Latinité tardive :
renouveau et continuité

Benjamin GOLDLUST, Jean-Baptiste GUILLAUMIN

Occupant aujourd'hui une place singulière dans le champ de la recherche, l'étude de la latinité tardive n'a pas pu faire l'économie d'une justification de sa légitimité. Longtemps considérée comme une dégénérescence par rapport à l'âge d'or classique, stigmatisée comme une époque de décadence, l'Antiquité tardive a suscité, à partir des travaux de H.-I. Marrou, une approche nouvelle, caractérisée par le désir d'appréhender l'époque telle qu'en elle-même. La prise en compte de la spécificité de ce vaste corpus doit-elle pour autant soustraire les oeuvres de l'époque à des ensembles esthétiques, poétiques et culturels qui les dépassent, et en faire pour ainsi dire des hapax dans l'histoire littéraire ?


Notre démarche relève du désir d'inscrire la latinité tardive sous le signe d'une continuité, fût-elle paradoxale. De fait, malgré l'évidence de la révolution culturelle introduite par le christianisme triomphant, les auteurs tardifs incarnent en eux-mêmes une certaine permanence, et ce tout d'abord en raison de leur intime fréquentation de ceux qu'Aulu-Gelle a pour la première fois appelés classici, et notamment du fameux « quadrige » du grammairien Arusianus Messius (Térence, Salluste, Cicéron, Virgile). Preuve d'une présence rémanente des classiques chez les tardifs, Virgile reste un héros non seulement en tant que personnage, lorsque l'on songe au rôle de uates dont il est investi dans les Saturnales de Macrobe, mais aussi en tant que support pour les commentateurs (Servius, Donat, Philargyrius, Fulgence), et que modèle poétique pour les nouveaux auteurs épiques (Claudien, Prudence, Juvencus, Corippe).


Nous mettrons délibérément l'accent sur la multiplicité des oeuvres de cette époque --- multiplicité à la fois idéologique (de la défense du paganisme traditionnel par un Symmaque à l'apologie du christianisme par un Augustin), littéraire (de la réactivation du genre du banquet littéraire à la percée d'un lyrisme chrétien, en passant par le récit de voyages d'un Rutilius Namatianus) et philosophique (du néoplatonisme païen comme celui de Macrobe dans le Commentaire au Songe de Scipion à sa réinterprétation par des chrétiens à l'époque de Cassiodore). Les textes techniques et scientifiques, de Martianus Capella à Boèce, feront aussi l'objet d'une approche particulière, dans la mesure où ils nous apparaissent comme des vecteurs privilégiés de la transmission du savoir antique au Haut Moyen-Âge occidental. Il va donc de soi que notre démarche refusera tout monolithisme, et mettra dès que possible à profit toute forme d'interdisciplinarité. En effet, la latinité tardive, dont l'étude ne saurait se passer d'une sérieuse mise en contexte historique, gagnera à être appréhendée en extension, du point de vue des genres, des idées et de la culture.


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