PLAN
1/ UN PREMIER
PROBLEME : LA DEFINITION
DES ARGILES
A/ Les argiles en tant que roches.
B/ Les argiles en tant que minéraux.
C/ Classification schématique des minéraux argileux.
2/ ORIGINES GEOLOGIQUES DES ARGILES
B/ L'altération, mode de production des minéraux argileux.
C/ La création d'argiles par l'hydrothermalisme.
D/ Devenir des argiles dans la diagénèse et le métamorphisme.
C/ Intérêts en géo-ingénierie et génie civil.
D/ Intérêt agronomiques : le complexe argilo-humique.
E/ Intérêts économiques : les argiles, matériaux à tout faire.
Ce sujet est particulièrement vaste, car les argiles, on le verra, constitue une famille de minéraux très diversifiée, et leurs utilisations, surtout aujourd'hui, sont tout aussi variées. On n'en indiquera ici que quelques-unes. Mais on peut noter immédiatement que les argiles, en tant que matériau d'origine des poteries et des briques, représente sans doute, après la pierre taillée ou polie, et le bois, l'un des tout premiers matériaux naturels utilisé par l'espèce humaine.
Il nous faudra d'abord définir les argiles, ce qui peut déjà se faire de plusieurs manières selon que l'on parle d'argiles en tant que minéraux ou en tant que roches contenant majoritairement lesdits minéraux. La description des minéraux argileux permettra d'en dégager les principales propriétés, qui éclaireront les utilisations de ces matériaux. On abordera ensuite leurs modes de formation, en remarquant que les minéraux argileux sont exclusivement cantonnés à la partie la plus superficielle de la croûte terrestre. Ce n'est qu'ensuite que l'on détaillera certains intérêts des argiles.
On parle, dans le langage courant, d'argiles, pour désigner des roches sans cristaux visibles, donc constituées de particules très fines, et aux propriétés mécaniques particulières, notamment en présence d'eau: elles ont un contact collant, absorbent l'humidité, et sont alors plastiques (malléables).
La petitesse de leurs cristaux impose des méthodes d'études spécifiques, en laboratoire.
Cette particularité sert aussi de
première base
pour une définition plus rigoureuse.
Les échelles granulométriques, qui
définissent les particules constitutives des roches
sédimentaires selon un critère de taille, sont
nombreuses, mais identifient généralement les
argiles
comme les particules les plus fines : la classification de
Wenthworth appelle argiles (clays ) les particules
inférieures à3,9 micromètres (cf.
figure ci
dessous ).
En tant que roches sédimentaires, les argiles sont des mélanges de minéraux, dominés par un type, dit minéraux argileux (cf. plus loin), auxquels elles doivent leurs propriétés. Néanmoins, en fonction des autres minéraux présents,de la texture de la roche, de son aspect ou de ses propriétés, de son contenu en matière organique, ou de l'utilisation qu'en fait l'homme, de nombreuses catégories sont distinguées :
D'après la texture :argilites (roches argileuses sédimentaires non litées), shales (roches litées), argiles schisteuses ou schistes argileux, etc...
# D'après les minéraux associés : argilites calcaires (ou marnes), marnes dolomitiques, argilites sableuses, marnes sableuses, shales sableux, marnes à gypse, etc...>
# D'après le faciès : argilites bigarrées, marnes rubanées, argiles à varves, argiles plastiques, argiles à silex, etc...
# D'après la matière organique contenue : marnes à Foraminifères, shales à poissons, argilites à plantes, shales bitumineux, etc...
# D'après son usage par l'homme : argiles réfractaires, marnes à ciment, argiles smectiques (terre à foulon, bentonites, argiles à dégraisser), etc...(cf. chap.3)
Enfin, une analyse chimique globale des roches argileuses peut se reporter sur un diagramme triangulaire, mais cela ne permet pas de séparer différentes classes d'argiles.
L'examen de roches argileuses au microscope montre que la plupart des minéraux sont des paillettes silicatées, en général plus petites que les micas, mais apparentés à ceux-ci, physiquement et optiquement. On définit donc cette fois les argiles en tant que famille minérale appartenant aux phyllosilicates. Pour éviter les confusions, il est donc préférable de parler de "minéraux argileux", ou phyllites.
Au microscope optique toujours, certains de ces minéraux peuvent être distingués :
# la kaolinite, en petits
feuillets hexagonaux
s'empilant parfois en boudins,
# la chlorite, de couleur verte
caractéristique,
# attapulgite et sépiolite
en
fibres
Ces cas sont cependant rares, d'où la nécessité de méthodes d'études spécifiques.
Cette méthode n'est pas exclusive aux argiles, mais
s'y
applique en priorité.
Elle consiste à envoyer un faisceau de rayons X sur les
minéraux. Les minéraux argileux sont
composés
de feuillets silicatés superposés : ceux-ci
réfléchissent les rayons X qui les atteignent
sous
une incidence donnée, et dans une direction
donnée.
Pour un faisceau monochromatique de longueur d'onde donnée, λ, abordant, sous un
angle Θ une famille de
plans atomiques,
séparés les uns des autre d'une distance d
(distance
réticulaire), les atomes diffusent cette onde dans toutes
les directions et, dans le cas où les rayonnements
renvoyés par les plans successifs sont en phase,
l'intensité correspondante est suffisante pour
être
mesurée. La différence de marche δ
entre deux rayons réfléchis par
deux plans consécutifs étant :
δ = OH + OH' = 2.d.sin
Θ
Ces deux rayons sont en phase si δ =
n.λ.
D'où la relation dite Loi de Bragg : δ = 2.d.sin Θ= n.λ
En mesurant les angles Θ de
réflexion du rayonnement incident, on peut, connaissant λ,
déterminer les distances
réticulaires d d'un réseau cristallin,
caractéristiques d'un minéral donné.
Les λ utilisées vont,
habituellement, de 0,15 à 0,19 nm.
Les minéraux argileux sont constitués
de silicium,
d'aluminium, d'oxygène et d'ions hydroxyles OH,
organisés en couches, de deux types selon que les
oxygènes ou hydroxyles sont associés en
tétraèdre ou en octaèdres. Les couches
de
tétraèdres sont dominés par Si 4+
et O-. Celles d'octaèdres sont
dominées
soit par Al 3+ (= couches
dioctaédriques, 2
atomes suffisent pour occuper les 6 sites des sommets de
l'octaèdre) et OH-, soit par Mg 2+
(=
couches trioctaédriques,3 atomes de magnésium
sont
nécessaires à l'équilibre des charges
des
octaèdres).
Les couches d'octaèdres et de
tétraèdres
s'accolent selon des plans, par mise en commun d'O et d'OH,
d'où la structure en feuillets séparés
par des
espaces interfoliaires.
Du fait de possibles substitutions partielles de Si 4+
par Al 3+dans les
tétraèdres, de Al
3+ par Mg 2+, Fe 2+
ou Fe
3+, dans les octaèdres, il peut
apparaître
des déficits de charges positives, déficits qui
sont
alors compensés par l'insertion de cations ou d'eau dans les
espaces interfoliaires.
De tout cela découle une formule
générale
conventionnelle des minéraux argileux, du type :
# Nombre de feuillets :
On distingue trois types d'accolement:
- 1 couche d'octaèdres (O) et 1 couche de
tétraèdres(T): phyllites 1/1 ou T.O.
- 1 couche d'octaèdres,
insérée entre
deux couches de tétraèdres: phyllites 2/1 ou
T.O.T.
- un feuillet de type 2/1 avec une couche
d'octaèdres
supplémentaires, isolée dans l'espace
interfoliaire:
phyllites2/1/1 ou T.O.T.O.
# Substitutions atomiques
: On
subdivise les trois catégories
précédentes
selon le taux de substitution des atomes et leur lieu (Si
<-->Al ou Al <--> Mg, Fe: substitution
dioctaédrique ou trioctaédrique), et la nature
des
cations compensateurs.
# Espacement des feuillets :
Selon les minéraux, et les constituants qui se logent dans les espaces interfoliaires, ceux-ci présentent des largeurs différentes.
# Kaolinite : C'est une phyllite 1/1 sans substitution. Le feuillet est neutre. La distance de la surface d'un feuillet à celle du feuillet suivant est de 0,7 nm (7 angströms (Å)), sa formule est : Si2 Al2 O5 (OH)4 ou Si4 Al4 O10 (OH)8.
# Illites : phyllites 2/1 , avec des substitutions foliaires, compensées électriquement par des ions K en position interfoliaire. L'équidistance moléculaire est de 1 nm. Formule générale : (Si4-x Alx)(Al,M1,M2)2 O10 (OH)2 K. La glauconite est le pôle ferrique de l'illite.
# Smectites : (anciennement montmorillonites) : le modèle est le même que celui des illites, mais avec une moindre organisation dans l'empilement des feuillets : chaque feuillet est tourné dans son plan par rapport au précédent. Ce désordre et la faible charge des feuillets facilitent leur écartement. Dans cet espace peuvent se loger divers cations, de l'eau et des molécules organiques d'encombrement divers, d'où une équidistance réticulaire variant de 1 à 1,8 nm, et la grande variété des minéraux de cette famille.
Notons qu'en géologie économique, on nomme bentonites les smectites exploitables commercialement. Pour le sédimentologue, par contre, ce terme désigne un lit argileux issu de l'altération de cendres volcaniques, et pouvant contenir des smectites, mais aussi de la kaolinite, des minéraux interstratifiés et des zéolites.
# Chlorites : leur structure est, là encore, semblable à celle des illites et des smectites, mais l'espace interfoliaire est occupé par une couche d'hydroxydes de natures variées. Cette couche octaédrique supplémentaire est stable, et l'équidistance réticulaire est fixe, et de 1,4 nm.
# Minéraux argileux interstratifiés : dans ces minéraux alternent des feuillets avec des espaces interfoliaires de largeurs différentes, déterminables seulement si cette alternance est régulière. Ces minéraux sont les étapes de transformation d'un minéral argileux à l'autre.
# Minéraux en lattes, sépiolite et attapulgite : ils sont composés, non de feuillets, mais de rubans à trois couches accolés en quinconce. La couche octaédrique comprend 8 cations (Mg) pour la sépiolite, 5 pour l'attapulgite (Mg, Al, Fe).
Deux modes de classifications sont proposés ci-dessous.
En conclusion de ce chapitre, on doit noter que les argiles ne se rencontrent, en tant que telles, que dans les ensembles sédimentaires non métamorphisés (à l'exception du cas de l'hydrothermalisme, cf. plus loin) : elles sont donc spécifiques du domaine externe de la Terre. On doit donc maintenant examiner les modalités de leur(s) formation(s).
Trois origines des minéraux argileux sont classiquement délimitées dans la littérature:
Par ce terme, on désigne simplement les minéraux argileux présents dans une roche, et que l'altération libère intacts, sans modification, dans le sol ou les formations détritiques résultantes, ou des argiles formées à partir d'une autre roche et accumulées dans celle étudiée.
Cependant, il est rare que les minéraux argileux n'aient réellement subi aucune modification, même limitée.
Dans ce cas - ci, des minéraux formés
auparavant,
ou apportés d'ailleurs, subissent des
réarrangements
de leurs réseaux silicatés, sans destruction
complète de leur organisation
précédente. Ils
évoluent ainsi vers un nouvel état
d'équilibre, avec les conditions locales du milieu dans
lequel ils sont inclus.
On distingue, dans ces transformations, la dégradation,
c'est-à-dire les processus allant dans le sens de
l'altération, autrement dit de l'apparition d'une structure
cristalline moins régulière, et d'une perte de
substance. C'est un processus commun dans les sols.
Le processus inverse porte le nom d'agradation, et se rencontre dans les systèmes sédimentaires, car il implique souvent des augmentations de température et de pression.>
(Remarque : ne pas confondre l'agradation, ici définie, et l'aggradation (avec deux g), qui est un mode de croissance des systèmes sédimentaires au cours du temps, défini par la stratigraphie séquentielle, correspondant à un équilibre entre le volume des apports sédimentaires et l'espace disponible dans le bassin).
Dégradation ->
<- Agradation
Ce processus correspond à une réorganisation complète de la structure cristalline. Elle intervient forcément quand une argile est formée à partir de certains silicates, comme les amphiboles, les péridots, ou les feldspaths.
On rappellera simplement ici les grands traits de
l'altération, avec les figures suivantes :
# Schéma de l'évolution minérale.
(roche-mère) (eau plus ou moins chargée) (complexe d'altération) (eau de drainage)
# Mécanismes principaux d'altération.
pH < 5 | 5 < pH < 9,6 | pH > 9,6 | |
Solution diluée en éléments salins (env. N/1000) |
Acidolyse Eaux chargées en acides organiques |
Hydrolyse Eaux pures ou chargées en CO2 |
|
Solution concentrée en éléments salins (Na, K, Ca) |
|
Salinolyse
Eaux chargées en sels d'acides forts (chlorures, sulfates) |
Alcalinolyse
Eaux chargées en sels d'acides faibles (carbonates et bicarbonates) |
Principaux mécanismes d'altération superficielle des roches selon les caractères des solutions ioniques
# Hydrolyse différentielle des minéraux.
On rappellera seulement ici les trois grandes étapes de l'hydrolyse selon son efficacité, avec l'exemple classique de l'hydrolyse de l'orthose: l'hydrolyse constitue la principale réaction de dégradation.
# Bisiallitisation.
Silice et cations basiques ne sont pas totalement lessivés. On aboutit à des phyllites 2/1 (montmorillonite, illite, vermiculite), caractérisées par la présence de cations basiques interfoliaires (K+, Na+).
( Perte en silice: 60%, perte en potassium: 67%)
# Monosiallitisation.
Les cations basiques sont ici totalement éliminés, et une part encore supérieure de la silice : il se forme des silicates argileux de type 1/1 :
2 KAlSi3O8 + 2 H+ + 9 H2O ---> Si2O5Al2(OH)4 + 4 Si(OH)4 + 2 K+
# Allitisation.
C'est l'hydrolyse totale. Silice et cations échangeables sont entraînés tandis que l'alumine précipite sur place. Ces produits accumulés sur place correspondent couramment à des hydroxydes d'aluminium du type gibbsite ou boehmite.
2 KAlSi3O8 + 8 H+ + 8 H2O ---> Al(OH)3 + 3 Si(OH)4 + 2 K+ + 9 OH-
L'altération des minéraux en argiles, entre autre par l'hydrolyse, dépend des conditions climatiques : chaleur, qui accélère les réactions chimiques, pluviosité, vent et autres agents mécaniques. En conséquence, les minéraux argileux issus de l'altération et qui sédimentent, se répartissent selon une disposition zonale latitudinale, superposée à celle des grands types de climats.
# Aux hautes latitudes (climat glaciaire), où 'eau est peu disponible et la tempétature basse, l'altération physique prédomine, et donne des minéraux proches de ceux de la roche-mère (héritage) : Ce sont surtout des illites, de la chlorite et des minéraux non argileux. Localement s'y ajoutent des minéraux hérités des couvertures sédimentaires anciennes démantelées, comme la kaolinite mésozoïque dans les mers arctiques.
# Sous climat tempéré, l'hydrolyse dégrade et transforme partiellement les minéraux: les sols bruns qui s'y forment contiennent des illites ouvertes, des interstratifiés irrégiliers divers, à composition plus smectitique que vermiculitique plus l'humidité augmente, des vermiculites et des smectites de dégradation mal cristallisées (pseudobisiallitisation). Si le drainage des solutions de lessivage est actif, le stade kaolinite, voire gibbsite, peut être atteint par les minéraux les plus fragiles, comme les feldspaths.
# Sous les climats chauds et humides, tropicaux et équatoriaux, l'hydrolyse intense permet la formation de manteaux d'altération épais, dont le développement induit un nivellement des reliefs : Ce sont les sols rouges intertropicaux (latérites s.l.), souvent marqués par une cuirasse d'accumulation ferrifère. Les minéraux néoformés, surtout la kaolinite et les oxydes métalliques, plus ou moins hydratés (gibbsite, goethite), s'y développent, indépendamment ou presque de la nature de départ de la roche-mère. Allitisation et monosiallitisation dominent.
L'hydrothermalisme des dorsales océaniques entraîne une substitution d'éléments entre les basaltes nouvellement formés et l'eau de mer. En particulier, il y a échange du calcium des verres basaltiques silicatés et du magnésium en solution, ce qui aboutit à une argile magnésienne d'altération (de formule simplifiée fictive MgSiO3), et à la libération de calcium qui précipite au fond des océans et au droit des dorsales (au dessus de la CCD), en calcite CaCO3. D'où la réaction bilan schématique :
CaSiO3 + Mg2+ + 2 HCO3- ---> MgSiO3 + CaCO3 + CO2 + H2O
Notons qu'au contraire des réactions d'altération continentale, cette altération libère du CO2. D'autre part, elle est d'autant plus active que l'expansion océanique est rapide, et la fracturation intense.
# Diagenèse précoce sous-marine : les argiles rouges des grands fonds.
# De la diagenèse précoce à la diagenèse profonde et au métamorphisme :
Cette évolution se traduit par (cf.
schéma) :
- une homogénéisation des
minéraux,
- une augmentation de leur taille et de la
solidité
de leurs structures.
Enfin, dans le domaine du métamorphisme, les argiles donnent des schistes : la série argileuse, ou pélitique, conduit, à partir d'argiles supposées essentiellement composées de kaolinite, à des argilites, ou schistes phylliteux, du fait de la formation d'illite, puis, par déshydratation et cristallisation, àdes phyllades,ou aux schistes sériciteux et séricitoschistes; la séricite, issue de la kaolinite par déshydratation et enrichissement en potassium, peut donner ensuite de la muscovite (micaschiste à mica blanc), et la chlorite de la biotite (micaschiste à deux micas). Les minéraux proprement argileux disparaissent donc aux profits d'autres phyllosilicates et de silicates d'alumines (andalousite, sillimanite, disthène).
Les particules argileuses étant les plus fines des cortèges détritiques, ce sont aussi celles qui sédimentent le plus loin des côtes : En conséquence, les niveaux les plus argileux des séries sédimentaires (de marges passives surtout) signent les épisodes de niveau marin élevé. (Cf. stratigraphie séquentielle).
En supposant globalement applicable le principe de l'actualisme, en considérant l'effet de la diagénèse, et d'après ce qui a été dit dans les précédentes parties, l'étude des argiles d'une strate sédimentaire, ou d'un ensemble de strates de même lithologie, peut donner des informations sur les roches-mères possibles (donc la présence d'un orogène à proximité par exemple), le climat (cf. les paléo-cuirasses latéritiques, ou les bauxites), le type d'altération dominant à l'époque, son intensité ou ses variations d'intensité, l'éloignement entre le bassin sédimentaire et les roches-sources,...
Comme mentionné précédemment, les argiles sont les minéraux et les roches majeures issues de la dégradation, puis du dépôt, des constituants des autres roches, formées à plus grandes profondeurs (roches plutoniques et magmatiques):ce sont, pour l'essentiel, les argiles qui ferment le "cycle géologique" et en représentent la partie superficielle, issue de l'interaction lithosphère-atmosphère: par conséquent, les mesures de flux de matières et/ou d'éléments chimiques doivent considérer en premier lieu les transports et stockages sous forme d'argiles ou de minéraux argileux.
Cela n'implique pas que les argiles soient les modes principaux de transport ou de piégeage pour tous les éléments chimiques : Ainsi, l'altération, donc la production d'argile, a été considérée comme un facteur majeur pour la consommation duCO2 atmosphérique, et on a donc tenté d'évaluer l'influence de l'augmentation des flux de matières issue de l'érosion intense de l'Himalaya sur l'équilibre du cycle du carbone. Or, des évaluations récentes (Nature, Letters, vol.390, Nov.97) indiquent que le piégeage de carbone dans les sédiments du Golfe du Bengale, issus de l'érosion himalayenne, résulterait surtout de l'enfouissement de carbone organique, plus que de l'altération des silicates de la chaîne de montagne.
(Article de Science, vol.270, Octobre 95)
Cet article présente une tentative de démonstration de la réalité de l'érosion "inverse" ("reverse weathering") :
Ce terme désigne les processus géologiques susceptibles d'aboutir, au cours du trajet superficiel des constituants des roches, à une libération de dioxyde de carbone, l'altération "classique" pouvant se résumer à une consommation de CO2 atmosphérique, lequel, sous forme acide dissoute (CO2 dissous ou HCO3-), constitue, avec l'eau, un des agents d'altération chimiques majeurs.
L'érosion (au sens large d'érosion mécanique plus altération chimique) peut se résumer par l'équation :
CaSiO3
+ 2 CO2
+ 2 H2O
-> Ca2+
+ 2 HCO3-
+ H4SiO4
Puis : Ca2+
+ 2 HCO3-
+ H4SiO4 -> CaCO3
+ SiO2
+ CO2
+ 2H2O
L'idée testée ici est que les sédiments qui se déposent peuvent être le siège de néoformation de minéraux argileux, à partir des constituants en solution, aboutissant à une libération de CO2. Le schéma général de ces réactions serait alors :
Silice + argiles alumineuses
dégradées + oxydes de fer + cations organiques
+ cations solubles + bicarbonate -> nouveaux minéraux
argileux + dioxyde de carbone + eau
Les auteurs de cet article ont montré la réalité et la rapidité de ces réactions dans des sédiments marins anoxiques du delta de l'Amazone.
Après avoir
collecté, en
différents points du delta, des sédiments, ils y
ont
enfoui et fixé, en laboratoire, de petites
quantités
de substrats solides précis, présents
naturellement
dans ces sédiments (kaolinite, grains de quartz, grains de
quartz recouverts d'oxydes de fer, billes de verre, chacun
représentant un type des apports constatés dans
le
sédiment: aluminosilicates, sable, débris
latéritiques et silice amorphe des frustules de
diatomées vivant dans la colonne d'eau)
Chacun de ces substrats a été inclu dans un
porte-objet en acrylique, recouvert d'une membrane filtrante et
d'un filet de nylon, le tout étant placé au
centre
d'une bouteille en plastique remplie de sédiment et
scellée sous atmosphère d'azote.
L'ensemble a
été laissé 12
à 36 mois à 28° C, puis les
échantillons
ont été examinés au microscope
électronique à balayage: ils montraient en effet
la
cristallisation de nouveaux minéraux aux dépends
des
substrats, dont la nature argileuse et le type exact ont ensuite
été déterminé par
diffractométrie et analyse à la microsonde.
Il s'agit de minéraux argileux riches en potassium et en
fer, assez proches de micas. Les auteurs en tirent des estimations
quantitatives sur l'importance de ces réactions, et sur leur
influence dans les bilans de matière, en particulier fer,
potassium, et fluor.
De plus, la formation
d'argiles, donc
d'aluminosilicates, nécessite des apports d'aluminium, que
les auteurs supposent issu de la dégradation d'oxydes
d'aluminium ou d'autres matériaux
aluminosilicatés
fortement altérés, ce qui va à
l'encontre de
l'idée habituelle, qui considère l'aluminium
comme un
élément très peu mobile.
Enfin, ils estiment que le paramètre limitant pour le
développement de ces minéraux
authigènes est
la disponibilité du silicium. Les billes de verre sont en
effet, dans leurs expérimentations, le substrat le plus
altéré : elles sont souvent totalement dissoutes,
alors que des minéraux argileux cristallisent sur la
membrane poreuse. La limitation majeure à ces
réactions serait donc les apports de silice
réactive
issue de la dissolution des Diatomées. Autrement dit, cette
authigenèse constituerait aussi un puit pour la silice
biogène.
L'impact réel de ces réactions sur les calculs de flux de matière, ou sur les quantités contenues dans les réservoirs, demande cependant la confirmation du caractère global de ces mécanismes, et de la possibilité de généraliser ces résultats, obtenus pour un seul fleuve, à l'ensemble des apports fluviatiles à l'océan, même si les auteurs rappellent que l'Amazone contribue déjà à environ 6% du total des particules apportées annuellement par les fleuves au océans.
Les compagnies pétrolières, dans leurs prospections, accordent une grande importance à la localisation des bancs argileux dans les séries sédimentaires : en effet, ces couches peuvent correspondre à des roches-mères de pétroles ou de gaz (issues d'une boue riche en matière organique déposée en conditions anoxiques ou hypoxiques), mais, surtout, elles représentent d'excellentes roches de couverture, c'est-à-dire des couches imperméables, susceptibles d'avoir stoppé les hydrocarbures lors de leur remontée depuis leur roche-mère sous-jacente, (du fait de leur faible densité). L'imperméabilité des roches argileuses s'explique facilement par la compaction subie lors de la diagénèse, qui aligne les feuillets des minéraux argileux, d'où une forte réduction de la porosité de la formation. Les particularités des argiles expliquent aussi les critères définis pour les localiser sur les sondages.
Certaines smectites, dénommés bentonites, sont employées dans les forages pétroliers pour obtenir, mélangée à l'eau en proportions déterminées, une "boue de forage" de viscosité et de densité précises. Celle-ci a pour rôle d'empêcher la remontée brutale des fluides sous pression présents dans les roches traversées, mais aussi d'évacuer les débris créés par le trépan tout en refroidissant l'outil.
La figure ci-dessous montre l'évolution de la viscosité d'un mélange argiles-eau en fonction de la concentration en argiles. On voit bien que des proportions assez faibles de bentonites suffisent à modifier considérablement la viscosité du mélange, beaucoup plus qu'avec d'autres types d'argiles.
Les argiles, les smectites (= montmorillonites) en particulier, ont la capacité d'adsorber de nombreux éléments (à la surface de leurs feuillets), du fait de leur grande surface et des charges qu'elles portent (elles peuvent aussi en absorber, s'ils pénètrent à l'intérieur des octaèdres silicatés).
Elles ont ainsi une grande capacité d'échange cationique (C.E.C.). On en tire parti pour en faire des pièges à cations polluants, Cuivre, zinc, ou métaux lourds par exemple.
L'imperméabilité des argiles en fait aussi un matériau intéressant pour l'isolement des déchets et le confinement des liquides qui peuvent se former au cours de leur dégradation.
Des argiles, naturelles mais aussi synthétiques, peuvent piéger efficacement les composés radiogéniques et radioactifs. Leur emploi comme agent de confinement des déchets radioactifs est donc un domaine de recherche actif.>
Le repérage des couches argileuses concerne aussi le génie civil, puisque ces couches, si elles absorbent une trop grande quantité d'eau, lors de fortes intempéries par exemple, commencent par devenir malléables et, au pire, perdent leur cohésion, donnant ainsi des glissements de terrains, ou des coulées boueuses, appelées aussi "laves torrentielles".
(On se reportera, pour une description plus détaillée de ce phénomène, à l'article de Pour la Science d'Octobre 1997, Les coulées de boue.)
Ces coulées sont des mélanges eau-argiles-grains de toutes tailles (jusqu'à un mètre de diamètre ou plus), au comportement mécanique particulier, qui les fait avancer sur de grandes distances, malgré leur importante concentration en matière solide. Cette concentration (jusqu'à plus de 85%) donne à ces laves un comportement de "fluide à seuil", c'est-à-dire que la contrainte tangentielle nécessaire à leur mise en mouvement doit être supérieure à une valeur seuil [au contraire de l'eau, par exemple, que la plus faible force suffit à déplacer]. L'écoulement nécessite donc une pente suffisante.
Là encore, les particules argileuses ont un rôle déterminant, car, pour une même concentration solide, la viscosité est d'autant plus forte que la granulométrie est faible, donc que la quantité d'argiles est importante.
Cependant, le comportement de ce phénomène, et sa modélisation, ne sont pas encore maîtrisés, et font toujours l'objet d'étude.
Cet exemple illustre bien les problèmes encore posés, pour le génie civil, par les roches argileuses et leurs modifications sous l'effet des intempéries ou des séismes qui peuvent les déstabiliser. D'autre part, l'étude de ces phénomènes est aussi nécessaire à la compréhension de phénomènes similaires, comme les coulées turbides sous-marines, qui ne présentent pas de danger pour les populations humaines, et intéressent surtout les sédimentologues.
Les argiles sont une part importante des sols (cf. plus haut), où elles contribuent à l'apparition d'une structure complexe, le complexe argilo-humique. Il provient de la formation de liaisons électrostatiques entre les minéraux argileux et la matière organique du sol, en particulier les acides humiques, à l'aide, de plus, de cations comme les ions calcium. [Ces ions assurent la floculation des argiles, c'est-à-dire la formation de micelles neutres par association des cations et des feuillets argileux chargés négativement]. Le tout donne au sol une structure grumeleuse, stable et favorable pour l'agronome.
Seuls les grands types d'interactions acides humiques-argiles sont rappelés dans la figure ci-dessous.
De plus, cette liaison de cations aux argiles en fait aussi un réservoir d'éléments utiles aux plantes, qu'elles leur restituent lentement.
# La caractéristique des argiles peut-être la plus anciennement constatée est leur malléabilité en présence d'eau. Celle-ci tient à la finesse des particules constitutives de l'argile : les feuillets minéraux développent d'importantes tensions de surface (d'autant plus qu'ils sont chargées négativement(anions O2-)), et retiennent donc fortement l'eau, molécule polaire, sous forme de films. Ainsi se forme une pâte modelable.
# Leur deuxième propriété intéressante est leur durcissement à la cuisson (à haute température, plus de 1000°C souvent. On parle alors de poteries dures, car non rayables par l'acier, par opposition aux poteries tendres, poreuses, issues d'un simple séchage au soleil ou d'une faible cuisson : ce traitement à haute température distingue les céramiques des poteries au sens plus général, cf. plus loin).
# Enfin, certains minéraux argileux, les smectites en particulier, présentent d'importantes capacités d'absorption (d'où leur nom, qui provient du grec σμεκθω, "je nettoie" : cette absorption concerne l'eau, mais aussi des graisses, ou d'autres substances.
# La construction et les céramiques.
Du fait des deux premières propriétés décrites ci-dessus, les argiles ont été, dès les premières civilisations, les matériaux de base, en particulier pour la construction ( la fameuse tour de Babel, et autres ziggurats du Moyen-Orient, étaient constituées de briques d'argiles), et pour les objets utilitaires. Encore actuellement, l'argile est le matériau de base pour la création de briques, tuiles, carrelages, céramiques industrielles, robinetteries, porcelaines, faïences, poteries, etc...
Une argile pure,
essentiellement constituée de
kaolinite,
donne après cuisson (par des réactions de
déstabilisation et réarrangements cristallins,
analogues à
celles d'un
métamorphisme de contact), un corps
dur mais
poreux et rayable par l'acier, de faible résistance
mécanique (ces argiles sont utilisées pour la
fabrication de produits fins, type faïences
et
porcelaines, après mélange
avec d'autres
produits).
Par contre, les argiles moins pures contiennent des
éléments dits "fondants"(que l'on peut aussi
ajouter,
sous forme de chaux, potasse, soude, feldspaths,...) : ces
éléments sont susceptibles de fondre aux
températures appliquées, donnant alors des
silicates
de viscosité variables. Dans certains cas, on assistera donc
à une brutale baisse de viscosité, permettant un
façonnage à chaud, dans d'autres, les silicates
se
vitrifient lentement, sans ramollissement, et comblent alors les
pores (ces processus s'apparentent à ceux
rencontrés
naturellement au cours de l'anatexie).
La présence de ces fondants assure donc le
développement d'une phase vitreuse qui rigidifie l'ensemble
en liant les éléments cristallins.
Il n'est pas question de
décrire ici la
variétés des "poteries" et céramiques.
On se
reportera pour cela aux articles correspondants de l'Encyclopedia
Universalis.
# Les argiles, composants du ciment
L'argile employée pour la formation de ciment contribue à l'apparition, à chaud, des silicates d'alumines (comme au cours de l'évolution métamorphique des argiles), principaux composants du ciment, avec le gypse.
# Quelques autres utilisations anciennes
Les propriétés absorbantes des "argiles smectiques" sont mises à profit depuis longtemps par les drapiers (terre à foulons) et les huileries (argiles à dégraisser). On peut aussi mentionner, par exemple, la terre de Sommières, une argile commercialisée pour effacer, par absorption, les tâches de graisse sur les textiles.
# La diversification récente des utilisations des argiles
D'autre part, la finesse, et l'état très divisé des argiles, en fait des filtres et des catalyseurs employés dans l'industrie chimique. Dans le secteur recherche de la chimie, on cherche aussi à utiliser les argiles pour piéger entre leurs feuillets des substances chimiques, afin de les stabiliser, et d'augmenter le rendements des réactions chimiques, ou d'orienter les molécules afin de privilégier une réaction par rapport à une autre.
Enfin, les industries pharmaceutiques
et
cosmétiques, emploient aussi, parfois
abondamment,
les minéraux argileux. On peut citer par exemple divers
traitements cosmétiques de la peau (hydratation de la peau,
etc...), ou des "pansements gastriques" constitués de
smectites. L'industrie agro-alimentaire utilise aussi des argiles
comme agents de texture de certains aliments.
A travers cet exposé, on a pu mettre en évidences les singularités des argiles, tant sur les plans structuraux et génétiques que pour les bénéfices que l'Homme peut tirer de leur exploitation.
Sur le plan géologique, leur localisation spécifique dans le domaine superficiel de la planète, et leur sensibilité aux paramètres des milieux (cf. les argiles des sols), en fait des marqueurs de choix des environnements actuels ou passés, que ne surpasse dans ce rôle que les organismes actuels ou fossiles.
Sous des aspects plus pratiques, si l'emploi des argiles en tant que matériaux de construction de base tend à diminuer dans les sociétés industrialisées, elles représentent encore une matière première aux usages multiples, certains tous récents (dans l'industrie chimique par exemple). De plus, on s'y intéresse actuellement pour leurs capacités à piéger les métaux lourds et pour leur imperméabilité, et par conséquent pour leur emploi dans le stockage de déchets hautement toxiques ou radioactifs, ou, plus simplement, pour éviter le lessivage des fluides, issus de l'évolution d'une décharge d'ordures, susceptibles d'aboutir à la pollution des nappes phréatiques ou des alimentations urbaines.
Mais leurs usages se sont maintenant multipliés, du fait de leur diversité naturelle bien sûr, mais aussi grâce à la possibilité actuelle de synthétiser artificiellement des matériaux argileux aux propriétés contrôlées.
MILLOT G., Géologie des argiles.
FOUCAULT A. & J.-F. RAOULT: Dictionnaire de Géologie, Dunod.
CHAMLEY H., Sédimentologie, Dunod.
COJAN I. & M.RENARD: Sédimentologie, Dunod.
ENCYCLOPEDIA UNIVERSALIS:
articles Argiles et
minéraux
argileux, Poteries, Ciments,
Céramiques et Céramiques
industrielles.
SCIENCE, vol.270, Octobre 95 :
Perspectives : Mackenzie T. & L.R.Kump, Reverse Weathering, Clay Mineral Formation, and Oceanic Element Cycles , 586-587.
Reports : Michalopoulos P. & R.C.Aller, Rapid Clay Mineral Formation in Amazon Delta Sediments : ReverseWeathering and Oceanic Elemental Cycles, 614-617
Coussot P. (1997), Les coulées de boues , Pour La Science, n° 240.
Date de création : Septembre 2005.