Lyon (OORAA)
Je rattrapais mon retard sur le toujours excellent podcast Il ne plie plus, il cause ! de Stéphane cet été quand j’arrive sur l’épisode sur l’émulation et que je me dis que ça fait longtemps que je ne suis pas allé à une convention d’origami. L’enthousiasme avec lequel il a décrit celle de l’OORAA étant communicatif, je me renseigne et j’apprends qu’elle se déroulera fin octobre. Je lance alors un appel sur Mastodon pour trouver quelqu’un qui serait intéressé·e de partager une chambre pour réduire un peu le prix de l’hébergement. Laurence (qui a d’ailleurs écrit un super article sur la convention) m’a tout de suite répondu, et comme c’est d’autant plus sympa d’y aller entre potes, je pose mon vendredi et je réserve mes billets de train.
Vendredi
Quelques mois plus tard, j’arrive à Lyon sans trop savoir à quoi m’attendre. Nicolas Terry en personne me souhaite la bienvenue très chaleureusement et donne le ton : ici tout le monde se tutoie et il blague qu’il est même prêt à dégager quiconque oserait le vouvoyer !
Pour le premier atelier, je choisis un peu au hasard le chat de Tetsuya Gotani. On prend place dans une petite salle de classe, on nous distribue du papier de toute beauté (shadow thai orange) et c’est parti. Je me souviendrai toujours des floup floup floup, jolis chuchotements de 25 grandes feuilles se faisant plier tout autour de moi dans une petite salle : un sacré ASMR, comme a dit Laurence !
Tetsuya est un super prof, et l’enseignement de son chat est bien rôdé : on a terminé en avance, et dans les cinq dernières minutes il nous explique au tableau sa méthode de conception du chat : design traditionnel (22.5°) par la technique des molécules, dont je n’avais jamais entendu parler mais qui m’a donné envie d’en savoir plus.
J’étais content d’avoir terminé mon chat quand je remarque celui d’Anicé Claudéon qui avait aussi suivi l’atelier. Il avait complètement transformé le modèle : réduit le dos, retourné les pattes avant, donné du mouvement et le chat svelte et élégant de Tetsuya est devenu sous ses doigts rond, joufflu et vivant. Alors que j’allais partir manger, je repose mes affaires et je décide de l’étudier et d’essayer de le reproduire sur mon modèle. Pendant une demi-heure et grâce aux conseils d’Anicé, je retravaille mon chat jusqu’à lui donner une apparence un peu similaire. Cette première grosse claque a orienté mon début de convention : alors que je suis capable de suivre des pliages même difficiles, il y a une dimension tout aussi importante qui consiste à considérer un modèle comme une base de départ qui laisse la possibilité à l’origamiste de s’exprimer par le modelage ou la réinterprétation. Certains et certaines sont des maîtres en la matière, mais j’en suis au niveau zéro de ce point de vue, et j’ai décidé d’essayer de profiter de la convention pour travailler cela.



Ce n’est qu’au moment du déjeuner à la cantine que j’ai vraiment réalisé où j’étais et avec qui : des passionné·es qui plient tout ce qui leur tombe sous la main. En regardant l’un plier machinalement sa serviette et l’autre son ticket de caisse, je pose une question à quelqu’un autre qui sort une feuille de sa poche pour m’expliquer un pli… C’était vraiment quelque chose !
Je poursuis la journée par la corneille (forcément !) de Peter Buchan-Symons et l’ours d’Eliot Ori. Première petite déception : on n’a pas réussi à aller au bout de la corneille dans le temps imparti pour l’atelier. Même sans parler de modelage avancé comme pour le chat, alors que je pensais repartir de l’atelier avec une corneille complète, il aurait manqué 30 à 45 minutes pour que ce soit le cas.
Samedi
Samedi matin, deuxième petite déception parce que l’atelier que je voulais suivre était complet quand je suis arrivé dans la salle. Leçon apprise pour l’après-midi : celui que je ne voulais pas rater était l’écureuil en wet folding de Daniel Chang. Ça fait longtemps que j’avais envie d’essayer le wet folding, mais je ne savais pas vraiment d’où partir et cet atelier était l’initiation idéale. Ce que je remarque avant tout dans ce modèle, réalisé avec une épaisse feuille de Canson, est la queue de l’écureuil, qui est toute en courbes. Daniel nous a donné plein de conseils : combien d’eau ajouter, comment savoir si c’est trop ou pas assez, les bons gestes, etc. Une vraie masterclass. Je pensais que mon premier pliage en wet folding allait être catastrophique mais j’ai été très agréablement surpris par mon résultat que j’ai trouvé assez chouette étant donné combien je redoutais cette technique de pliage.
L’autre raison pour laquelle je me souviendrai de cet atelier est que partager les flacons d’eau et quelques outils a contribué à briser la glace entre les participant·es, et que j’ai découvert à quel point il était agréable de plier à plusieurs avec mes voisins et voisines de table. On a bien rigolé, c’était vraiment super et on a même mis en scène nos créations à la fin entre les éponges et outils :)


Dernier atelier avec Nicolas Terry qui nous a enseigné son crocodile. On était peu nombreux·ses, ambiance très décontractée et agréable de fin de journée ! Peut-être que cette ambiance a contribué à nous empêcher de terminer le modèle, Nicolas s’est fait surprendre par le temps (qui avait certes été raccourci par la prise de la photo de groupe) et on a dû arrêter avec un croco à 80% terminé. Nicolas a eu la gentillesse de nous envoyer le diagramme pour qu’on puisse terminer le modèle.
Dimanche
Seulement deux ateliers le dimanche : le matin j’ai choisi le gorille de Yuta Katsuzaki. Les gens qui en sortaient la veille l’avaient dit extrêmement difficile et je voulais me challenger. Malgré un setup de caméra et vidéo projecteur qui filmait les mains de Yuta, la caméra ne donnait pas une image extraordinaire et la première heure a été très longue : essayer de comprendre ce que Yuta venait de faire, ne pas arriver à le voir, et se résigner à attendre qu’il passe pour montrer individuellement. Je pense que la caméra n’ajoutait rien et qu’il aurait été plus efficace qu’il nous montre les étapes en direct, comme le faisaient tous les autres invités. Après la première heure ça a été plus facile, mais à la fin de l’atelier on n’était quand même arrivé qu’à 50% du pliage du modèle. Yuta nous a lui aussi permis de prendre des photos de son diagramme pour pouvoir terminer le gorille.
Dernier atelier, la base de masque d’Yvon Toledano. Ça aussi c’était quelque chose dont j’étais curieux : réaliser un visage me semblait être quelque chose d’assez inaccessible. Mais le masque d’Ynon se plie vraiment tout seul, et offre une grande part à l’interprétation personnelle en laissant pas mal de papier un peu partout pour ajouter des détails. Ça m’a vraiment plu, et donné envie d’en faire des variations.

Le départ a été un peu difficile : j’étais un peu triste de quitter les gens avec qui j’avais passé le weekend, mais on a échangé des informations de contact et on s’est donné rendez-vous à la prochaine convention… le weekend d’après à Paris :)
Rencontres d’automne (MFPP)
Je n’en avais pas assez alors je réserve à la dernière minute, je pose mon vendredi après-midi et je me retrouve la semaine d’après aux rencontres d’automne du MFPP à Paris. C’est un avis partagé des participant·es des deux conventions qu’elles n’ont rien à voir ! Je comparerai mon impression des deux à la fin de cet article, mais on m’avait prévenu qu’alors que Lyon est très technique et internationale, Paris est plus locale et abordable.
Vendredi
Accueilli par Aurèle Duda tout aussi chaleureusement que par Nicolas la semaine dernière, je vais saluer les quelques personnes que je reconnais de Lyon. C’est un peu la même chose mais en plus petit : on passe de 4 salles à une seule, la boutique qui prenait une salle entière tient maintenant sur une seule table, mais une différence notable concerne justement les tables : alors qu’à Lyon on était alignés comme à l’école, ici il y a trois groupes de tables en U.
Je commence par l’atelier de Chtik qui commence par s’asseoir près de nous et par nous expliquer sa vision de l’origami : des pliages simples à plier, à retenir et à enseigner, avec le moins de préparation possible (seulement des feuilles carrées : pas d’hexagones ou de pentagones à découper), à plier sans table par exemple dans les transports, et qui donnent envie d’être pliés et repliés. Rien à voir avec Lyon en effet ! Il nous montre alors comment faire des feuilles d’arbre en trois plis, et en plus de nous expliquer quels plis faire il nous explique aussi comment les faire : Chtik plie sans table et ça peut dérouter mais il a passé beaucoup de temps à trouver les bonnes positions et les bons mouvements et tient à nous les transmettre pour essayer de nous convaincre que se passer de la table n’est pas une contrainte mais au contraire une liberté.
Avec la demi-heure qu’il nous restait à la fin de l’atelier Chtik nous a distribué du papier et invité à créer des compositions de branches et de feuilles avec autant de papier qu’on voulait mais à condition de l’utiliser entièrement ! Ça demandait un peu de préparation pour savoir comment découper son papier en carrés et rectangles pour faire les feuilles et les tiges et comment organiser sa composition : j’ai fait 8 feuilles et 4 tiges.

Pour l’atelier suivant, je suis allé voir Hong qui enseignait le modèle Seeds in the Wind de Toshikazu Kawasaki : un joli enchevêtrement géométrique. J’ai été tellement fasciné par ce système d’accroche que j’en ai plié trois autres variations pendant le weekend, en faisant varier la taille et le nombre de bandes, et la géométrie du modèle.



Samedi
Samedi matin des participant·es avaient apporté des gâteaux pour le petit déjeuner ! Je suis allé à l’atelier de Chtik pour faire des fleurs avec du joli papier imprimé, puis on est allé s’acheter à manger avec plusieurs participant·es et on a mangé ensemble dans la salle en discutant d’origami. C’était vraiment sympa. Une fois les tables essuyées on s’est remis au travail, pour ma part avec une version simple du gland de Beth Johnson, enseignée par Camille, puis avec un cadre photo tessellé créé et enseigné par Valérie, une experte en tesselations, qui nous a dit s’être inspirée des cheveux du Green man de Nick Robinson.


On termine la journée par un pliage surprise plié dans le noir complet (autant que possible compte tenu des lumières de sécurité) réalisé sur un papier phosphorescent ! Une expérience que j’ai trouvée très originale. On est ensuite passé au dîner pizza, suivi d’une session de pliage libre jusqu’au bout de la nuit jusqu’à 22 heures, pendant laquelle on a formé des petits groupes spontanés pour plier ensemble, avec notre salade de fruits ou notre boisson à portée de main : j’ai plié dans le groupe de Cécile qui révisait son atelier du lendemain.
Dimanche
J’ai choisi le petit requin de Tu Kaiming, enseigné par Jonathan, et le troisième atelier de Chtik, d’origamikebana, dans lequel on a vu une fleur supplémentaire, une base en hydrangea, et la souris de Rikki Donachie.


Pendant la pause déjeuner, Valérie nous a laissé fouiller dans son incroyable boîte à tessellations et nous a expliqué les merveilles qui s’y trouvaient.
Comme au moins trois choses se passent à la fois, je ne pouvais pas être partout, mais je me dois de mentionner deux ateliers auxquels je n’ai pas participé : l’atelier de Cécile de création de papier bullé (originale technique de peinture avec un rendu incroyable), et le stop motion d’Aurèle qui a animé une petite scène dans un décor entièrement réalisé en origami par les participant·es. J’ai trouvé ce concept de réalisation collective une super idée, et je voyais certain·es participant·es plier ensemble du mobilier pour les scènes du film : une théière, des meubles, etc., à partir de plusieurs livres remplis de diagrammes de maisons de poupées. Je regrette de ne pas y avoir pris part et j’ai hâte de voir la scène montée.
Bilan
C’était assez fou de participer à deux conventions d’origami à une semaine d’écart. Même si j’ai apprécié les deux, je crois que j’ai une préférence pour les rencontres du MFPP même si je sais que l’OORAA essaie de résoudre certains des problèmes de la convention de Lyon.
Un des gros problèmes de Lyon à mes yeux était le manque de diversité du public et des invités. Je ne sais pas si c’est une exception de 2025, mais sur cinq invités cette année, il y avait cinq hommes, ce que je ne trouve vraiment pas correct, et qui n’envoie pas une bonne image. Je crois que l’équipe organisatrice était elle aussi exclusivement masculine. J’ai l’impression que ça se reflète dans le public qui était lui aussi principalement masculin. Par comparaison, le planning des ateliers des rencontres du MFPP était strictement paritaire : 10,5 ateliers animés par des hommes et 10,5 animés par des femmes. J’ai l’impression que le public à Paris était lui aussi beaucoup plus mixte, en termes de genre mais aussi d’âges et d’origines.
Un autre problème de Lyon, c’était le nombre d’ateliers dont on sortait avec un modèle inachevé. On m’a dit que c’était un peu moins le cas les autres années, mais cette année, avec mon choix d’ateliers, 3 sur 8 donc presque la moitié étaient dans ce cas. C’est une chose de repartir avec un modèle qui nécessite encore un peu de travail de modelage, mais c’en est une autre, et c’est un peu décevant, s’il reste des plis à faire qui nécessitent le diagramme.
Enfin, c’est un peu paradoxal étant donnée la configuration des lieux et que la plupart des gens logent dans le centre de conventions, mais je pense qu’il y a un énorme potentiel sous-exploité à Lyon pour le pliage en commun. La quasi totalité des gens évitent la cantine (qui souffre à tort d’une mauvaise réputation : elle est très bonne quoique chère) et vont manger dehors, ce qui prend au moins deux heures par repas, parce qu’il n’y a pas de restaus à proximité. On était 10 à 12 max par repas à la cantine et le centre était désert sur les temps des repas. Les salles étaient systématiquement fermées en dehors des ateliers, ce qui n’encourageait pas la pratique libre. Les moments réservés au pliage libre ont souvent été très raccourcis par du retard à l’organisation des conférences, qui étaient plutôt intéressantes mais qui prenaient beaucoup de temps, notamment en raison de l’interprétation parfois un peu laborieuse en anglais/français des propos des conférenciers. J’ai cru comprendre que les organisateurs regrettaient eux-même la disparition des moments de pliage libre et réfléchissaient à des solutions pour en proposer malgré les contraintes auxquelles ils sont soumis.
C’est vraiment dommage, parce que je pense qu’une convention d’origami devrait être quelque chose de plus qu’un tuto vidéo en direct. La configuration des tables en U au MFPP rendait déjà l’enseignement un peu moins magistral et scolaire, mais surtout, la salle était ouverte en permanence, de 9 heures à 22 heures, et il y avait tout le temps au moins un groupe en train de plier. Personnellement, je crois c’est cette spontanéité ce que je recherche dans les conventions. Je n’ai aucun problème pour suivre les diagrammes de modèles complexes, et c’est quelque chose que je prefère faire chez moi au calme, donc une convention où des créateur·ices se contentent d’enseigner leurs modèles diagrammés ne m’apporte pas grand-chose. Alors qu’être face à face avec quelqu’un qui m’enseigne sur un coin de table un modèle qui n’existe que dans sa tête, ou qui m’explique sa conception de l’origami ou sa méthode de préparation de papier, de wet folding ou de finitions au MC, c’est irremplaçable.
J’ai trouvé aussi, mais ça tient peut-être un peu à ma personnalité, qu’il était plus difficile de s’intégrer à Lyon qu’à Paris. À Lyon il y avait des groupes de participant·es qui se connaissaient déjà et qui interagissaient très peu avec les autres (à quelques exceptions près). À Paris c’était plutôt le contraire : l’ambiance était beaucoup plus familiale, comme si on se connaissait déjà tous et toutes depuis longtemps, et que les nouveaux·elles comme moi et d’autres étaient immédiatement et très naturellement accueillis au sein du groupe. Tout le monde parlait avec tout le monde.
Une dernière différence que j’ai notée entre Lyon et Paris, c’est que même si je suis sorti des deux conventions avec des étoiles (en origami) dans les yeux et plein d’idées de nouvelles choses à plier, je serais incapable de replier le moindre modèle de Lyon par cœur, alors que je pourrais plier par cœur quasiment tous les modèles que j’ai appris à Paris. Et ce ne sont pas des modèles si simples qu’ils en sont ennuyeux, ce sont des modèles qui donnent au contraire envie de se faire plier, replier, diffuser, enseigner. Même si le monde des crease patterns et de la création de modèles ultra complexes m’attire indéniablement, je crois que c’est l’origami simple et élégant qui correspond le plus à ce que je recherche en ce moment.
Il y aurait bien d’autres choses à mentionner sur ces conventions : les magnifiques expositions par exemple, le fait que n’importe qui est libre d’exposer ses œuvres aux côtés des œuvres d’artistes professionnels, l’inventivité de certain·es créateur·ices dans des styles très différents, un petit groupe qui s’attroupe autour d’une feuille de papier et qui la caressent délicatement parce qu’elle est vraiment très jolie et qu’ils veulent savoir quelle sensation elle donne entre les doigts, et la passion partagée de personnes qui parlent très sérieusement mais quand même sans trop se prendre au sérieux de leur passion commune : manipuler des bouts de papier.





Je reviendrai sûrement aux rencontres du MFPP, et peut-être aussi à Lyon. Les deux conventions m’ont fait beaucoup progresser et même si j’ai des choses à reprocher à celle de Lyon, c’était quand même une bonne expérience globalement. Je tiens donc à adresser un grand merci aux deux équipes organisatrices, à Laurence qui m’a permis de ne pas me retrouver tout seul à Lyon, et à tous les participant·es qui m’ont chaleureusement accueilli aux deux endroits : j’ai très envie de citer des prénoms mais j’ai trop peur d’en oublier, donc je vais me contenter de dire à tous et toutes à très bientôt, et bon pli :)