Loquerisne latine textorum ?


“Parlez-vous SMS ?”, qu’ils disent. Peuh ! Phénomène de mode insipide et passager. Mais tout khâgneux qui se respecte vous le dira : la langue la plus pratique pour écrire des texto, de nos jours comme dans l'Antiquité, c’est le latin. Plus encore que l’anglais, sa concision se révèle précieuse quand s’approche la limite fatidique des 160 caractères par message. C’est de plus une langue agréable et connue de (presque) tout le monde. Mais surtout, la pratique du SMS en latin offre au rédacteur une jubilation quasi insane que seul un Lettre classique trop longtemps nourri de parts de Quicherat peut comprendre : adieu la période cicéronienne, gloire à la brevitas du style, aux innovations lexicalo-morphologiques débridées et aux pires hérésies syntaxiques. Il en résulte des choses bizarres, même pour un latiniste. Attention donc aux âmes sensibles, la plupart des formules qui suivent sont, dirons-nous pudiquement, "non classiques".

X Y sal. d. (ou s. d., pour salutem dat) : “X salue Y”. Formule latine de début de lettre, pratique en SMS car elle permet de savoir tout de suite qui vous écrit. On croise aussi l’hellénisme “Khairé !” pour “salut”. De plus en plus courant, hello est un faux ami : en latin ce n'est pas une interjection mais un verbe transitif (aliquem hellare), il est donc obligatoire d'écrire non pas hello mais te hello (nombreux oublis inacceptables).

Vale ! “Porte-toi bien”, formule de fin de message. Si la personne vous déteste, elle écrira à la place vahe !, “sois maudit”, et prétextera une malencontreuse erreur de frappe.

S v b e e v : Abrévation sybilline pour si vales bene est ego valeo (si tu vas bien, tant mieux, moi ça va). Réservé aux initié(e)s.

Gratias tibi ago ! Je te remercie. On trouve parfois muchas gratias, sans doute un hispanisme tardif.

Optime ! "Trop bien !" (connu de Molière, Le Malade imaginaire ; la scène où le fils Diafoirus appelle son père sur son portable ayant déchaîné les foudres des dévots devant l'emploi sur scène de cet artefact "diabolique", contraire à la fois aux règles de la bienséance et de l'unité de lieu, Molière dut modifier la scène pour faire apparaître le père médecin en chair et en os, mais le vocabulaire SMSien est resté, de même que la pourtant fort iconoclaste réplique "Baiserai-je ?" etc.)

Super ! attention, faux-ami : super ne veut pas dire "super" mais "au-dessus". Enfin... en théorie.

Bussum : composé tardif de sum (bussum, busse) : “je suis dans le bus”. Attention au parfait irrégulier buffui et à ses nombreuses contractions en bufui, buffi, voire Buffy (toujours avec majuscule dans cette variante).

Pepito : 2e p. sg. de l'impératif futur de pepito, are, verbe à l'histoire longue et complexe devant l'étymologie duquel même les plus vigoureux héritiers de Saussure et de Benvéniste ne peuvent que rester chocolat. On a suggéré timidement qu'il pouvait provenir d'une onomatopée, mais  bien entendu ça ne résout rien. Le sens premier semble avoir été "manger des gâteaux au chocolat", mais dès l'époque archaïque on rencontre un second sens aberrant "lacet de la chaussure de laine du sabot arrière droit d'un des chevaux d'Achille dans l'Iliade (chant Rhô)" et même une ou deux occurrences d'un troisième sens "faire du bruit en se grattant le dos par dessus son armure" (deux occurrences dans une traduction latine obscure de la Prise de Troie) aussitôt supplanté par un quatrième sens "prendre quelqu'un pour un crétin fini (perstultissimum aliquem existimare)". Les sources érudites sur ce mot sont multiples et contradictoires, il est donc probable que vous entendrez ailleurs des explications complètement différentes. On s'explique mal comment cette, heu, chose linguistique est parvenue jusqu'à nos jours. En SMS, on la rencontre le plus souvent sous la forme post-élégiaque "heu pepito me", expression toute faite signifiant "las, tu m'escagasses peineusement" (traduction de Rabelais révisée par César) ou sous l'abréviation t. q. n. m. p., pour tu quoque noli me pepitare, expression imparfaitement traduisible par "ah non, tu ne vas pas t'y mettre aussi".

Vis tecum : pour Vis tecum sit, "Que la Force soit avec toi". Hamilcar aurait dit ces mots à son fils Hannibal avant de mourir (Tite-Live, XX). Vilement copié depuis par un auteur grec tardif, G. Lukos, qui a complètement déformé le texte originel, à l'exception de l'ordre des mots latins, conservé chez un seul personnage (on ne précisera pas lequel).

I mi : pour i mihi, "viens à moi". Locution brève à construction poétique (lointain modèle clamor it caelo). Employée dans un contexte sentimental (en particulier amoureux) quand le destinataire du message vous manque beaucoup.

Arribo ! Faux-ami signifiant non pas “je vais arriver” mais “j’arrive” (arribo, are). On lit souvent l’orthographe non classique “haribo”, parfois suivie de la formule “sebolavi” (parfait de sebolo, are, “avoir du succès, faire comme on voulait”), traduisible par “tout baigne”.

PR : pour perii ridendo, littéralement "je suis mort en riant", en bon français "je suis mort de rire", "MDR" ou "PTDR".


Eunostos


C'est tout pour cette fois...
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