Le pauvre Anton Bruckner n'a jamais eu le beau rôle dans
l'histoire de la musique. De son vivant, homme simple, très éloigné des
coutumes du monde musical autrichien de l'époque, il se fit surtout
remarquer par sa balourdise, et ses oeuvres furent à de nombreuses
reprises massacrées par ses élèves sous prétexte de modifications soi
disant destinées à améliorer ou à alléger ses gigantesques symphonies, et
qui en détruisaient la plupart du temps toute la structure. De nos jours,
c'est à peine mieux, Bruckner a certes atteint une postérité
vraisemblablement durable, mais toujours dans l'ombre de son idole Wagner
ou même de son contemporain Mahler, dont l'oeuvre n'a pourtant pas grand
chose en commun avec la sienne.
Tout au long de ses 11 symphonies (les numéros s'arrêtent à 9, mais il y
en a deux autres, de jeunesse), Bruckner a continuellement ressassé les
mêmes formes, les mêmes rythmes (ah, les alternances de croches et de
triolet !) et la même utilisation d'un orchestre rutilant, d'où peut-être
une impression de répétitivité au premier abord. Pourtant, quelques
oeuvres dépassent du cycle, notamment cette impressionnante quatrième
symphonie, avec son magnifique appel de cor initial, son thème de
violoncelle à pleurer dans le mouvement lent, sa partie de chasse hyepr
rythmée, et son énorme thème du final. Certainement l'oeuvre la plus
équilibrée de son auteur, même si la septième (encore un scherzo qui vous
met en forme pour deux semaines), la huitième, la neuvième (inachevée,
mais ce qui en reste est là aussi très grand) méritent plus qu'un coup
d'oreille.