Le
Roi Lion est le dernier grand succès en date des studios
Disney et a été reconnu comme un classique presque
aussitôt après sa sortie. Il présente une double
originalité par rapport aux précédents grands
classiques : d'une part son cadre résolument exotique, la savane
africaine, d'autre part le fait qu'il ne reprend explicitement aucun
conte ni récit connu, même si certains
éléments de l'intrigue seraient empruntés à
Hamlet (on y a aussi vu, dans
un autre ordre d'idée, un plagiat ou un mauvais remake du manga Jugle Taitei d'Ozamu Tezuka,
nettement antérieur car datant de 1951 et lui-même
adapté en anime par Yoshio Takeushi en 1997. Inspiration,
plagiat éhonté, hommage ? La question à elle seule
mériterait une page à part entière, et surtout
d'avoir lu le manga original, ce qui n'est pas encore mon cas ;
notons toutefois que si les points communs semblent plus que
troublants, il reste une grosse différence : Jungle Taitei met en scène
la relation entre humains et animaux, tandis qu'il n'y a pas le moindre
humain dans Le Roi Lion, qui
fait le choix d'une fable purement animalière).
Le Roi Lion raconte l'histoire
de Simba, fils du lion Mufasa, roi des animaux de la Terre des Lions,
et de la reine Sarabi ; lorsque Mufasa est traîtreusement
assassiné par son frère, le cauteleux et perfide Scar,
Simba, manipulé par Scar et se croyant responsable de la mort de
son père, s'enfuit dans le désert. Sauvé par une
mangouste et un phacochère, Timon et Pumbaa, il grandit dans
l'insouciance, mais est finalement rattrapé par son
passé : la belle lionne Nala, son amie d'enfance, Rafiki,
le sage mandrill, et le spectre de son père. Pendant ce temps,
Scar, allié avec les maléfiques hyènes, a pris le
pouvoir sur la Terre des Lions et la pille sans se soucier de
l'équilibre naturel. Simba devra donc retourner sur la Terre des
Lions afin de chasser l'usurpateur et de devenir le nouveau roi...
Le succès de ce dessin animé a été tel qu'on peut
certainement parler d'une "génération Roi Lion", et plus que pour tout
autre Disney, il faudra veiller à ne pas tomber dans un
commentaire purement élogieux, qui ne ferait que justifier a posteriori le succès du
film. Gageons que Le Roi Lion
n'est pas exempt de défauts. Reste que la partie qui nous
intéresse, l'incipit, est sans doute l'un des plus beaux
débuts de dessins animés jamais réalisé par
Disney, et remplit parfaitement sa fonction principale : plonger
efficacement le spectateur dans l'univers de la Terre des Lions. Dans
le cas du Roi Lion, cet
incipit a l'avantage de former un tout cohérent et nettement
délimité à l'intérieur du dessin
animé.
L'incipit du Roi Lion
forme une seule séquence qui suit le logo Disney et
précède le titre : elle est volontairement
détachée du reste du film, un peu à la
manière d'une séquence pré-générique
ou d'un "teaser". La fonction de telles séquences consiste
autant à marquer le spectateur par un premier ensemble
esthétique et narratif qu'à mettre en place l'intrigue
générale ; la séquence pré-titre
possède son propre rythme et son propre mini-dénouement.
En l'occurrence, il s'agit de la présentation de Simba, enfant
nouveau-né de Mufasa et futur roi, aux animaux de la Terre des
Lions - c'est l'unité narrative de la séquence. Mais elle
possède aussi une unité musicale très forte,
portée par la fameuse chanson L'histoire
de la vie (The Circle of Life
dans la VO), qui semble guider son déroulement tout entier.
L'incipit comme séquence autonome coïncidant avec une
chanson se retrouve chez Disney dans Le
Bossu de Notre-Dame, par exemple ; mais contrairement à
l'incipit du Bossu, qui fait
alterner chanson et paroles, celui du Roi
Lion est totalement muet, aucun personnage ne parle, ce qui
incite le spectateur à se concentrer sur l'animation
elle-même et confère une efficacité d'autant plus
grande à la musique. Enfin, autre différence avec le Bossu, la présentation des
personnages et de l'intrigue est très limitée - et
volontairement limitée. A la fin de la séquence, quand
s'affiche le titre, le spectateur ne connaît encore le nom
d'aucun personnage ; le Grand Méchant du film, Scar, n'est pas
encore apparu (il est présenté juste après) ;
mieux, à aucun moment on ne sait exactement en quoi consiste
cette première séquence. Baptême, rite animiste,
fête, cérémonie royale de présentation de
l'héritier à ses sujets ? peu importe, l'essentiel est de
susciter la curiosité du spectateur à travers une
séquence mystérieuse et impressionnante - il s'agit non
de religion mais de religiosité, conformément à la
vocation universelle de la fable. Accessoirement (et je serais
tenté de dire "pour une fois"), le spectateur n'est pas pris
pour un idiot, c'est à lui de comprendre progressivement le sens
de la scène, et il possède une relative liberté
d'interprétation, ce qui n'est pas si fréquent chez
Disney.
Après le logo Disney, qui s'affiche sur un fond sonore discret
de cris d'animaux, le premier vrai son du dessin animé, ce sont
les premières paroles de "L'Histoire de la vie", chantées
en africain par Lebo M (et cela dans toutes les versions, quelle que
soit la langue du reste du dessin animé). Les paroles en
africain, qui précèdent les paroles en français,
sont les suivantes :
Nants ingonyama bagithi baba
Sithi uhhmm ingonyama
Nants ingonyama bagithi baba
Sithi uhhmm ingonyama
Ingonyama
Siyo Nqoba
Ingonyama
Ingonyama nengw' enamabala
L'édition spéciale du DVD du
Roi Lion nous apprend que ces
paroles racontent déjà l'histoire du film - mais bien
entendu la majorité des spectateurs ne comprend rien, ce qui
marque d'emblée le caractère exotique et
mystérieux de ces premières secondes. Surtout, la
première syllabe très prolongée - "Naaaaaants" -
coïncide avec la première image du dessin animé, le
lever du soleil sur la savane africaine. Ce double commencement
image/son constitue l'incipit à proprement parler, la bascule
qui fait plonger le spectateur dans l'espace intérieur du film :
tandis que le chanteur appelle, invoque pour ainsi dire le lever du
soleil, la première syllabe, presque criée comme un cri
de naissance, provoque l'apparition de l'image et de la couleur -
couleur intense, rouge, s'étendant vite en jaunes et en ocres,
avec des ombres très tranchées : c'est l'incipit
"cosmogonique" par excellence, et tout dans les premières
minutes du film viendra rappeler ce thème de l'ordre cosmique
lié au soleil. Naissance de l'image et du son, naissance
de Simba, aube de la vie, tout cela est d'un grand classicisme mais
d'une cohérence parfaite.
Hésiode et Disney, même combat ? Certes non, mais la
présentation de Simba a tout d'un mythe de souveraineté,
comme le confirme la suite du film.
Le Roi Lion raconte une
lutte familiale dont l'enjeu est le pouvoir et la préservation
ou non de "l'harmonie d'une chaîne d'amour", comme nous l'apprend
la chanson ; après l'usurpation du pouvoir par le frère
félon, Scar, Simba doit renouer avec l'ordre normal de
succession, une royauté patrilinéaire, et pour cela il
doit commencer par renouer sa relation avec Mufasa, brisée
affectivement par les manoeuvres de Scar. Mais pourquoi parler d'un
ordre cosmique lié au soleil ? La souveraineté du roi
lion sur la Terre des Lions est mise explicitement en parallèle
avec le rôle capital du soleil dans l'ordre du monde. Mufasa
règne sur "tout ce qui est dans la lumière", et le
domaine des ténèbres lui est interdit,
réservé aux hyènes. Lorsque Mufasa évoque
sa propre mort devant Simba, il lui parle du jour "où le soleil
éteindra sur [lui] sa lumière". De fait, après la
mort de Mufasa, lorsque Scar et les hyènes envahissent la Terre
des Lions, l'harmonie générale des couleurs change,
passant des tons lumineux (jaune, vert, rouge) aux tons sombres (gris,
noir, ou même vert) rejoignant en cela la palette de couleurs
caractéristique du territoire des hyènes. Mais surtout,
le roi lion, à l'instar du soleil, est la clé de
voûte de l'ordre du monde et de son équilibre : à
la fin du dessin animé, quand Mufasa, roi légitime, n'est
plus là, le soleil a également disparu, les nuages
masquent le soleil, il pleut, la Terre des Lions est
dévastée, la végétation ne pousse plus et
l'équilibre naturel est rompu puisque Scar est incapable de
régner en vrai roi. Il faut le rugissement quasi magique de
Simba sur le Rocher des Lions pour faire revenir la fertilité.
Ce rapide coup d'oeil sur la suite du film montre que ce lien entre
lions, royauté, soleil et équilibre fécond revient
constamment dans toute l'oeuvre. D'où l'intérêt d'y
prêter attention pendant les premières minutes.
Donc, le soleil se lève, et aussitôt des animaux de la
savane lèvent la tête pour le regarder : des
rhinocéros, des gazelles, un groupe de mangoustes, puis un puma
qui grimpe sur une éminence. Ce n'est pas le comportement
d'animaux réels - il y a anthropomorphisme, comme toujours chez
Disney, mais il reste ici léger et relativement discret, de
même que dans la suite du film : si Mufasa, Scar, Timon et Pumbaa
parlent comme des hommes et ont des expressions et des gestes humains,
la majorité des animaux visibles dans
Le Roi Lion reste
silencieuse et garde des expressions animales, la seule touche
d'anthropomorphisme étant apportée par l'intelligence
implicitement humaine de leur comportement. Ainsi les animaux de cette
première séquence sont-ils presque tous inexpressifs,
jusqu'à l'apparition de Zazu, mais ils accordent au lever de
soleil une importance qui dénote un sentiment religieux. Au
cours des plans suivants, ce qui semble d'abord une succession de
visions disparates s'organise peu à peu en une marche qui
évoque une procession vers un but encore inconnu.
En effet, les liens entre les premiers plans de la séquence
sont assez lâches pour que le spectateur ait l'impression de
n'avoir affaire qu'à une succession d'images à but
purement esthétique. De fait, hormis les fondus entre les plans,
qui ont presque tous lieu de la même façon (un animal
passe juste devant la caméra et masque l'image pour
dévoiler le plan suivant), rien ne fournit encore de fil
directeur entre les différentes visions de l'Afrique
apparaissant à l'écran : d'abord un lac où
s'avancent des oiseaux échassiers, puis un troupeau
d'éléphants vu de loin passant devant une montagne
enneigée, puis un vol de flamants roses, puis des gazelles
bondissant dans la brume. C'est la beauté pure des décors
et des couleurs, la virtuosité du dessin et de l'animation qui
sont mis en valeur pendant ces premières secondes.
Cependant, à partir du plan-séquence suivant, la
scène s'organise et prend sens : tandis que la chanteuse entonne
les premières paroles en français de L'Histoire de la
vie, une girafe et son girafon montent une colline ; en arrivant au
sommet, le girafon détourne un moment la tête sous la
lumière ("ébloui par le dieu soleil", dit la chanson)
puis regarde, et un travelling vers la droite de la caméra fait
découvrir au spectateur en même temps qu'au girafon un
troupeau d'animaux de toutes espèces (éléphants,
girafes, etc.) avançant lentement dans la plaine ; les deux
girafes descendent la colline à une allure plus rapide pour
aller les rejoindre, s'éloignant de la caméra. C'est vers
ce troupeau que convergeaient les animaux des premières images
et c'est lui qui constitue le fil directeur de la séquence.
La succession des plans se fait plus rapide, dans une logique
d'accélération générale du mouvement. Au
plan suivant, l'image est traversée par deux mouvements
opposés : d'abord d'industrieuses fourmis chargées de
feuilles, défilant sur une branche qui coupe l'écran en
deux du coin inférieur gauche au coin supérieur droit,
devant un arrière-plan flou mais également en mouvement ;
puis, après changement de focale et mise au point sur
l'arrière-plan, un troupeau de zèbres au trot traversant
l'image du coin supérieur gauche au coin inférieur droit,
selon une diagonale qui croise celle du trajet des fourmis.
Au plan
suivant, autre mouvement rapide et à l'impact visuel plus fort,
puisqu'il s'agit d'un groupe d'oiseaux bleus en train de courir au
centre de l'écran en direction de la caméra, dans un
désordre croissant, suivis par un troupeau
d'éléphants ; il y a également une
légère gradation dans l'intensité dramatique,
puisque le dernier oiseau du groupe manque être
écrasé par le pied du premier éléphant, qui
pousse un barrissement d'alarme. A cette fin de plan mouvementée
succède le début mouvementé du plan suivant, un
soleil éblouissant reflété sur une surface d'eau,
que viennent briser des éclaboussures bleu vif
provoquées, comme on le voit après passage à un
plan large, par le troupeau de zèbres déjà vu, qui
traverse le plan d'eau. Les tons vifs de l'eau et les contrastes forts
des zèbres ajoutent une tension dynamique dans les couleurs
après les tons ternes de la steppe où marchaient les
éléphants. Suit un plan sur un gros
éléphant gris, traversant le même lac, et dont les
défenses servent de perchoir de voyage à des oiseaux
multicolores d'aspects variés ; la caméra le suit en
travelling vers la droite et en léger zoom arrière,
montrant au passage d'autres animaux d'autres espèces - la
caméra a donc rejoint le troupeau de tout à l'heure - au
moment où ils atteignent la rive. Durant cet ensemble de plans
s'est constitué le rassemblement que la suite de la
séquence montre explicitement : un troupeau en marche d'animaux
de toutes les espèces, comme une arche de Noé
spontanée et nomade, en route vers un but encore inconnu, mais
un but précis, suggéré par le fait que tous les
animaux vont dans la même direction, car en dehors du plan des
oiseaux bleus, ils se dirigent toujours vers la droite de
l'écran. Le but de cette marche, qui apparaît au plan
suivant dans toute sa majesté, c'est bien sûr le Rocher
des Lions.
Le changement de plan après le plan de la fin de la
traversée du plan d'eau se fait particulièrement brusque :
d'un coup la caméra montre une vue plongeante sur une
masse floue que l'on devine être un troupeau d'animaux, gris sur
fond d'herbe, dans un travelling vers le haut très rapide qui
débouche sur la vue du Rocher des Lions au centre de
l'écran, au moment précis où la chanteuse entame
le refrain "C'est l'histoire de la vie". Tandis que la caméra se
stabilise et progresse vers le rocher en zoom avant, la composition de
l'image est très nette : en bas, la prairie où les
animaux, venus des coins inférieurs de l'écran,
convergent vers le centre ; au centre, le rocher ; dans la
moitié supérieure, un ciel clair où des nuages
défilent vers la droite. La répartition de la
lumière est éloquente : la partie inférieure de
l'image est à l'ombre, le rocher et l'horizon sont au soleil et
les animaux progressent tous vers la lumière.
Le zoom avant vers le Rocher des Lions est à peine
entamé que Zazu, venu du bas, surgit au centre, de dos, et file
vers le rocher, servant de guide à la caméra, tour
à tour planant et battant des ailes. L'ampleur du mouvement,
ajoutée à la vision spectaculaire du Rocher des Lions
avec ses rocs en équilibre totalement irréalistes mais
furieusement photogéniques, confère à ce plan un
caractère grandiose et majestueux tout à fait
approprié au personnage dont Zazu et la caméra se
rapprochent à vive allure : le roi lion Mufasa, devant lequel
Zazu vient se poser. Changement de plan, Zazu fait la
révérence, Mufasa souriant lui répond d'un signe
de tête. Et en un plan les rôles sont distribués :
Zazu est un courtisan que son obséquiosité rend
légèrement bouffon puisque l'ampleur
exagérée de sa révérence contribue au
sourire du roi ; Mufasa un roi au caractère bon, puisqu'il ne
prend pas entièrement au sérieux le respect du protocole
royal. Ces indications discrètes sont confirmées par les
angles de caméra (Zazu est filmé de dessus tandis que le
plan sur Mufasa est en légère contre-plongée, pour
adopter le regard de Zazu, plus petit, mais sans doute aussi pour
indiquer que Mufasa le domine par son statut de roi) et par l'aspect et
la palette de couleurs des deux personnages (Zazu a un gros bec
caricatural d'un orange vif, tandis que les traits amples et arrondis
de Mufasa évoquent une grande peluche (Scar et les
hyènes, au contraire, seront maigres), et que ses couleurs, poil
jaune et crinière dans les rouge, rappellent les rouge et les
ocres du lever de soleil, alors que Scar aura une crinière
noire, ce qui est peu naturel pour un lion).
Commence alors la dernière partie de cet incipit, la partie
la plus narrative : la présentation de Simba elle-même,
qui justifiera après coup le rassemblement de tous les animaux,
et dont le rituel commence véritablement avec l'arrivée
de Rafiki. Juste après la révérence de Zazu et le
sourire de Mufasa apparaît un plan curieux : le sommet d'un
bâton orné de fruits ressemblant à des calebasses
bouge tout seul, avançant vers la droite, devant une
rangée de gazelles. Ce premier plan introduisant Rafiki est bien
à l'image de ce personnage : surprenant ! ...et d'autant plus
habile lorsqu'on se rappelle le rôle important de ces fruits et
du bâton lui-même dans la suite du film.
Suit un plan
d'ensemble où apparaît Rafiki lui-même, marchant
entre deux files d'animaux dont les couleurs grises lui servent plus ou
moins de fond. Il arrive en saluant des buffles qui le saluent en
retour - mais surtout, il arrive avec un bouquet de rayons de soleil
dans le dos. Rafiki arrive en même temps que la lumière...
ou bien est-ce qu'il apporte la lumière, ou qu'il est
désigné par la lumière ? On peut se poser la
question si on rapproche ce plan de la fin de la présentation de
Simba où, alors que le rituel/cérémonial touche
à sa fin, les rayons du soleil viennent désigner Simba.
Est-ce une transmission de la lumière par le biais d'un Rafiki
dépositaire de la puissance solaire ? C'est possible, mais
encore une fois, rien n'est précisé et le spectateur
reste libre dans sa lecture de la scène. Toujours est-il que
l'allure générale de Rafiki, rappelant celle d'un
vieillard vénérable avec sa canne, et l'accueil amical
que lui fait Mufasa, donnent l'idée d'un personnage au statut
important et respectable - mais encore une fois sans solennité
excessive, grâce à la note d'excentricité de ce
premier plan sur le bâton et aux façons
décontractées de Mufasa et de Rafiki, qui se donnent
l'accolade.
Mufasa et Rafiki se dirigent ensuite vers la droite de l'écran, où l'on
découvre, au plan suivant, une lionne, Sarabi, allongée à l'entrée d'une
sorte de caverne (d'autres lionnes sont visibles sur les rochers à
l'arrière-plan), tenant entre ses pattes antérieures un lionceau. Mufasa
s'approche le premier et frotte sa tête contre celle de Sarabi, geste
largement suffisant pour faire comprendre qu'ils sont mari et femme, roi
et reine des animaux. Là encore, la volonté de rapprocher
l'anthropomorphisme disnéen du comportement animal réel est manifeste : on
retrouvera dans toute la suite du dessin animé une attention particulière
accordée à la gestuelle des personnages principaux, dont le langage parlé,
"humain", se double d'un langage du corps qui n'est pas celui des vrais
animaux, mais s'en rapproche et donne ainsi une vraisemblance accrue à la
société animale du Roi Lion. C'est d'ailleurs dans un geste tout à fait
"lion" que, la seconde d'après, Sarabi lèche son petit, qui, peut-être
vaguement réveillé, se tourne de façon qu'on peut voir son visage. C'est
Simba, bien sûr. Tourné de trois quarts vers la gauche, il regarde celui
qui apparaît en gros plan au plan suivant : Rafiki, dont le visage
bariolé, avec son museau rouge, ses joues à bandes bleues, ses yeux jaune,
le tout mis en valeur par une barbe blanche et souligné par un large
sourire, ressemble fort à celui d'un clown. Cela ne fait qu'ajouter une
ambiguïté supplémentaire à l'étonnant rituel qui suit, rituel qui précède
immédiatement la présentation de Simba aux animaux rassemblés. Notons qu'à
partir de maintenant, Mufasa et Sarabi se contentent de sourire et de se
tenir en retrait : Rafiki devient le personnage principal, c'est lui qui
agit, comme si désormais il était la seule personne compétente.
Ce rituel se compose de trois gestes, autant de petites séquences.
D'abord, Rafiki approche son bâton, prend l'air mystérieux, remue les
mains et commence à agiter devant Simba les fruits et les calebasses qui y
sont attachés, lesquels font un bruit de maracas. Cela éveille l'attention
de Simba, qui les suit des yeux, puis tend les pattes pour essayer de les
saisir plus ou moins ; au passage, on voit qu'il a sorti une griffe. La
micro-séquence est toute simple, un plan sur Rafiki puis un plan sur Simba
avec le bâton au-dessus de lui venant de la gauche de l'écran.
Aussitôt après, gros plan sur un fruit détaché du bâton qui se fend en
deux devant le soleil, brisé par les mains de Rafiki tendues vers le haut.
L'absence de transition avec le plan d'avant, la soudaineté du geste et
l'effet d'éblouissement dû à la lumière du soleil sont là pour provoquer
la surprise. La caméra descend, Rafiki baisse les mains, tenant dans
chacune une moitié du fruit ; il regarde, l'air dubitatif, dans celle
qu'il tient dans sa main droite, puis prend un peu de jus avec son pouce
et, au plan suivant, trace une marque sur le front de Simba.
Aussitôt après, sans autre transition, on voit la main de Rafiki prendre
sur le sol une poignée de poussière. Il la saupoudre au plan suivant
au-dessus de Simba, qui éternue de façon très mignonne, faisant sourire
(plan suivant) Mufasa et Sarabi. A partir du plan suivant, Rafiki prend
Simba et va le présenter aux animaux.
Pourquoi diable avoir pris la peine d'animer en détail cette succession de
gestes ? Parce qu'elle a un rôle à jouer dans l'histoire, bien sûr. Et
sans vouloir chercher un sens précis à ce rituel, qui ne se rapporte
explicitement à aucun rituel "humain" en particulier mais joue sur le
mélange de plusieurs connotations différentes, on peut au moins en appeler
au reste du film pour déterminer son rôle dans l'histoire.
Le premier geste n'a pas d'équivalent dans la suite du film, si ce n'est
qu'on retrouve l'objet mis en scène, le bâton de Rafiki, dans plusieurs
séquences, avec des rôles différents : simple canne dans les déplacements
du singe, il prend valeur d'outil "pédagogique" quand Rafiki, donnant la
leçon à Simba adulte, lui frappe avec sur la tête (Simba, qui comprend
vite, s'empare du bâton aussitôt après), et se change enfin en arme
redoutable pendant le combat final contre les hyènes, pourvoyant à la fois
à la mise en valeur de la virtuosité du singe devenu guerrier et à un
effet humoristique. Mais l'usage qu'on en voit ici ne réapparaît plus. En
l'occurrence, à voir les gestes de Rafiki et les réactions de Simba, le
bâton est utilisé comme une sorte de hochet, et le geste est une sorte de
jeu d'éveil, présenté en tout cas comme un jeu au lionceau nouveau-né, par
l'intermédiaire d'un Rafiki clownesque et faussement mystérieux. Mais il a
peut-être aussi la valeur d'une sorte de test médical ou de vérification
d'usage : en vérifiant que Simba nouveau-né a déjà acquis les réflexes
(regarder, attraper, sortir la griffe) qui feront de lui un futur
chasseur, Rafiki vérifie que le futur héritier de la Terre des Lions a
déjà tout le potentiel d'un roi des animaux, mais il accomplit aussi la
même tâche qu'un médecin s'assurant, en mettant à l'épreuve les réflexes
"moteurs", qu'un bébé est en bonne santé à sa naissance.
Le second geste, encore plus riche de sens, joue un double rôle. Le
premier, structurel, se rattache à la symbolique solaire déjà évoquée plus
haut et fortement présente, au moins dans cet incipit. Le fruit est brisé
par Rafiki devant la lumière éblouissante du soleil, puis Rafiki utilise
son jus pour marquer Simba : n'y a-t-il pas là une forme de transmission
de quelque chose, du soleil à Simba avec Rafiki pour intermédiaire et le
fruit comme objet symbolique ? C'est possible - encore une fois, rien
d'univoque dans le langage symbolique de ce dessin animé.
Le second rôle de ce geste, diachronique en quelque sorte, consiste à
marquer la première d'une série d'étapes de la vie de Simba au cours du
film. En effet, quelques minutes après cette séquence, nous voyons Rafiki
refaire ce geste et appliquer cette marque, non pas sur le vrai Simba,
mais sur sa représentation peinte sur le baobab solitaire qui sert de
maison au vieux singe. Rafiki appose cette marque puis fait quelque chose
qu'il ne fait pas ici, il prononce le nom du lionceau, "Simba". Plus tard,
deux autres gestes explicitement symboliques viendront modifier ce dessin
: lorsque Simba est dit mort sur la Terre des Lions, Rafiki efface le
dessin (il se contente en fait de l'estomper) avec un soupir de tristesse.
Puis, lorsque Rafiki acquiert la certitude que Simba est vivant, il
revient à ce dessin et lui ajoute une crinière, entérinant de cette façon
le temps écoulé, qui a fait du jeune Simba un lion adulte. Ces trois
étapes successives inscrites sur l'arbre de Rafiki forment le véritable
parcours symbolique de la vie de Simba ; il ne s'agit pas, comme on
pourrait le croire, d'une séquence classique avec naissance (lors de la
séquence qui nous intéresse maintenant), croissance (montrée en accéléré
par la pousse de la crinière de Simba dans la jungle pendant la chanson
"Hakuna Matata") et maturité amoureuse (l'union avec Nala), somme toute
prévisible, mais d'une séquence naissance-mort-résurrection à l'âge
adulte, ce qui ne laisse pas d'être bizarre - et intéressant. Pour en
revenir au rôle de cette marque sur le vrai Simba dans la présente
séquence, on peut supposer qu'elle marque l'arrivée symbolique de Simba
parmi les vivants et qu'elle va de pair, dans le langage symbolique du
dessin animé, avec la première apparition du dessin de Simba sur l'arbre.
Le troisième et dernier geste est celui qui s'explique le moins bien.
Pourquoi saupoudrer Simba de poussière, à part pour ajouter à cet incipit
le petit épisode mignon de l'éternuement du lionceau ? On peut hasarder
qu'il s'agit d'une sorte de baptême, qui s'explique en tout cas en termes
de religiosité, là même où le premier geste était "ludique et médical" et
le second "magique". Il peut aussi, éventuellement, être rapproché de la
scène où Mufasa explique à Simba le cycle de la vie, où la terre (et
l'herbe) jouent un rôle important. On peut enfin le rapprocher de la
séquence assez énigmatique où Rafiki, seul dans son arbre, attrape une
poignée de poussière, de plumes, de poils, etc. portée par le vent venu de
la jungle, l'examine et comprend soudain que Simba est vivant : peut-être
reconnaît-il, entre autres signes, cette poussière de la Terre des Lions
qu'il a lui-même versée sur le bébé.
Une fois accompli ce rituel étrange et plus complexe encore qu'il n'y paraissait, commence alors la dernière scène
de cette séquence, et la plus spectaculaire, la (fameuse) présentation de Simba aux animaux, qui coïncide
musicalement avec le retour final du refrain chanté "C'est l'histoire de la vie", alors que le "rituel" de Rafiki
s'était déroulé sur un fond purement instrumental. Dès le moment où Rafiki prend Simba dans ses bras, Mufasa et
Sarabi disparaissent de la scène, pour ne réapparaître qu'au dernier plan de la séquence, assis un peu en retrait
sur le Rocher. Après l'intermède du rituel, au rythme calme (malgré une succession de plans assez rapide) et
porteur d'impressions douces (la tendresse des parents, le lionceau mignon), la tension dramatique remonte,
accompagnée par une musique plus intense, et aboutit à la dernière action de Rafiki, son dernier geste rituel en
quelque sorte : la "projection" de Simba, à l'extrémité du Rocher, qui donne lieu à une sorte de tableau vivant
final devant lequel les animaux, spectateurs, s'exclament puis se prosternent.
La "montée" du vieux singe sur le Rocher donne lieu à un plan spectaculaire : le Rocher en vue plongeante, sur
lequel Rafiki, venu d'en bas, progresse vers le centre de l'écran, avec, assemblés devant le Rocher en
demi-cercle, toutes sortes d'animaux. C'est une vue vertigineuse impressionnante, d'autant qu'encore une fois,
comme tout au long de cet incipit, rien n'est expliqué d'avance et on ne sait pas du tout ce qui va arriver au
lionceau. La succession de plans rapprochés dans les deux secondes qui suivent est très rapide et amène la tension
dramatique à son comble : Rafiki élève brusquement Simba dans les airs - un moment, on pourrait croire qu'il va le
lancer du haut du Rocher - mais il s'immobilise à temps, le corps projeté en avant, tournant Simba à la fois vers
la foule des animaux (en dessous) et vers les cieux (au dessus). Précisément à la même demi-seconde, la chanteuse
prononce le mot "...vie !".
C'est l'allégresse, les animaux laissent éclater leur joie : les gazelles se cabrent, les animaux barrissent, et
c'est une véritable célébration de la naissance. Tandis que Rafiki tient toujours fermement le jeune lion
au-dessus du vide (une vue en contre-plongée le montre comme vu par les yeux d'un animal posté au pied du Rocher),
d'autres animaux poussent leur cri, les singes (à la droite de Rafiki), puis les zèbres (à sa gauche). Puis la
caméra tourne autour de lui, avec élégance (et tout animé à la main, s'il vous plaît !), en se rapprochant, pour
montrer Simba, qui regarde en bas vers la source de tout ce vacarme, visiblement intimidé. Mais après la
reconnaissance des animaux, la réaction venu du dessous, se produit ensuite une autre réaction, venue du dessus :
un rayon de soleil qui, perçant les nuages juste quand il faut et là où il faut, vient éclairer Simba dans une
gloire majestueuse. Cela donne lieu, là encore, à un habile jeu de diagonales dans la composition des plans, les
rayons de soleil tombant selon la même ligne que celle tracée par le corps et les bras tendus de Rafiki. A ce
spectacle, les zèbres se prosternent, selon un plan qui balaye leur foule en travelling de droite à gauche :
d'abord les zèbres, puis les éléphants, puis (avec quelle grâce !) les girafes. Le dernier plan, en zoom arrière,
part de Simba et Rafiki éclairé par la gloire, montre Mufasa et Sarabi assis en sphinx à quelques pas derrière,
dévoile peu à peu l'ensemble du Rocher et les animaux qui le regardent, non plus prosternés mais debout, dans un
vivant somptueux et coloré. Enfin l'image finale laisse subitement place au titre, rouge sur fond noir, dans une
dernière percussion qui met le point final au refrain - image et son disparaissent en même temps, comme ils sont
venus - l'incipit est terminé.
Voilà Simba présenté à la fois à la terre et au ciel... et à leurs habitants respectifs ? La religiosité de cette
présentation de l'enfant lion est manifeste : le Roi Lion tire son autorité à la fois d'un pouvoir politique,
accordé par les animaux venus l'acclamer, et d'un pouvoir religieux, celui d'un vrai roi "de droit divin" - le
rayon de soleil faisant l'office d'un vrai "doigt de Dieu" ! Néanmoins, parler de Dieu serait excessif : mieux
vaut parler de symbolique solaire et de pouvoir céleste, car, la suite du dessin animé le montre, tous les
éléments plus ou moins religieux qui complètent le "mythe de souveraineté" évoqué plus haut s'inscrivent plus dans
la perspective d'une explication de l'ordre du monde par le recours à des contes et des légendes que dans une
quelconque perspective monothéiste - en un mot, ils relèvent plus de la pensée mythique que d'une pensée
chrétienne. Quand Mufasa transmet à Simba l'histoire des anciens rois lions changés en étoiles, il est précisément
en train de lui raconter un mythe, c'est-à-dire de répondre à une grande question philosophique de portée
universelle par le recours à une histoire impliquant des éléments surnaturels. Voilà pourquoi l'imaginaire et
l'imagerie du Roi Lion paraissent relever plutôt du mythe moderne animé que de l'allégorie chrétienne, ce qui fait
penser que la gloire qui illumine Simba n'a rien à voir avec l'imagerie chrétienne. Il est vrai que d'autres
éléments, principalement la relation père-fils et l'autorité religieuse dont est chargé le fantôme de Mufasa,
peuvent faire penser à la trinité Père-Fils-Saint Esprit (avec Zazu à la place de la colombe ?). Ils sont bien
moins nombreux et bien moins fréquents dans l'imagerie propre au film. Mais, comme toujours, le langage symbolique
reste assez général pour qu'aucune signification, aucune interprétation, ne soit imposée d'emblée au spectateur.
Au demeurant, ce rayon de soleil s'intègre aussi parfaitement dans une logique purement visuelle de contraste et
d'opposition des couleurs entre les personnages : comme on l'a vu plus haut, le roi lion et tout ce qui lui est
lié coïncident avec des couleurs claires et vives, tandis que Scar et les hyènes, que l'on découvrira plus tard,
font partie d'un monde sombre (celui du cimetière d'éléphant, des grottes et des crevasses) aux couleurs froides
(à dominante verte pendant la chanson de Scar - non pas le vert riche de l'herbe, mais une espèce de vert fluo
étrange, chargé historiquement de toute une symbolique de peur et de mort).
L'incipit du Roi Lion se termine donc dans le même esprit de religiosité diffuse et la même recherche de beauté
plastique qui l'ont inauguré quelques minutes plus tôt. Ce qui reste à l'esprit à l'apparition finale du titre,
c'est d'abord un impact visuel fort, l'aperçu d'un monde richement coloré, richement animé, qui a abouti à une
scène spectaculaire, le tout porté par une chanson étroitement liée à la séquence, tant dans les paroles que dans
sa synchronisation avec les images. La cohérence de cet incipit est si grande qu'il pourrait parfaitement former
un excellent court-métrage autonome et refermé sur lui-même, un court-métrage muet, seulement musical.
Quand on découvre pourtant tout le reste du dessin animé, puis qu'on revient sur ces premières minutes en se
demandant en quoi elles ont vraiment contribué à poser l'ambiance de l'ensemble, à présenter l'univers et les
personnages, que trouve-t-on ?
D'abord un surcroît de cohérence frappant à la toute fin du film, puisque Le Roi Lion se termine comme il a
commencé, sur une séquence de présentation d'un lion nouveau-né (cette fois l'enfant de Simba et de Nala) aux
animaux rassemblés, en beaucoup plus court, mais avec le même geste de Rafiki, la même chanson, le même refrain :
une belle structure circulaire, qui donne à l'histoire de Simba une valeur itérative, la change en cycle, et
répond à merveille à la chanson principale, justement intitulée en anglais "The Circle of Life". Simple et
efficace.
L'incipit, par ailleurs, met en place un grand nombre d'éléments plastiques et symboliques qui sont utilisés dans
toute la suite, avec une cohérence et un équilibre remarquables : la symbolique solaire et la symbolique des
couleurs, l'organisation de l'histoire comme un mythe expliquant la marche du monde, mais aussi les différents
degrés d'anthropomorphisation des animaux (personnages secondaires muets presque "documentaires", personnages
principaux à voix et gestes humains mais dotés de surcroît d'un langage du corps proprement animal). Il montre
surtout l'enjeu principal de l'intrigue : la survie et l'accession au trône de l'héritier de la Terre des Lions.
Pourtant, à l'issu de quatre bonnes minutes de film, aucun personnage n'a parlé, on ne connaît encore le nom de
personne, et surtout un autre personnage principal, essentiel à tout bon film de ce genre, le Grand Méchant,
n'est pas encore apparu. Retard vite rattrapé, puisqu'il apparaît à la scène suivante, opposé au Roi Lion, Mufasa
en personne. Et ce que lui reproche Mufasa est précisément d'avoir, si l'on peut dire, brillé par son absence !
Cette absence, qui, vu la tête de Scar, aurait nui à la beauté sans défaut de la séquence introductive, est donc
réutilisée aussitôt après pour montrer que Scar, justement, ne s'insère pas dans le cycle de la vie, pas
seulement parce qu'il ne fait pas partie de la lignée royale (après tout, il est tout de même le frère du roi et
pourrait devenir roi légitimement), mais parce qu'il refuse d'en faire partie, comme le montre son mépris de
l'ordre naturel une fois qu'il a usurpé le pouvoir. Son absence à la cérémonie est donc son premier acte de Grand
Méchant et contribue dès la scène suivante à le définir comme tel : ce n'est donc pas vraiment un défaut dans la
construction du film.
De même, l'apparition de Zazu (également réutilisé dès la scène suivante) et les sourires consécutifs de Mufasa
apportent une touche d'humour bienvenue dans ce qui reste, avant tout, une séquence d'introduction sérieuse. Deux
autres atouts sont utilisés pour rendre ce sérieux supportable : d'abord la richesse et la beauté des images, qui
confèrent tout son impact à cet incipit et mettent habilement en valeur le savoir-faire de Disney dans son
domaine propre par excellence, l'animation des animaux ; et ensuite la tendresse qui émane de la famille des
lions, idéalement conçue pour éveiller l'émotion des spectateurs : le moment - la naissance de l'enfant - s'y
prête très bien ; et le trio Mufasa-Sarabi-Simba forme le prototype de la famille nucléaire, un couple et un
enfant, qui forme le modèle démographique des sociétés occidentales. A-t-on pensé un seul moment à s'étonner que
le lionceau Simba soit fils unique ? Non, parce que ça passe très bien, mais c'est encore un trait
d'anthropomorphisme - ô combien discret !
A l'issu de cette analyse, l'incipit du Roi Lion se révèle d'une grande richesse, d'une composition habile, et
d'une cohérence surprenante une fois replacé dans la perspective du reste du film. Ajoutons que la beauté et la
fluidité de l'animation elle-même ne contribuent pas peu à la qualité de l'ensemble, même si une simple analyse
écrite n'a pas permis d'en montrer le détail. Il faut croire que le succès du Roi Lion était dû, au moins en
partie, à ses qualités intrinsèques. Que reprocher à ce début ? peut-être sa symbolique, à la fois très présente
et très vague, qu'on peut accuser d'être très classique et très consensuelle. A sa décharge, on a pu observer que
les symboles ne sont pas utilisés n'importe comment, ni porteurs d'un message univoque, qui aurait été sans doute
beaucoup plus simpliste et criticable : ils sont assez discrets pour passer inaperçus quand on prend l'intrigue
au premier degré ; et surtout, ils sont là avant tout pour donner sa cohérence à l'ensemble. Ainsi mis au service
de l'histoire par une récupération moderne du langage des mythes, ils parviennent à lui conférer une portée
universelle, et à faire du Roi Lion un grand classique. On ne saurait reprocher à un classique d'être classique,
s'il est bien pensé et bien réalisé.
Toutes les images sont
Copyright Disney et ne sont là que pour illustrer le propos (qui
en a bien besoin).
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