<- Retour   Suite ->

3/ Intérêts des argiles.

A/ Intérêts scientifiques.

pour les reconstitutions historiques.
1) Variations eustatiques.

Les particules argileuses étant les plus fines des cortèges détritiques, ce sont aussi celles qui sédimentent le plus loin des côtes : En conséquence, les niveaux les plus argileux des séries sédimentaires (de marges passives surtout) signent les épisodes de niveau marin élevé. (Cf. stratigraphie séquentielle).

2) Reconstitution de milieux.

En supposant globalement applicable le principe de l'actualisme, en considérant l'effet de la diagénèse, et d'après ce qui a été dit dans les précédentes parties, l'étude des argiles d'une strate sédimentaire, ou d'un ensemble de strates de même lithologie, peut donner des informations sur les roches-mères possibles (donc la présence d'un orogène à proximité par exemple), le climat (cf. les paléo-cuirasses latéritiques, ou les bauxites), le type d'altération dominant à l'époque, son intensité ou ses variations d'intensité, l'éloignement entre le bassin sédimentaire et les roches-sources,...

Pour l'estimation des flux de matières.
1)Les argiles, une part des flux de matière.

Comme mentionné précédemment, les argiles sont les minéraux et les roches majeures issues de la dégradation, puis du dépôt, des constituants des autres roches, formées à plus grandes profondeurs (roches plutoniques et magmatiques):ce sont, pour l'essentiel, les argiles qui ferment le "cycle géologique" et en représentent la partie superficielle, issue de l'interaction lithosphère-atmosphère: par conséquent, les mesures de flux de matières et/ou d'éléments chimiques doivent considérer en premier lieu les transports et stockages sous forme d'argiles ou de minéraux argileux.

Cela n'implique pas que les argiles soient les modes principaux de transport ou de piégeage pour tous les éléments chimiques : Ainsi, l'altération, donc la production d'argile, a été considérée comme un facteur majeur pour la consommation duCO2 atmosphérique, et on a donc tenté d'évaluer l'influence de l'augmentation des flux de matières issue de l'érosion intense de l'Himalaya sur l'équilibre du cycle du carbone. Or, des évaluations récentes (Nature, Letters, vol.390, Nov.97) indiquent que le piégeage de carbone dans les sédiments du Golfe du Bengale, issus de l'érosion himalayenne, résulterait surtout de l'enfouissement de carbone organique, plus que de l'altération des silicates de la chaîne de montagne.

2) L'hypothèse de "l'érosion inverse" dans le cycle du carbone :

(Article de Science, vol.270, Octobre 95)

Cet article présente une tentative de démonstration de la réalité de l'érosion "inverse" ("reverse weathering") :

Ce terme désigne les processus géologiques susceptibles d'aboutir, au cours du trajet superficiel des constituants des roches, à une libération de dioxyde de carbone, l'altération "classique" pouvant se résumer à une consommation de CO2 atmosphérique, lequel, sous forme acide dissoute (CO2 dissous ou HCO3-), constitue, avec l'eau, un des agents d'altération chimiques majeurs.

L'érosion (au sens large d'érosion mécanique plus altération chimique) peut se résumer par l'équation :

CaSiO3 + 2 CO2 + 2 H2O --> Ca2+ + 2 HCO3- + H4SiO4
Puis : Ca2+ + 2 HCO3- + H4SiO4 --> CaCO3 + SiO2 + CO2 + 2H2O

L'idée testée ici est que les sédiments qui se déposent peuvent être le siège de néoformation de minéraux argileux, à partir des constituants en solution, aboutissant à une libération de CO2. Le schéma général de ces réactions serait alors :

Silice + argiles alumineuses dégradées + oxydes de fer + cations organiques
+ cations solubles + bicarbonate --> nouveaux minéraux argileux + dioxyde de carbone + eau

Les auteurs de cet article ont montré la réalité et la rapidité de ces réactions dans des sédiments marins anoxiques du delta de l'Amazone.

Après avoir collecté, en différents points du delta, des sédiments, ils y ont enfoui et fixé, en laboratoire, de petites quantités de substrats solides précis, présents naturellement dans ces sédiments (kaolinite, grains de quartz, grains de quartz recouverts d'oxydes de fer, billes de verre, chacun représentant un type des apports constatés dans le sédiment: aluminosilicates, sable, débris latéritiques et silice amorphe des frustules de diatomées vivant dans la colonne d'eau)
Chacun de ces substrats a été inclu dans un porte-objet en acrylique, recouvert d'une membrane filtrante et d'un filet de nylon, le tout étant placé au centre d'une bouteille en plastique remplie de sédiment et scellée sous atmosphère d'azote.

L'ensemble a été laissé 12 à 36 mois à 28° C, puis les échantillons ont été examinés au microscope électronique à balayage: ils montraient en effet la cristallisation de nouveaux minéraux aux dépends des substrats, dont la nature argileuse et le type exact ont ensuite été déterminé par diffractométrie et analyse à la microsonde.
Il s'agit de minéraux argileux riches en potassium et en fer, assez proches de micas. Les auteurs en tirent des estimations quantitatives sur l'importance de ces réactions, et sur leur influence dans les bilans de matière, en particulier fer, potassium, et fluor.

De plus, la formation d'argiles, donc d'aluminosilicates, nécessite des apports d'aluminium, que les auteurs supposent issu de la dégradation d'oxydes d'aluminium ou d'autres matériaux aluminosilicatés fortement altérés, ce qui va à l'encontre de l'idée habituelle, qui considère l'aluminium comme un élément très peu mobile.
Enfin, ils estiment que le paramètre limitant pour le développement de ces minéraux authigènes est la disponibilité du silicium. Les billes de verre sont en effet, dans leurs expérimentations, le substrat le plus altéré : elles sont souvent totalement dissoutes, alors que des minéraux argileux cristallisent sur la membrane poreuse. La limitation majeure à ces réactions serait donc les apports de silice réactive issue de la dissolution des Diatomées. Autrement dit, cette authigenèse constituerait aussi un puit pour la silice biogène.

L'impact réel de ces réactions sur les calculs de flux de matière, ou sur les quantités contenues dans les réservoirs, demande cependant la confirmation du caractère global de ces mécanismes, et de la possibilité de généraliser ces résultats, obtenus pour un seul fleuve, à l'ensemble des apports fluviatiles à l'océan, même si les auteurs rappellent que l'Amazone contribue déjà à environ 6% du total des particules apportées annuellement par les fleuves au océans.

B/ Intérêt pour l'industrie pétrolière.

Les argiles, barrières aux hydrocarbures.

Les compagnies pétrolières, dans leurs prospections, accordent une grande importance à la localisation des bancs argileux dans les séries sédimentaires : en effet, ces couches peuvent correspondre à des roches-mères de pétroles ou de gaz (issues d'une boue riche en matière organique déposée en conditions anoxiques ou hypoxiques), mais, surtout, elles représentent d'excellentes roches de couverture, c'est-à-dire des couches imperméables, susceptibles d'avoir stoppé les hydrocarbures lors de leur remontée depuis leur roche-mère sous-jacente, (du fait de leur faible densité). L'imperméabilité des roches argileuses s'explique facilement par la compaction subie lors de la diagénèse, qui aligne les feuillets des minéraux argileux, d'où une forte réduction de la porosité de la formation. Les particularités des argiles expliquent aussi les critères définis pour les localiser sur les sondages.

Les bentonites, argiles pour boue de forage.

Certaines smectites, dénommés bentonites, sont employées dans les forages pétroliers pour obtenir, mélangée à l'eau en proportions déterminées, une "boue de forage" de viscosité et de densité précises. Celle-ci a pour rôle d'empêcher la remontée brutale des fluides sous pression présents dans les roches traversées, mais aussi d'évacuer les débris créés par le trépan tout en refroidissant l'outil.

La figure ci-dessous montre l'évolution de la viscosité d'un mélange argiles-eau en fonction de la concentration en argiles. On voit bien que des proportions assez faibles de bentonites suffisent à modifier considérablement la viscosité du mélange, beaucoup plus qu'avec d'autres types d'argiles.

C/ Intérêts en géo-ingenierie et en génie civil :

Les argiles, remparts aux pollutions.

1) Les argiles, membranes pour contenir les polluants.

Les argiles, les smectites (= montmorillonites) en particulier, ont la capacité d'adsorber de nombreux éléments (à la surface de leurs feuillets), du fait de leur grande surface et des charges qu'elles portent (elles peuvent aussi en absorber, s'ils pénètrent à l'intérieur des octaèdres silicatés).

Elles ont ainsi une grande capacité d'échange cationique (C.E.C.). On en tire parti pour en faire des pièges à cations polluants, Cuivre, zinc, ou métaux lourds par exemple.

L'imperméabilité des argiles en fait aussi un matériau intéressant pour l'isolement des déchets et le confinement des liquides qui peuvent se former au cours de leur dégradation.

2) Les argiles, pièges aux composés radioactifs

Des argiles, naturelles mais aussi synthétiques, peuvent piéger efficacement les composés radiogéniques et radioactifs. Leur emploi comme agent de confinement des déchets radioactifs est donc un domaine de recherche actif.&gt;

Argiles facteur de risque, et génie civil.

Le repérage des couches argileuses concerne aussi le génie civil, puisque ces couches, si elles absorbent une trop grande quantité d'eau, lors de fortes intempéries par exemple, commencent par devenir malléables et, au pire, perdent leur cohésion, donnant ainsi des glissements de terrains, ou des coulées boueuses, appelées aussi "laves torrentielles".

(On se reportera, pour une description plus détaillée de ce phénomène, à l'article de Pour la Science d'Octobre 1997, Les coulées de boue.)

Ces coulées sont des mélanges eau-argiles-grains de toutes tailles (jusqu'à un mètre de diamètre ou plus), au comportement mécanique particulier, qui les fait avancer sur de grandes distances, malgré leur importante concentration en matière solide. Cette concentration (jusqu'à plus de 85%) donne à ces laves un comportement de "fluide à seuil", c'est-à-dire que la contrainte tangentielle nécessaire à leur mise en mouvement doit être supérieure à une valeur seuil [au contraire de l'eau, par exemple, que la plus faible force suffit à déplacer]. L'écoulement nécessite donc une pente suffisante.

Là encore, les particules argileuses ont un rôle déterminant, car, pour une même concentration solide, la viscosité est d'autant plus forte que la granulométrie est faible, donc que la quantité d'argiles est importante.

Cependant, le comportement de ce phénomène, et sa modélisation, ne sont pas encore maîtrisés, et font toujours l'objet d'étude.

Cet exemple illustre bien les problèmes encore posés, pour le génie civil, par les roches argileuses et leurs modifications sous l'effet des intempéries ou des séismes qui peuvent les déstabiliser. D'autre part, l'étude de ces phénomènes est aussi nécessaire à la compréhension de phénomènes similaires, comme les coulées turbides sous-marines, qui ne présentent pas de danger pour les populations humaines, et intéressent surtout les sédimentologues.

D/ Intérêt agronomique: le complexe argilo-humique.

Les argiles sont une part importante des sols (cf. plus haut), où elles contribuent à l'apparition d'une structure complexe, le complexe argilo-humique. Il provient de la formation de liaisons électrostatiques entre les minéraux argileux et la matière organique du sol, en particulier les acides humiques, à l'aide, de plus, de cations comme les ions calcium. [Ces ions assurent la floculation des argiles, c'est-à-dire la formation de micelles neutres par association des cations et des feuillets argileux chargés négativement]. Le tout donne au sol une structure grumeleuse, stable et favorable pour l'agronome.

Seuls les grands types d'interactions acides humiques-argiles sont rappelés dans la figure ci-dessous.

De plus, cette liaison de cations aux argiles en fait aussi un réservoir d'éléments utiles aux plantes, qu'elles leur restituent lentement.

&nbsp;

E/ Intérêts économiques : les argiles, des matériaux à tout faire.

1) Quelques propriétés particulières des argiles, connues de longue date.

# La caractéristique des argiles peut-être la plus anciennement constatée est leur malléabilité en présence d'eau. Celle-ci tient à la finesse des particules constitutives de l'argile : les feuillets minéraux développent d'importantes tensions de surface (d'autant plus qu'ils sont chargées négativement(anions O2-)), et retiennent donc fortement l'eau, molécule polaire, sous forme de films. Ainsi se forme une pâte modelable.

# Leur deuxième propriété intéressante est leur durcissement à la cuisson (à haute température, plus de 1000°C souvent. On parle alors de poteries dures, car non rayables par l'acier, par opposition aux poteries tendres, poreuses, issues d'un simple séchage au soleil ou d'une faible cuisson : ce traitement à haute température distingue les céramiques des poteries au sens plus général, cf. plus loin).

# Enfin, certains minéraux argileux, les smectites en particulier, présentent d'importantes capacités d'absorption (d'où leur nom, qui provient du grec &sigma;&mu;&epsilon;&kappa;&theta;&omega;, "je nettoie" : cette absorption concerne l'eau, mais aussi des graisses, ou d'autres substances.

2) Les argiles, premier matériau de construction et d'outillage

# La construction et les céramiques.

Du fait des deux premières propriétés décrites ci-dessus, les argiles ont été, dès les premières civilisations, les matériaux de base, en particulier pour la construction ( la fameuse tour de Babel, et autres ziggurats du Moyen-Orient, étaient constituées de briques d'argiles), et pour les objets utilitaires. Encore actuellement, l'argile est le matériau de base pour la création de briques, tuiles, carrelages, céramiques industrielles, robinetteries, porcelaines, faïences, poteries, etc...

Une argile pure, essentiellement constituée de kaolinite, donne après cuisson (par des réactions de déstabilisation et réarrangements cristallins, analogues à celles d'un métamorphisme de contact), un corps dur mais poreux et rayable par l'acier, de faible résistance mécanique (ces argiles sont utilisées pour la fabrication de produits fins, type faïences et porcelaines, après mélange avec d'autres produits).
&nbsp;Par contre, les argiles moins pures contiennent des éléments dits "fondants"(que l'on peut aussi ajouter, sous forme de chaux, potasse, soude, feldspaths,...) : ces éléments sont susceptibles de fondre aux températures appliquées, donnant alors des silicates de viscosité variables. Dans certains cas, on assistera donc à une brutale baisse de viscosité, permettant un façonnage à chaud, dans d'autres, les silicates se vitrifient lentement, sans ramollissement, et comblent alors les pores (ces processus s'apparentent à ceux rencontrés naturellement au cours de l'anatexie). La présence de ces fondants assure donc le développement d'une phase vitreuse qui rigidifie l'ensemble en liant les éléments cristallins.

Il n'est pas question de décrire ici la variétés des "poteries" et céramiques. On se reportera pour cela aux articles correspondants de l'Encyclopedia Universalis.

# Les argiles, composants du ciment

L'argile employée pour la formation de ciment contribue à l'apparition, à chaud, des silicates d'alumines (comme au cours de l'évolution métamorphique des argiles), principaux composants du ciment, avec le gypse.

3) La diversification des usages des argiles :

# Quelques autres utilisations anciennes

Les propriétés absorbantes des "argiles smectiques" sont mises à profit depuis longtemps par les drapiers (terre à foulons) et les huileries (argiles à dégraisser). On peut aussi mentionner, par exemple, la terre de Sommières, une argile commercialisée pour effacer, par absorption, les tâches de graisse sur les textiles.

# La diversification récente des utilisations des argiles

D'autre part, la finesse, et l'état très divisé des argiles, en fait des filtres et des catalyseurs employés dans l'industrie chimique. Dans le secteur recherche de la chimie, on cherche aussi à utiliser les argiles pour piéger entre leurs feuillets des substances chimiques, afin de les stabiliser, et d'augmenter le rendements des réactions chimiques, ou d'orienter les molécules afin de privilégier une réaction par rapport à une autre.

Enfin, les industries pharmaceutiques et cosmétiques, emploient aussi, parfois abondamment, les minéraux argileux. On peut citer par exemple divers traitements cosmétiques de la peau (hydratation de la peau, etc...), ou des "pansements gastriques" constitués de smectites. L'industrie agro-alimentaire utilise aussi des argiles comme agents de texture de certains aliments.

<- Retour   Suite ->

Date de création : Septembre 2005.

Cyril.Langlois.95@normalesup.org
Valid HTML 4.01! Valid CSS!