Planche 1

On lance une pièce équilibrée jusqu’à ce que le nombre de « piles » soit égal au double du nombre de « faces ». Quelle est la probabilité qu’on ne s’arrête jamais ?


Considérons une suite infinie de lancers de la pièce, mutuellement indépendants. Posons \(S_0 = 0\) puis, pour tout \(n \in \mathbb N^*\), notons \(S_n\) la différence du nombre de piles et du double du nombre de faces parmi les \(n\) premiers lancers. Les variables aléatoires \(X_n = S_n - S_{n-1}\) sont indépendantes et suivent la loi uniforme sur \(\{1,-2\}\). En particulier \(\tilde S = (S_{n+1} - S_1)_{n\geq 0}\) suit la même loi que \((S_n)_{n\geq 0}\) et est indépendante de \(S_1\).

Pour tout \(x \in \mathbb Z\), introduisons \(u(x) = P(x \notin S(\mathbb N)).\) La probabilité recherchée est \(p = P(0 \notin S(\mathbb N^*))\), que l’on peut décomposer en considérant le premier lancer : \[ p = P([S_1 = 1] \cap [-1 \notin \tilde S(\mathbb N)]) + P([S_1 = -2] \cap [2 \notin \tilde S(\mathbb N)]) \] et donc \(p = \frac12 u(-1) + \frac12 u(2)\) d’après les remarques précédentes. De même, \[ \forall x \in \mathbb Z^*,\quad u(x) = \frac12 u(x-1) + \frac12 u(x+2) \] et \(u(0) = 0\). Les suites \((u(x))_{x \geq 0}\) et \((u(x))_{x \leq 1}\) sont donc récurrentes linéaires d’ordre \(3\), d’équation caractéristique \(t^3 - 2t + 1 = 0\) qui admet pour racines \(1\), \(r = \frac{\sqrt 5 - 1}{2}\) et \(s = - \frac{\sqrt 5 + 1}{2}\).

Il existe donc des réels \((a,b,c) \in \mathbb R^3\) tels que : \[ \forall x\geq 0,\quad u(x) = \alpha r^x + \beta s^x + \gamma. \] Puisque \(u\) est à valeurs dans \([0;1]\), on a nécessairement \(\beta = 0\) car \(r^x \to 0\) et \(|s^x| \to +\infty\) lorsque \(x \to +\infty\). De plus \(u(0) = 0\) entraîne que \(\alpha = -\gamma\), d’où : \[ \forall x\geq 0,\quad u(x) = \gamma(1 - r^x). \]

En raisonnant de même avec \((u(x))_{x \leq 1}\), on établit l’existence de \(\delta \in \mathbb R\) tel que : \[ \forall x \leq 1,\quad u(x) = \delta(1-s^x). \] En considérant \(x = 1\) on obtient la relation \(\gamma(1-r) = \delta (1-s)\). Le lemme intuitif qui suit montre que \(\gamma = 1\), ce qui détermine donc aussi \(\delta\).

On obtient \(u(2) = r\) et \(u(-1) = 2r-1\), d’où \(\boxed{p = \dfrac{3r-1}{2} = \dfrac{3\sqrt 5 - 5}{4}}\)

Lemme. \(\lim_{x\to +\infty} u(x) = 1\).

Soit \(x \in \mathbb N\). Pour tous \(t > 0\) et \(n \in \mathbb N^*\), l’inégalité de Markov montre que \[ P(S_n \geq x) = P(e^{t S_n} \geq e^{tx}) \leq e^{-tx} E(e^{t S_n}), \] avec par indépendance \(E(e^{tS_n}) = E(e^{tX_1})^n\). De plus, lorsque \(t \to 0\), \[ E(e^{tX_1}) = \frac12 e^t + \frac12 e^{-2t} = 1 - \frac t2 + o(t). \] On dispose donc de \(t > 0\) et \(0 < c < 1\) tels que : \[ \forall n \in \mathbb N,\quad P(S_n \geq x) \leq e^{-tx} c^n. \] L’inégalité de Boole conduit alors à la majoration suivante : \[ P(x \in S(\mathbb N)) \leq \sum_{n=0}^{+\infty} P(S_n = x) \leq \frac{e^{-tx}}{1-c}. \] On a donc \(u(x) = 1 -O(e^{-tx})\) lorsque \(x \to +\infty\), ce qui permet de conclure.


Remarque. Le lemme est intuitif si on a en tête la loi forte des grands nombres (hors-programme) pour la convergence presque sûre de la suite \((\frac{S_n}n)\), qui implique ici que \((S_n)\) tend vers \(-\infty\) presque sûrement car \(E(X_1) < 0\). On conclurait alors par continuité croissante en remarquant que \[ \lim_{x\to +\infty} u(x) = \lim_{x\to+\infty} P(\sup S(\mathbb N) < x) = P(\sup S(\mathbb N) < +\infty). \]