Le captif du temps
Nicolas Joseph se réveilla d’un sommeil
brumeux. Les infirmières, conscientes qu’il était
enfin revenu à lui, accoururent à son chevet.
Elles lui retirèrent le casque, qui était sur sa
tête depuis qu’on l’avait découvert
inanimé au cent-cinquante avenue de Versailles, son domicile.
“ Ah ! Enfin de retour ! ”
Les infirmières le regardèrent, consternées.
“_ Le traitement n’a pas l’air d’avoir marché, semble-t-il, constata une infirmière.
_ Depuis sa tentative de suicide, hier, il est resté dans le
coma, alors forcément, il est un peu dérangé,
acquiesça une autre.
_ De quoi parlez-vous ? Et pourquoi suis-je à l’hôpital ? Je devrais être au Laboratoire !
_ Monsieur, le docteur Trinez va arriver. Reposez-vous.
_ Mais je ne veux pas me reposer ! J’exige des explications ! Eh, ne partez pas ! vociféra Nicolas.”
Les infirmières s’en allèrent, et laissèrent
la place au docteur Trinez, éminent spécialiste en
psychologie à l’hôpital Ambroise Paré.
“_ Pourquoi suis-je à l’hôpital, docteur ?
_ Ah ! Je vois que vous êtes enfin réveillé. Ne vous souvenez-vous de rien ?
_ De quoi devrais-je me souvenir ?
_ Hier, vous avez, semble-t-il, fait une tentative de suicide, en
apprenant la nouvelle de la mort de votre mère et de votre
femme, dans l’accident d’avion survenu sur le vol 746 de
Bonn vers Paris et en apprenant en même temps l’abandon des
recherches sur l’espace-temps, expliqua Trinez. Vous êtes
allé au Laboratoire Scientifique de Recherche Temporelle tel un
zombie, laboratoire qui va d’ailleurs fermer dans deux mois. Puis
vous êtes parti plus tôt que d’habitude, vers trois
heures, en vous justifiant par une grande fatigue, et vous avez
“emprunté” une des combinaisons prototypes
spatio-temporelles, vous l’avez fermé
hermétiquement et vous vous êtes mis en état de
vibration. Enfin c’est ce que pense Monsieur Zermlet, votre
confrère, qui aussitôt, ayant compris à la
disparition d’une des combinaisons ce qui se passait, a
aussitôt revêtu une d’entre elles, et foncé
chez vous. Il s’est mis en état de vibration, et est
intervenu à temps, avant que vous pressiez le bouton de
matérialisation, alors que vous étiez dans un mur. Sans
lui, vous seriez mort à l’instant même.
_ Vous dites n’importe quoi ! objecta Nicolas. Jamais Zinna et ma
mère ne sont partis à Bonn, et le L.S.R.T. n’a
jamais fermé ! Au contraire, je suis la preuve vivante que le
voyage dans le temps marche ! Je suis allé à
l’époque Jurassique ! Certes, mon retour à notre
époque à été plus mouvementé que je
ne le croyais, car la combinaison s’est déchirée,
mais je suis de retour. Arrêtez de me conter des salades !
_ Vous êtes en plein délire psychotique.
Infirmière, veuillez administrer un calmant à mon patient
! ”
Malgré les vives protestations de Joseph, une infirmière
lui administra un soporifique puissant, et il tomba dans un sommeil
profond.
“ Il est gravement atteint. Je ferais mieux de lui
présenter son ancien confrère et ami Zermlet ”
songea le docteur. Et il appela celui-ci.
*
Lorsque Nicolas se réveilla le lendemain
à neuf heures, son ami Rémi Zermlet était à
son chevet.
“_ Salut Rémi ! Alors, me voilà de retour ! Ça a marché !
_ De quoi parles-tu ?
_ Mais du voyage dans le temps voyons ! Je suis allé à
l’époque Jurassique, et j’ai même pris
quelques photos et un spécimen de plante qui a actuellement
disparu ! Tu m’y a envoyé deux jours avant. Tu te souviens
?
_ Mais voyons, le Laboratoire va fermer. Cela a été un
échec et les recherches coûtent cher. Tu délires !
objecta Rémi.
_ Mais j’ai ramené des preuves ! Où sont-elles
d’ailleurs ? questionna Nicolas d’un ton de plus en plus
haut.
_ Tu n’a rien ramené.” Zermlet parlait sur un ton calme et doux.
Leur discussion dura longtemps, et Zermlet partit, non sans promettre
à Nicolas de revenir, “ pour tirer tout ça au clair
”, disait-il. Rémi demanda au docteur de transférer
Joseph dans un hôpital psychiatrique. Son état mental lui
semblait grave.
*
“ Que se passe-t-il ? On dirait que tout le monde se fout de moi ! ”
Nicolas songeait à tout cela le soir, alors que les
médecins et les infirmières le croyaient endormi. Il se
perdait en conjectures sur le retour à son époque,
après le voyage à l’ère Jurassique.
“ Mais oui ! Je sais ce qui se passe ! Oh, mon Dieu ! Je suis
tombé dans un univers parallèle, où le voyage dans
le temps voulu par Zermlet et mon double ne s’est pas
concrétisé ! Et où ma famille est morte ! ”
En effet, lors de sa procédure de retour, Nicolas
s’était déchiré la combinaison. Il n’y
avait pas fait attention, mais maintenant qu’il y pensait, ce
devait être ça. Car la procédure avait mal
tourné, c’était évident. D’ailleurs,
Rémi et lui avaient constaté qu’il ne fallait en
aucun cas se déplacer dans le temps sans être recouvert de
la combinaison fermée hermétiquement. Les effets en cas
contraire sont inconnus, mais évidemment dévastateurs :
le déplacement dans une dimension parallèle, où le
lieu est le même, l’heure, le temps, mais une vie
différente. Nicolas l’a appris maintenant à ses
dépens. Et il ne savait pas comment revenir à son univers.
“ Noooooooooooooon ! ”
Le cri déchira le calme qui régnait dans
l’hôpital. Les infirmières accoururent et le
maîtrisèrent, en lui administrant un calmant très
puissant, et il se rendormit.
*
Une semaine plus tôt :
“ _ Passe-moi les dossiers concernant le voyage !
_ D’accord ! J’arrive ! ”
La personne à qui s’adressait Nicolas Joseph était
son ami, Rémi Zermlet. Ces deux hommes, en compagnie de Zinna
Joseph, la femme de Nicolas, avaient monté un laboratoire
scientifique sur la recherche spatio-temporelle. Ils avaient mis au
point une combinaison qui permettait de voyager dans le temps, en se
retrouvant de l’endroit où l’on est, au même
endroit quelques secondes plus tard, mais pas à la même
époque. Ainsi, en théorie, on pourrait se trouver
à Paris au XXème Siècle, et se retrouver
grâce à la combinaison à l’emplacement de
Paris, mais 5000 ans plus tôt, ou plus tard.
Nicolas devait l’enfiler dans cinq jours environ, et la tester.
Il irait à l’époque Jurassique, et pour preuve de
son voyage, faire des photos de dinosaures, et d’espèces
végétales disparues, et en rapporter une d’entre
elles.
La combinaison est en plastique, et toute blanche. Elle comporte
trois boutons, situés en bas du ventre : le bouton de
départ, le bouton de vibration, et le bouton de
matérialisation.
Le premier, rouge, sert évidemment au départ dans le
temps. Après avoir rentré les coordonnées sur le
cadran en dessous des trois boutons, on presse celui-ci pour partir.
Le deuxième permet la dématérialisation. En effet,
lorsque on presse ce bouton, nos atomes restent sur un plan temporel
différent de celui où l’on est. Ainsi, on devient
invisible, sauf à ceux qui ont une combinaison, et l’on
peut traverser les murs. Mais cet état, de
“vibration”, occasionne une grande fatigue mentale, puis
physique, et il vaut mieux ne pas abuser de ce bouton blanc.
Le dernier bouton, vert, s’utilise lorsque on est en état
de vibration. Grâce à lui, nos atomes se
rematérialisent sur le même plan temporel que le
nôtre, et on devient visible.
Nicolas et Rémi avaient fait les derniers test sur la
combinaison. Lors des essais virtuels, ils avaient constaté que
la moindre déchirure de la combinaison lors du voyage pourrait
avoir de très graves conséquences, encore inconnues.
“_ Le voyage est pour quand ? demanda Nicolas.
_ Normalement, jeudi prochain, le seize septembre 1999, à
dix-sept heures trente, tu presseras le bouton rouge pour aller
à l’époque Jurassique ! Enfin si ça marche,
répondit sa femme Zinna, d’une voix vibrante.
_ Et n’oublie pas l’appareil photo, ni sa combinaison, lui
rappela Rémi. D’ailleurs, cet appareil est bientôt
terminé. Il me reste quelques ajouts mineurs, et c’est
prêt.
_Bien. Je crois qu’on va rentrer à la maison, Zinna et moi. Qu’est ce que tu en penses, chérie ?
_ Allons-y. Il est déjà cinq heures et demie. A demain, Rémi ! lança Zinna en partant.
_ A demain ! ” lui répondit Zermlet d’une voix ténue.
Il pensait rentrer, et songeait à ses derniers petits travaux
à faire sur la combinaison de l’appareil photo.
“Il faudra la rendre la plus étanche possible, sinon adieu le voyage ! ” se dit Zermlet.
Il sortit du Laboratoire désert quelques minutes après,
alors que le soleil se couchait sur Paris, donnant un éclat
rouge-orangé aux voitures garées dans la rue.
*
Le jeudi fatidique arriva enfin. Ce jour-là,
Nicolas s’était levé à l’aube, et,
tout excité, avait entraîné sa femme directement au
Laboratoire. Rémi Zermlet les avait rejoint une ou deux heures
plus tard.
Rémi avait fini ses derniers tests sur l’appareil photo
à seize heures trente. Dix minutes plus tard, Nicolas
était équipé, et avait passé en
bandoulière son appareil photo. Ses yeux s’emplirent
d’une lueur d’excitation croissante, alors que son visage
rayonnait de fierté. Rémi et Zinna lui renvoyèrent
son sourire chaleureux.
“_ Attendons encore quelques minutes, et je Partirai pour le
Grand voyage ! s’écria-t’il d’un ton heureux.
_ Quand reviendras-tu ? questionna Zinna.
_ Oh....dans deux jours environ. A la même heure, je pense.
_ Bon ! trancha Rémi. Il est l’heure ! Prêt ?
_ Cinq sur cinq !
_ J’ai fini la configuration de ta combin’. A dans deux jours ! ”
Nicolas Joseph pressa le bouton rouge, et “partit”. Dans
une grande lueur blanche, la combinaison disparut d’un seul coup
aux yeux de sa femme et de son ami. Pendant un laps de temps à
la fois court et infini, Nicolas se sentit planer par vagues, comme
quand il nageait sur le bleu immaculé de l’Océan
Atlantique. Cela faisait immédiatement penser à des
sortes de “Vagues du Temps”.
Il atterrit sur un tas de fougères complètement
déchiquetées. Une fois remis de ses esprits, Nicolas
inspecta les environs. On entendait les cris de plusieurs animaux, et
le bruissement des arbres. Ceux-ci étaient extrêmement
élevés, et devaient avoir la taille d’un immeuble
de vingt étages.
Quelques instants plus tard, il remarqua que le sol était plus
vert autour de l’endroit de son arrivée, et
légèrement plus élevé. Il fit le tour de
lui-même, et se rendit compte que la circonférence
ressemblait à une gigantesque empreinte reptilienne. Celle-ci
devait être celle d’un Tyrannosaurus Rex, car le poids de
l’animal en cause avait enfoncé son empreinte
profondément dans le sol. Seul le rex pouvait marquer le sol
d’une telle empreinte.
Nicolas frissonna, et se mit en route. Il avait dans les larges poches
de la combinaison des rations de nourriture déshydratées,
ainsi qu’une bouteille d’eau. Il allait devoir se
rationner, s’il voulait survivre ! Mais il était heureux,
car le voyage avait réussi. “Le voyage dans le temps
marche ! ”songeait-il, tout en souriant.
Un grondement s’abattit alors sur la jungle environnante. Puis un
autre lui répondit. Le nid des T-Rex ne devait pas être
loin. Nicolas préféra s’éloigner.
Il marcha plusieurs heures, prenant en photos quelques espèces
de végétaux disparus, et recueillant plusieurs
d’entres elles. De temps en temps, on entendait les cris des
rares mammifères qui existaient à cette époque,
vite réprimé par le grondement d’un tyrannosaure,
ou par le hurlement rauque d’un vélociraptor.
Deux heures plus tard, Nicolas tomba sur un point d’eau. Une
large clairière s’élargissait, et une falaise
s’ouvrait quelques mètres plus loin. Un lac se trouvait au
pied de la falaise, baigné par la lueur rouge d’un soleil
crépusculaire. Nicolas écarquilla les yeux.
Au point d’eau s’abreuvaient surtout des apatosaures,
végétariens réputés pour leur calme. Il y
avait aussi quelques ptéranodons, ces reptiles volants, des
trachodons, herbivores très inoffensifs, et aussi deux grands
diplodocus. Mais bientôt, ces dinosaures
s’éparpillèrent rapidement, et Nicolas vit arriver
les carnivores : une famille de tyranosaures, quelques
vélociraptors, mais aussi un allosaure. Cette vision
était impressionnante, et Nicolas s’empressa de faire des
photos.
Le comportement des raptors était étonnant : en effet, la
structure sociale de ces prédateurs, développée et
complexe, montrait qu’ils étaient les plus intelligents de
leur époque. Or, au point d’eau observé par
Nicolas, les reptiles se battaient pour accéder au breuvage
désiré.
Par mégarde, un maiausaure était tombé dans
l’herbe plus loin en s’échappant avec le troupeau
à la vue des carnivores. Le bruit n’échappa aux
raptors, qui levèrent la tête. Plus un bruit ne
résonnait dans la vallée.
Le maiausaure gémissait lourdement. Il devait être
blessé. La structure complexe des raptors se mit en place : deux
des prédateurs se déplacèrent en silence sur la
gauche, tandis que trois ou quatre vélociraptors restaient tapis
dans l’ombre, à quelques mètres à peine
à droite de la proie visée.
A ce moment-là, un cri strident se fit entendre : le signal
d’attaque. Tous les prédateurs avaient encerclé
l’animal, certains protégeant la proie
d’éventuels autres prédateurs, les autres achevant
la bête. Et leur festin commença, alors que la nuit
tombait, dominée par une lune pleine d’une blancheur
éclatante.
Pendant toute l’action, Nicolas n’avait cessé de
suivre le spectacle, les yeux rivés sur les raptors. En effet,
il était le premier humain à voir de réels
dinosaures, en chair et en os, donc à pouvoir observer leur
comportement.
Il décida de s’installer pour manger. Il s’assit sur
sa branche, puis ouvrit son sachet contenant les rations de nourriture.
Il les mélangea à l’eau de sa bouteille, puis les
mangea. Après un repas frugal, Nicolas s’endormit,
perché sur son arbre.
*
Après une longue nuit, la nature diurne
s’éveillait. Un long cri déchira le silence de
l’aube naissante. Le soleil fit brusquement son apparition,
illuminant de ses feux dorés une jungle surgit du passé,
que l’homme moderne aurait du mal à se représenter.
La végétation luxuriante s’étendait sur des
milliers de kilomètres, et le peuple de cette forêt
était dominé par des rois de plus de trente mètres
de hauteur.
La clairière près de laquelle se trouvait Nicolas miroita
bientôt de la clarté apportée par le soleil, et
l’eau reflétait des rayons sans cesse
décomposés dans des couleurs irréelles, offrant
à Nicolas qui s’éveillait un spectacle de
lumières et de couleurs inattendues. La chaleur du soleil se
répandait dans tous les recoins, chatouillant
agréablement le visage du voyageur.
“Il est temps de partir ! J’ai tout ce qu’il me faut.”
Nicolas songeait à cela, lorsque la branche sur laquelle il se trouvait vacilla. Un pas lourd se fit entendre.
“Bon sang ! J’espère que ce n’est pas un dinosaure !”
Malheureusement, c’était bien un dinosaure qui frappait
l’arbre où était juché Nicolas. Et pas
n’importe lequel : un allosaurus, sans doute attiré par la
chair fraîche. Un des pires carnassiers avec le tyrannosaurus rex.
Nicolas finit par tomber de l’arbre. Il atterrit au pied de
l’immense reptile, qui baissa sa lourde tête et renifla le
minuscule brimborion qu’était le voyageur du temps.
Celui-ci se leva et courut avec une célérité
qu’il n’avait jamais connue. L’allosaure poussa un
énorme grognement, et partit à sa poursuite.
Nicolas tomba plusieurs fois, se relevant aussitôt.
Bientôt, une nouvelle clairière s’offrait à
ses yeux, bien plus grande que la précédente où il
avait passé la nuit. La jungle se fit plus rare, et de
minuscules plantes rabougries émergeaient ça et là
d’un marécage boueux. Il glissa et se retrouva dans la
boue jusqu’au cou, alors que l’allosaure approchait de plus
en plus à grands bonds.
C’est alors que la chance vola au secours de Nicolas : en effet,
un tyrannosaure apparut derrière l’allosaure, avec un
grognement sourd. Il chargea le prédateur surpris, qui se
défendit du mieux qu’il pouvait. Nicolas en profita pour
prendre la fuite.
Quelques mètres plus loin, il entendit un ressac connu : la mer !
Nicolas ne s’attendait pas à la découvrir si
près. Mais il avait dû parcourir des kilomètres
pour échapper au cruel dinosaure, et à cette
époque, la mer était sans doute plus proche de Paris
qu’à l’époque moderne.
Le voyageur en profita pour laver sa combinaison, qu’il
n’avait pas quittée depuis son arrivée dans ce
monde préhistorique. De l’eau rentra alors à
l’intérieur.
“Que se passe-t-il ?” se demanda Nicolas, car la combinaison est normalement hermétique.
Il sortit de la mer, et vérifia sa combinaison. Celle-ci avait une minuscule déchirure au niveau de la cheville.
“J’ai dû me faire cela en tombant de l’arbre, sans doute.”
Il n’avait malheureusement rien sous la main pour réparer.
Il regarda sa montre : il était une heure de
l’après-midi. Le temps passait vite !
Après avoir mangé, Nicolas repartit vers le sud.et ne
repensa plus au trou de sa combinaison. Dans quelques heures, il devait
absolument repartir au XXème siècle. Il continua à
observer la nature environnante. Celle-ci changea brusquement deux
heures après : émergeant d’une jungle profonde, une
vaste prairie fit face à Nicolas. Son étendue
était immense, et sa couleur était d’un vert
immaculé, d’où n’émergeait aucun arbre
ou autre hauteur.
Nicolas s’avança. Il vit alors, à deux pas de
l’endroit où il se trouvait, quatre trous d’un
mètre de diamètre. Leur profondeur n’était
que d’un mètre ou deux tout au plus. Ils étaient
parfaitement rectilignes, ce qui intrigua Nicolas. Qui -ou quoi- aurait
pu faire une chose pareille, surtout à cette époque ?
Malheureusement pour lui, il n’eut pas le temps de creuser la
question. Un tyrannosaure (encore un ! ) courait droit vers Nicolas,
attiré sans doute par les mouvements de l’homme, bien
visible dans toute cette étendue.
Nicolas courut alors se réfugier dans la jungle. Mais la
malchance poursuivait le voyageur : en effet, il trébucha
à l’orée broussailleuse, et tomba. Le tyrannosaure
avançait de plus en plus, et se rapprocha.
Nicolas ne voyait pas d’autre solution que de presser le bouton rouge, pour repartir dans le temps.
“Advienne que pourra !”
Et il le pressa. Mais il se rendit compte juste après
d’une chose capitale : il avait oublié de modifier les
coordonnées temporelles et il n’avait pas
réparé son trou !
Ce fut le noir complet. Nicolas sombra alors dans le coma...
Aujourd’hui, deux jours après le retour de Nicolas :
Après une très mauvaise nuit, Nicolas
se réveilla enfin. Il ne reconnaissait pas l’hôpital.
“Mais où suis-je donc ? Mmm... Après le retour, il
y a eu le noir... Mais oui ! je suis à l’hôpital
!”
Il se souvint alors de son retour raté, dans une autre
dimension. Son esprit s’aventura dans ses rêves les plus
fous. Qu’allait-t-il faire à présent ?
C’est alors qu’une infirmière se présenta.
Elle sourit en voyant que Nicolas était réveillé.
“_ Bonjour ! Vous allez mieux ?
_ Oui, merci. Pourrai-je parler au docteur qui s’occupe de moi, s’il-vous-plaît ?
_ Bien sûr ! Attendez, je vais le chercher.”
L’infirmière s’en alla. Nicolas était
complètement abattu. Il allait devoir faire très
attention, et être prudent car il ne connaissait rien de ce monde
entièrement nouveau pour lui. Les gens devaient le prendre pour
un fou ! Il en était à ces réflexions quand le
docteur Trinez arriva, d’humeur joyeuse.
“_ Ah ! Je vois que mon malade préféré s’est réveillé ! Alors, on se sent mieux ?
_ Oui docteur, bien mieux ! Désolé pour hier, mais je me
sentais un peu perdu. Combien de temps vais-je rester en observation ?.
Trinez marqua un temps d’arrêt avant de répondre, et
repensait à ce que lui avait dit Rémi Zermlet,
l’ami de Nicolas. Le docteur ne pensait pas que Joseph soit fou,
mais sait-on jamais.
_ Eh bien , vous resterez ici encore pour trois ou quatre jours.
_ Pourquoi ne puis-je pas partir tout de suite ?
_ Il nous reste encore quelques examens à faire.
Trinez voulait terminer l’étude psychologique de Nicolas.
Cela est stupéfiant ! C’est mon premier malade à
récuperer aussi vite d’une tentative de suicide, on dirait
un autre homme.
_ Ah bon. Et après je pourrai m’en aller alors ?
_ Sans doute.
Trinez avait compris quelque chose d’essentiel ce matin : Joseph
n’était pas fou, mais simplement dépressif. Il
allait lui prescrire sans doute quelqes anti-dépresseurs , ce
qui serait amplement suffisant.
_ Je vous laisse Mr Joseph, j’ai encore d’autres malades à voir.
_ Au revoir docteur !
Une fois le docteur parti, Nicolas put se reposer.
*
Quatre jours plus tard, Nicolas sortit enfin de
l’hôpital en compagnie de son ami Rémi. Celui-ci
semblait heureux de voir que Nicolas était redevenu
lui-même, mais il avait l’air constamment inquiet pour son
ami. Nicolas ne s’en apercevait pas.
En fait, Rémi s’en voulait d’avoir songé
à faire enfermer Joseph, en pensant que celui-ci était
fou. Il ne savait comment se racheter envers celui-ci, et en
était chagriné.
Ils furent bientôt arrivés à la maison de Nicolas.
Celui-ci dit au-revoir à son ami, puis rentra dans sa maison. Il
ne savait que faire, car il ne connaissait rien de la vie de son
double. Et il avait encore des images très réelles de son
voyage à l’ère Jurassique. Il décida de
prendre des vacances, de partir en Bretagne, et de s’y acheter
une maison. Il adorait la Bretagne, c’était sa
deuxième patrie. Mais il se rendit compte bien vite de
l’absurdité de la situation. Il ne savait absolument rien
de sa situation financière ! Alors comment dans ces conditions
se refaire une vie ?
Il songeait à tout cela lorsque le téléphone
retentit dans la maison vide. Celle-ci ressemblait en tout point
à la vraie maison de Joseph, ce qui lui permit de retrouver le
téléphone. Il décrocha.
“- Allô ? Qui est à l’appareil ?
_ Nicolas ? Ne te souviens-tu pas de moi ? Je suis Frédérica, ta soeur !”
Cela lui fit un choc. Il n’avait pas de soeur dans son monde, en
découvrir une ici le troublait ! Qu’allait-il faire ?
“_ Heu... Où es-tu en ce moment ?
_ Mais voyons, je suis chez moi, à Clouazec ! J’ai appris
hier que tu étais sorti de l’hôpital. Ça me
ferais très plaisir de te revoir !”
A Clouazec ! Cela semble breton , songeait Nicolas. Moi qui voulait
aller en Bretagne, je suis servi ! C’est extraordinaire ! Il
ferait mieux d’accepter l’invitation.
“_ Ecoute, je crois que je pourrais venir demain. Cela te va ?
_ Oh, c’est formidable ! Tu prendras la voiture, je suppose. Tu
seras arrivé à quelle heure à peu près ?
_ Vers cinq heures dans l’après-midi. A demain !”
Et il raccrocha. Il alla dans le bureau prendre une carte de France.
Clouazec ne lui disait rien. Évidemment, ce nom ne figurait pas
sur la carte. Il sortit donc de chez lui et alla au supermarché.
Par chance, il y avait plusieurs cartes de Bretagne en vente. Il en acheta quelques-unes, et rentra chez lui.
Après les avoir étudiées, il repéra Clouazec.
Cette ville n’excédait pas les mille habitants. Elle se
trouvait dans les Côtes d’Armor, à vingt
kilomètres de Pontrieux.
Tiens, c’est curieux, pensa Nicolas, je suis déjà
allé à Pontrieux et je n’ai jamais entendu parler
de Clouazec.
Après avoir repéré le chemin amenant à la
ville de sa soeur, il fit ses bagages, et se sentit prêt à
partir. Il regarda la grande pendule dans l’entrée : il
était déjà sept heures du soir. Il se
prépara un repas, puis alla ensuite se coucher.
*
Le lendemain, il fut assez tôt sur les routes.
Il avait dit adieu à son ami Rémi vers huit heures en
passant chez lui en voiture, lui annonçant son désir de
partir en Bretagne chez sa soeur.
Après des heures de route, il arriva enfin à
Saint-Brieuc, vers trois heures de l’après-midi. Il
s’y arrêta un instant, et put jouir de la sensation
d’être libre de toute contrainte. Mais il repensa bien vite
à la situation dans laquelle il était, et retomba dans
une humeur morose. Il fit le reste du trajet mécaniquement, et
arriva enfin à Clouazec, après s’êtes perdu
deux fois dans les trajets sinueux de la Bretagne profonde. Comme il
adorait ce pays ! Bien qu’il se soit perdu, il avait pu
apprécier des paysages bretons, très sauvages. Les
genêts fleurissaient partout, et ajoutaient une touche de
gaîté aux paysages traversés par Nicolas. Le temps
lui aussi était breton, avec de gros nuages mais pas de pluie.
Il demanda à une vieille dame son chemin. On lui répondit
que Mlle Joseph habitait en bordure de la ville. Il ressortit, prit
quelques chemins secondaires, et arriva enfin chez sa soeur.
Elle habitait dans une maison adorable. Les murs étaient blancs,
et la voûte en granit rose de la porte était typiquement
bretonne. Le toit en tuiles semblait récent. En outre, les
volets étaient verts foncés, et on pouvait admirer des
rideaux en dentelles.couvrant les fenêtres. La maison paraissait
grande, et Nicolas remarqua la présence d’un garage.
Comment allait-t-il aborder sa soeur ? Il ne connaissait rien
d’elle. Et il eut une idée : il jouerait le rôle de
l’amnésique. Il appela Frédérica.
“Oui ! Oui ! J’arrive ! ”
Une jeune femme d’environ vingt ans sortit en trombe de la
maison. Elle avait les cheveux très noirs, de grands yeux bleus
et une silhouette très mince. Son visage
s’élargissait d’un franc sourire, qui laissait voir
des dents d’une régularité parfaite. Elle
était habillée d’un pull marin, d’un pantalon
beige et portait des tennis blanches. Lorsque elle courait, on pouvait
voir ses courbes tendre le pull dans un dessin affriolant. Elle
était superbe !
“_ Bonjour Nicolas ! Ça fait un bout de temps qu’on s’est pas vu !
_ Bonjour ! Ecoute... Je crois que je suis amnésique. Je n’ai plus aucun souvenir de toi.”
Le sourire de Frédérica s’effaça rapidement.
“_ Oh ! Et bien.... Cela n’est pas grave ! Je vais te faire retrouver la mémoire, tu vas voir ! ”
Son sourire réapparut. Frédérica était
très optimiste, et Nicolas eut un serrement de coeur. S’il
avait put la rencontrer plus tôt !
Ils entrèrent ensemble dans la maison, en discutant.
Après avoir présenté les lieux à Nicolas,
Frédérica partit faire des courses, laissant pour un
instant son frère seul.
Nicolas s’installa dans sa chambre. Il n’allait pas rester
là à rien faire ! Il décida de sortir un peu. Il
laissa un mot pour sa soeur, lui expliquant sa sortie en ville. Il
précisa qu’il serait de retour vers sept heures et demie.
Il était déjà six heures, quand Nicolas prit sa
voiture. Il partit dans le centre-ville. Un grand marché
s’y tenait, très illuminé. Le bruit de la foule et
les étendoirs très colorés enchantèrent
Nicolas. Il décida de s’y promener. Il tomba sur divers
objets artisanaux, en bois. Un d’eux était une statuette
représentant l’église de la ville. Il
l’acheta aussitôt, car cette église lui avait paru
vraiment superbe, et il souhaitait en conserver un souvenir. Et il
repartit.
C’est alors qu’il entendit un sifflement, comme une plainte
étouffée, lointaine. Il eut un peu mal à la
tête, et décida de rentrer. Il songeait à ce
sifflement. “Qu’est-ce que ça pourrait être ?
” se demanda Nicolas. Peut-être le vent.
Mais le sifflement reprit, plus fort, alors qu’il était
dans la voiture. Son mal de tête augmenta. Il mit le moteur en
marche, puis partit en direction de la maison de
Frédérica.
Il songea à ce retour raté, et à son avenir;
Qu’allait-il faire ? Rester ici, chez sa soeur ? Ou partir ? Et
tous les “souvenirs” de son double qu’il va devoir
apprendre ! La tâche sera dure !
Il pensa à celui-ci. Comment pourrait être sa situation ? Hilarante, certainement.
Le sifflement, de nouveau se fit entendre. Nicolas chassa ces pensées pour se concentrer sur la route.
*
Quand Frédérica revint chez elle, elle trouva le mot de son frère.
“Il a bien raison de sortir. Ça lui change les
idées”. Frédérica était contente que
son frère soit allé en ville, elle pensait qu’il
pourrait se distraire.
Elle mit la table et prépara le repas. Il était en effet
sept heures et demie, et Nicolas n’était toujours pas
rentré. Elle commença à lire un livre, en
attendant que ce soit prêt.
Huit heures sonnait à l’horloge, et le repas était
servi. Frédérica commença à
s’inquiéter. En effet, Nicolas avait bien
précisé dans son message qu’il rentrerait vers sept
heures et demie, et il n’était toujours pas rentré.
Il ne donnait aucune nouvelle de lui. Que se passait-t-il ?
Frédérica se résolut à attendre encore une
demi-heure. Au bout de ce temps, son frère n’était
toujours pas rentré. Elle décida de commencer à
manger. “C’est un adulte après tout”.
“Il est sans doute en train de s’amuser, ou il rentre en ce
moment.” se disait Fédérica, pour se rassurer. Mais
elle savait au fond de son coeur que ce n’était pas vrai.
Après avoir fini son repas, Frédérica regarda de
nouveau l’horloge : elle marquait neuf heures cinq.
Frédérica se décida alors à appeler la
police. Une voix jeune lui répondit.
“_ Commissariat municipal de Clouazec bonjour !
_ Bonjour ! Je m’appelle Frédérica Joseph. Cela
fait trois heures que mon frère devrait être
rentré, et il n’est toujours pas revenu.
_ Quel âge a votre frère ?
_ Environ trente-cinq ans, répondit Frédérica.
L’officier éclata de rire.
_ Vous m’appelez car votre frère, qui a trente-cinq ans, a
disparu ? Mais madame, il est assez grand pour décider de sa
soirée ! Il est sans doute chez des amis, ou alors il est parti
à une soirée. Voyons ! ”
Et il pouffa de rire.
“_ Monsieur, ce n’est pas drôle du tout !
s’indigna Frédérica. Mon frère est
amnésique, comment voulez-vous qu’il puisse se souvenir de
ses amis ? De plus, il est étranger à cette ville !
Le policier redevint subitement sérieux.
_ Excusez-moi, madame, mais je ne pouvais pas savoir qu’il
était amnésique. Ecoutez, on va faire tout notre
possible. Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?
_ Il était environ cinq heures trente. J’étais
parti faire des courses. Dans son message, il disait qu’il
voulait aller dans le centre.
_ Merci de ces renseignements. On va faire tout notre possible. Au revoir madame !
_ Au revoir ! ”
Elle raccrocha, peu rassurée. Elle décida d’aller
se coucher, mais ne trouva pas le sommeil. Elle n’arrêtait
pas de penser à son frère. Qu’avait bien pu faire
Nicolas ? Aller faire des courses ? Se promener ? Et pourquoi, surtout,
n’était-il pas rentré ?
Elle se cassa la tête jusqu’à cinq heures du matin,
quand le bruit du téléphone retentit dans la maison vide.
Elle accourut pour répondre.
“_ Allô ? Qui est à l’appareil ?
Elle parlait d’une voix angoissée.
_ Madame Joseph ? Ici l’inspecteur-chef Le Guennec. Nous voudrions que vous nous rejoignez, au 36 rue du petit Temps.
_ Bien, j’arrive ! ”
Elle s’habilla à toute vitesse et partit en coup de vent
de la maison. Lorsque elle arriva à l’endroit
désigné par le policier, elle assista à un
spectacle insolite : au bord de la route, se trouvait la voiture de
Nicolas. Mais celui-ci n’était pas à
l’intérieur. Que s’était-il passé ?
C’est alors que l’inspecteur Le Guennec arriva.
“_ Bonjour madame. Je suppose que cette voiture est celle de
votre frère ? On a retrouvé des papiers à
l’avant au nom de Nicolas Joseph.
_ Oui, oui, c’est bien celle de mon frère !
s’écria Frédérica. Mais où est-il
passé ?
_ Eh bien, il a eu un accident de voiture. Celle-ci a été
retrouvé mal en point, comme vous pouvez le constater.”
Effectivement, la voiture était très mal en point. Les
deux roues avant manquaient, le capot était en miette et le toit
complètement écrasé à l’interieur. Du
sang suintait dans toute la voiture, et une mare s’était
formée sur le siège du conducteur.
Frédérica éclata en sanglots.
“_ C’est pas possible ! Non, dites-moi que ce n’est pas vrai !
_ Madame, laissez-moi finir. Le corps de votre frère
n’était pas dans la voiture. Il a disparu, en laissant des
flaques de sang. Le médecin légiste est formel : il
devrait être mort à l’heure qu’il est, il a
perdu beaucoup trop de sang pour qu’il nous reste un espoir. Nous
n’avons aucune explication sur sa disparition.”
Frédérica regarda la voiture de son frère
hébétée, et resta là, au milieu de
l’activité policière, alors que le jour
commençait à poindre.