hashtag sur Twitter : #TFACounterNarratives)?


Page rédigée en août 2016.
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