Mon avis personnel sur les disques de Summoning
- Summoning - Lugburz (1995) ½
Histoire denous immerger un peu dans une ambiance fantasy,
attaquons-nous à la discographie de Summoning, groupe autrichien (enfin,
groupe, façon de parler, ils sont en gros deux) qui a la particularité
de s'être spécialisé dans la revisite des écrits de Tolkien à une sauce
black metal très personnelle. Mais en 1995, les deux zigues (qui sont
d'ailleurs accompagnés sur cet album par un batteur qu'ils
s'empresseront de virer juste après) en question tournent encore dans
plusieurs groupes de black et, au moment de lancer ce nouveau projet,
s'ils ont déjà bien en tête le thème (tout est vraiment issu de Tolkien,
à commencer par le titre du disque), ce n'est pas encore vraiment le cas
en ce qui concerne le style musical. On a bien droit à de (beaucoup
trop) rares moments avec un peu de claviers (l'introduction Grey
Heavens, très minimaliste mais intrigante) et à des riffs vraiment
mélodiques (éléments qui deviendront centraux dans les albums suivants),
mais pour l'instant, c'est noyé sous une épaisse couche de black bien
crasseux, avec production abominable et un chant piaillé tellement
atroce qu'il suffit à lui seul à rendre une bonne partie du disque à peu
près inaudibles. Ce n'est pas totalement nul (non, vraiment, il y a des
riffs qui auraient mérité meilleur traitement), mais on n'en est pas
loin. En fait, quand on écoute la suite de la discographie de Summoning,
il est bien étrange que ce premier essai ait été publié sous la bannière
du groupe, tant il n'a rien à voir avec ce qui va suivre...
- Summoning - Minas Morgul (1995) ★ ★ ★ ★ ½
À peine quelques mois après un premier essai sans intérêt, Summoning
démarre réellement avec Minas Morgul son entreprise d'illustration d'une
Terre du Milieu fantasmée, très personnelle mais ô combien envoûtante.
Ceux qui ont de l'univers de Tolkien la seule image retranscrite par les
adaptations hollywoodiennes de Peter Jackson et qui imagineraient une
musique spectaculaire (à grands coups d'orchestration type
Rhapsody par exemple, après tout le groupe italien a eu un temps
le projet de se lancer dans une saga inspirée de Tolkien) en seront pour
leur frais, la musique de Summoning est beaucoup plus rustique et
minimaliste, ne serait-ce qu'à cause des moyens très limités dont
dispose le duo autrichien. S'ils ont conservé des guitares grésillantes
et un chant extrême (toutefois beaucoup moins hystérique que sur
Lubgurz, en adéquation avec des tempi beaucoup plus retenus), il
ne s'agit ici que d'un élément complétant une musique essentiellement
atmosphérique, basée sur des motifs très mélodiques répétés jusqu'à
l'obsession (les pistes s'étirent volontiers aux frontières de la
dizaine de minutes), des claviers très cheap énormément mis en avant,
quelques instruments typés pour donner une ambiance médiévale
(l'inoubliable bombarde de The Passing of the grey company) et
une boîte à rythmes minable histoire de simuler deux ou trois tambourins
en guise de base rythmique. C'est bien peu mais ce minimalisme assumé,
s'il rate parfois le coche (sur l'intro Soul wandering, on se
demande quand même où on a débarqué, et l'interlude Orthanc et sa
mélodie orientale semblent aussi s'être un peu perdus), réussit
régulièrement à mettre en place une ambiance mélancolique assez irréelle
mais surtout absolument magique (Marching homewards et sa superbe
mélodie en tête en ce qui me concerne), et, ce qui est peut-être la plus
grande réussite de l'album, à ouvrir en grand les portes de l'imaginaire
de l'auditeur, quel qu'il soit. Est-ce que le mélange improbable
"instrumental Renaissance-black metal doux" est vraiment une
illustration appropriée de la Terre du Milieu ? On s'en contrefiche,
cette musique invite au voyage, et chacun y apposera les images mentales
qu'il souhaite. Ce qui est certain, c'est que s'il rentre dans cet
univers surprenant, il ne sera sûrement pas déçu.
- Summoning - Dol Guldur (1997) ★ ★ ★ ★ ½
Ayant désormais trouvé sa voie, Summoning propose ici un disque dans la
lignée de l'excellent Minas Morgul : claviers omniprésents,
titres étirés à l'extrême par la répétition de riffs très mélodiques
mais assez simples (on est systématiquement à quasiment onze minutes sur
les pistes chantées), ambiance médiévale assez mélancolique, et surtout
une capacité incroyable à créer des atmosphères prenantes à partir de
pas grand chose. Cette fois-ci, pas besoin d'attendre longtemps pour
être conquis, l'introduction Angbands schmieden, avec ses
cloches, sa sublime mélodie à la harpe et ses espèces de gémissements en
fond, est absolument extraordinaire. C'est d'ailleurs à mon sens le
sommet de l'album avec Khazad-dum, qui reprend le principe déjà
mis à l'oeuvre sur le disque précédent d'une mélodie naïve jouée sur des
instruments typés "médiéval" (avec cette polyphonie basique mais
tellement efficace), sur laquelle le chant black apaisé vient se coller
très naturellement pour nous envoûter, c'est superbe. Presque trop même,
car en comparaison les titres n'arrivant pas à tutoyer les mêmes sommets
peuvent paraître un peu fades (la fin de l'album notamment, Unto a
long glory... et Over old hills sont moins réussis). Mais
l'expérience reste globalement inoubliable, et le disque est un digne
successeur à Minas Morgul, même si je rechigne encore à mettre la note
maximale (en même temps, un album qui réussit à être constamment au
niveau des meilleures chansons de Summoning, ça mériterait probablement
6/5).
- Summoning - Stronghold (1999) ★ ★ ★
La malédiction du quatrième album a encore frappé : alors que j'ai lu un
peu partout que Stronghold constituait un sommet de la discographie de
Summoning, je le trouve nettement moins bon que les deux disques qui
l'ont précédé (le tout premier, on est d'accord, on l'ouble de toute
façon). Et ce n'est pas la première fois que je bloque un peu sur ce
numéro 4 (au hasard, le phénomène s'était déjà produit pour des groupes
obscurs comme Black Sabbath, Iron Maiden ou
Metallica). Mais au moins, cette fois-ci, j'en identifie
facilement la raison. Sans révolutionner son style, le duo autrichien
propose ici un disque nettement plus metal que les précédents : certes
les claviers sont toujours très présents (heureusement !) et les tempi
lents, mais les guitares ont vraiment repris le dessus, et on n'a plus
droit à l'instrumentarium typé médiéval qui apportait ce charme désuet
si délectable aux meilleures pistes de Minas Morgul ou de Dol
Guldur. Ici, tout de même, quelques cuivres sympathiques (sur
l'intro Rhun qui nous met correctement dans l'ambiance, sans
plus), mais aussi des violons pas très inspirés. Même la production,
moins bancale que d'habitude, fait paradoxalement rentrer cet album dans
le rang, c'est dommage. Tout ça n'empêche quand même pas notre duo de
nous proposer un bon album, aux ambiances travaillées, qui contient
quelque nouveautés pas forcément convaincantes (le chant féminin sur
Where hope end daylight die, les samples guerriers de la piste
finale) mais surtout quelques très belles chansons (Long lost to
where no pathway goes loin devant tout le reste, mais The rotting
horse on the deadly ground vaut le coup d'oreille aussi). On reste
donc au-dessus de la moyenne, mais ça reste une petite déception, en
attendant la suite de pied ferme.
- Summoning - Let Mortal heroes sing your fame (2001) ★ ★ ★ ½
Pour cette cinquième offrande en quelques années, le duo autrichien
n'offre pas de révolution notable, mais quelques nouvelles pistes pour
agrémenter ses compositions toujours aussi lancinantes (même si le tempo
sur la première moitié de l'album est légèrement revu à la hausse par
rapport à ce qu'ils produisent d'habitude) : de petites apparitions de
samples (on en avait déjà eu dans le titre conclusif de
Stronghold) qui tiennent plus du gadget qu'autre chose, et un peu
de choeurs fantomatiques qui contribuent discrètement mais plutôt
efficacement à ajouter encore un peu de cachet à une musique qui n'en
manquait déjà pas. Pour le reste, on est en terrain très connu, avec une
volonté manifeste ici de faire dans le majestueux, matérialisée par une
utilisation assez massive de claviers très cuivrés (sur la très bonne
intro A new power's rising, entre autres). On ne retrouve
toujours pas la magie naïve des premiers albums, mais il y a quand même
pour moi un assez net regain d'inspiration, l'album se terminant très
bien avec Ashen cold et Farewell qui retrouvent une sorte
d'évidence mélodique un peu perdue de vue depuis le disque précédent. Un
dernier bémol tout de même, je ne sais pas si c'est un problème de
version, mais l'écoute au casque fait apparaître des problèmes de son,
comme une sorte de spatialisation mal gérée, qui est assez déroutante.
Dommage, mais l'album reste quand même très recommandable.
- Summoning - Oath bound (2006) ★ ★ ★ ★ ½
C'est à partir de ce sixième disque que le rythme des sorties de
Summoning se ralentit très nettement. Des difficultés à retrouver
l'inspiration pour de nouvelles compositions ? Ce qui est sûr en tout
cas, c'est que le style inimitable des compères autrichiens reste le
même, les quelques nouveautés (un peu de piano et de flûte, totalement
synthétiques comme il se doit, et des bruitages de bestioles évoquant
les armées ténébreuses des adaptations hollywoodiennes de Tolkien) s'y
insérant en douceur, sans rien révolutionner. Et ce n'est pas un mal,
car on est arrivés là à une sorte d'aboutissement pour cette musique,
parfaitement maîtrisée, toujours aussi évocatrice et tout simplement
belle (Across the streaming tide, Menegroth, ou le
monumental (presque 13 minutes au compteur, toutes les pistes sont de
façon longues sur cet album) Land of the dead avec ses superbes
choeurs grésillants). Je continue, comme sur les deux albums précédents,
à regretter le côté bric-à-brac féerique de leurs premières productions
(ici, on est clairement dans du plus concret, matérialisé notamment par
les bruitages déjà évoqués) qui me semblait encore plus magique, mais
dans son genre, c'est un disque inattaquable.
- Summoning - Old mornings dawn (2013) ★ ★ ★ ½
Incontestablement, Summoning est l'un des groupes à la discographie la
plus homogène que j'ai pu découvrir ces derniers mois. Si on excepte
leur premier disque, on ne risque pas d'être déçu en se mettant leurs
oeuvres les plus récentes dans les oreilles tant leur musique repose
toujours sur les mêmes ambiances et les mêmes types de mélodies. Le
risque au bout d'un moment, c'est évidemment la lassitude, et celle-ci
pointe un peu le bout de son nez sur ce septième album, un temps
pressenti comme étant le dernier du duo (qui commençait lui-même à se
lasser un peu, d'où probablement également les temps d'attente désormais
bien longs entre deux sorties). Le début du disque laisse même un peu
craindre le pire, tant ils semblent avoir du mal à renouveler un tant
soit peu leurs propositions (l'intro est différente de ce qu'ils font
d'habitude, mais pas vraiment convaincante, la chanson-titre est proche
de l'auto-plagiat). Et puis, petit à petit, l'ambiance assez lourde (le
chant sur Earthshine se fait franchement désespéré) finit par
nous prendre, et on replonge avec délectation dans cet univers onirique
inimitable, avec notamment deux derniers titres très réussis. Sûrement
pas de quoi convaincre ceux qui n'ont pas aimé les albums précédents,
mais les fans y trouveront encore leur compte.
- Summoning - With doom we come (2018) ★ ★ ★ ★
Après quelques atermoiements (et quelques années supplémentaires
d'attente), Summoning est donc bien revenu avec une nouvelle offrande.
Et cette dernière pousse le style du groupe dans ses derniers
retranchements, en permanence à deux doigts de tomber dans
l'auto-caricature (Mirklands notamment semble recycler des motifs
mélodiques déjà entendus dans les albums précédents). Les sept titres
proposés (plus un interlude instrumental, mais pas d'intro à proprement
parler ici, même si la première piste ne fait pas intervenir le chant
black habituel) sont encore plus étirés et répétitifs que d'habitude, et
constamment noyés dans une sorte de demi-teinte dépressive qui était
déjà bien présente sur l'album précédent du duo. Et cette atmosphère
fatiguée sied ma foi très bien à la musique des deux compères, plus
hypnotique que jamais même si le côté "émerveillement magique" est
maintenant un lointain souvenir, malgré l'usage assez intensif de
cuivres majestueux. Qu'importe de toute façon, seuls les fans trouveront
un intérêt à cette enième variation sur un même thème, mais ceux-là
seront reconnaissants à Protector et Silenius de leur avoir procuré une
dernière heure de bonheur avant de (probablement) se retirer de la
scène. Ils laisseront un vide irremplaçable tant leur musique est
unique.