Latinité tardive :
renouveau et continuité
Occupant aujourd'hui une place singulière dans le champ de la recherche,
l'étude de la latinité tardive n'a pas pu faire l'économie d'une
justification de sa légitimité. Longtemps considérée comme une
dégénérescence par rapport à l'âge d'or classique, stigmatisée comme une
époque de décadence, l'Antiquité tardive a suscité, à partir des travaux
de H.-I. Marrou, une approche nouvelle, caractérisée par le désir
d'appréhender l'époque telle qu'en elle-même. La prise en compte de la
spécificité de ce vaste corpus doit-elle pour autant soustraire les
oeuvres de l'époque à des ensembles esthétiques, poétiques et
culturels qui les dépassent, et en faire pour ainsi dire des
hapax dans l'histoire littéraire ?
Notre démarche relève du désir d'inscrire la latinité tardive
sous le signe d'une continuité, fût-elle paradoxale. De fait, malgré
l'évidence de la révolution culturelle introduite par le christianisme
triomphant, les auteurs tardifs incarnent en eux-mêmes une certaine
permanence, et ce tout d'abord en raison de leur intime fréquentation de
ceux qu'Aulu-Gelle a pour la première fois appelés
classici, et
notamment du fameux « quadrige » du grammairien Arusianus
Messius
(Térence, Salluste, Cicéron, Virgile). Preuve d'une présence rémanente
des classiques chez les tardifs, Virgile reste un héros non seulement en
tant que personnage, lorsque l'on songe au rôle de
uates dont
il est investi dans les
Saturnales de Macrobe, mais aussi en
tant que support pour les commentateurs (Servius, Donat,
Philargyrius, Fulgence), et que modèle poétique pour les nouveaux
auteurs épiques (Claudien, Prudence, Juvencus, Corippe).
Nous mettrons délibérément l'accent sur la multiplicité des oeuvres
de cette époque --- multiplicité à la fois idéologique (de la défense du
paganisme traditionnel par un Symmaque à l'apologie du christianisme par
un Augustin), littéraire (de la réactivation du genre du banquet
littéraire à la percée d'un lyrisme chrétien, en passant par le récit de
voyages d'un Rutilius Namatianus) et philosophique (du néoplatonisme
païen comme celui de Macrobe dans le
Commentaire au Songe de
Scipion à sa réinterprétation par des chrétiens à l'époque de
Cassiodore). Les textes techniques et scientifiques, de Martianus
Capella à Boèce, feront aussi l'objet d'une approche particulière, dans
la mesure où ils nous apparaissent comme des vecteurs privilégiés de la
transmission du savoir antique au Haut Moyen-Âge occidental. Il va donc
de soi que notre démarche refusera tout monolithisme, et mettra dès que
possible à profit toute forme d'interdisciplinarité. En effet, la
latinité tardive, dont l'étude ne saurait se passer d'une sérieuse mise
en contexte historique, gagnera à être appréhendée en extension, du
point de vue des genres, des idées et de la culture.