Mon avis personnel sur les disques de Savatage
- Savatage - Sirens (1983) ★ ★ ★
Sur les bons conseils récents de mes camarades, je me lance dans la
discographie de Savatage. Premier album publié en 1983, faut-il
s'attendre à un disque lorgnant vers le thrash metal en plein boom à la
même époque ? Pas vraiment non, on est ici dans du heavy plus posé, avec
un vrai esprit rock sous-jacent (c'est encore très groovy sur un titre
comme I Believe). Peu importe d'ailleurs, le chanteur est
intéressant, les riffs plutôt bons (les motifs un peu trop répétés mais
efficaces de Holocaust ou Twisted little sister), les
musiciens impliqués (les solos de guitare bien assurés, la basse de
Scream murder), la grosse demi-heure de musique disponible sur ce
premier essai passe toute seule. Malgré tout, ça reste un premier album,
et ça s'entend : son médiocre, des tentatives bizarres d'effets sur la
voix (souvent réverbérée à l'excès, mais le pompom c'est l'espèce
d'effet de growl absolument improbable à la fin de I believe), et
quelques pistes pas franchement à la hauteur (Out of the streets
conclut l'album de façon bien décevante). Rien de révolutionnaire ici,
mais une certaine fraîcheur qui rend l'album très sympathique sans être
inoubliable.
- Savatage - Power of the night (1985) ★ ★ ½
Après un premier album sympathique, Savatage est remarqué et rejoint une
grosse maison de disques. Un changement qui s'entend très clairement
dans ce deuxième opus, les moyens ne sont pas les mêmes, on a droit à un
son nettement plus propre, à quelques claviers pour ajouter des
atmosphères tantôt planantes, tantôt résolument électroniques aux intros
(celle de la piste titre qui ouvre le disque notamment). Pourquoi pas,
mais ça s'accompagne également d'une absence assez claire de prise de
risque qui finit par donner un album un peu trop lisse et propre sur
lui. Les inspirations restent résolument "rock seventies" (le seul qui
ajoute un côté agressif à l'ensemble, c'est le chanteur Jon Oliva, qui
varie les registres avec une envie impressionnante), et on tombe parfois
dans une sorte de soupe peu ragoûtante (la ballade In the dream
en conclusion, Hard for love en cours de route). Quelques bonnes
inspirations (le riffing de la chanson titre, la très courte et amusante
Washed out) suffisent malgré tout à rendre le disque intéressant,
mais trop inégal pour convaincre totalement.
- Savatage - Fight for the rock (1986) ★
Savatage est un exemple curieux de groupe auquel une signature trop
rapide chez un gros label a fait plus de mal que de bien. Pour ce
troisième disque, probablement poussés par des visées commerciales peu
avouables, les musiciens renient le talent entrevu sur leur premier
album, et proposent, comme le titre et la pochette (assez terrible...)
le laissent craindre, une soupe rock plus que metal, mais surtout bien
tiédasse. Après un hymne éponyme fait pour faire lever les foules
(acceptable, mais qui manque déjà de gnaque), on alterne des titres mous
du genou sauvés par le chant et quelques touches de clavier (bon,
l'intro de The Edge of midnight, c'est quand même assez terrible)
qui donnent par moments une touche gothique un peu cheap rigolote à
l'ensemble, et des reprises complètement à côté de la plaque (deux
reprises, plus une nouvelle version de Out on the streets, déjà
présent sur leur premier album, ça fait quand même beaucoup). Si on aime
le (à peine) hard rock pas trop nerveux, ça reste écoutable, mais
n'importe quel groupe de troisième zone aurait fait l'affaire pour
interpréter ça. Savatage ne reprendra son envol (et reniera d'ailleurs
ce troisième disque ensuite !) que sur l'album suivant.
- Savatage - Hall of the mountain king (1987) ★ ★ ★ ★
Alors que Savatage était sur une pente qui semblait le mener tout droit
vers un oubli rapide et bien mérité, un miracle se produit sur ce
quatrième album : un nouveau producteur est associé au groupe, et il
laisse aux musiciens libre cours pour produire quelque chose
d'infiniment plus ambitieux que le rock flemmard de leur disque
précédent. Et ça s'entend : la musique est variée, les structures
imprévisibles, les guitares se lâchent (le chanteur aussi, mais ça
c'était déjà le cas avant), et on a même droit à des citations
classiques pour enrober le tout (oui, le titre de l'album fait bien
allusion à Grieg, dont la reprise dans Prelude to madness est
d'ailleurs un morceau de bravoure parfaitement inutile). Quand ça
fonctionne, ça donne des titres mémorables (24Hrs ago, The
Price you pay, et la chanson titre qui reste impressionnante même
s'il y a un côté un peu too much), quand ça foire ça laisse circonspect
(l'interlude instrumental Last dawn, certains passages du
toutefois intéressant Beyond the doors of the dark). Mais il y a
beaucoup plus de bon que de mauvais dans tout ça, et l'album a ce côté
attachant des oeuvres certes imparfaites mais qui laissent entrevoir
chez un groupe un potentiel en train d'exploser. En fait, c'est ce
disque qui aurait logiquement du arriver à la suite du Sirens
inaugural de Savatage.
- Savatage - Gutter ballet (1986) ★ ★ ★
Après un quatrième album qui ouvrait les vannes, Savatage continue sur
celui-ci à explorer, et à s'éloigner de ses racines à base de hard-rock
planplan. Si la "face B" du disque propose une suite de titres sans
grande surprise, mais dans l'ensemble efficaces (avec tout de même des
touches de claviers et même de piano pour rehausser l'intérêt), c'est
dans les premières pistes qu'Oliva et sa bande lâchent vraiment les
chevaux. Après un étonnant Of Rage and war introductif (le duo
basse-hélicoptères fait son petit effet, le riffing est très haché, mais
ça fonctionne bien), on a droit à une alternance d'instrumentaux et de
titres lents où le piano se taille la part du lion. Certes, on avait été
prévenus par la pochette, mais le problème, c'est que trois notes jouées
avec un doigt sur un piano au son bien maigrelet ça ne suffit pas
vraiment à donner plus de cachet aux chansons. Si la chanson titre reste
impressionnante par sa montée en puissance parfaitement gérée, When
the crowds are gone tourne au procédé, écrin sans intérêt à la
performance certes particulièrement habitée de Jon Oliva au chant (à lui
seul, il sauverait de toute façon à peu près n'importe quoi vue
l'énergie qu'il met dans ses prestations). Savatage se cherche encore,
le fond reste (très) bon, mais ce disque-là est plus inégal que le
précédent.
- Savatage - Streets (1991) ★ ★ ★
Début des années 90, c'est l'heure du concept album pour Savatage, ou
plutôt, si l'on fait confiance au groupe, de l'opéra rock. Un choix qui
semble presque naturel pour eux à vrai dire : c'est à la mode à cette
période, et leur style très éclectique devrait pleinement s'épanouir
dans ce genre. De fait, si le scénario n'est pas follement passionnant
(les hauts et les bas d'un junkie chanteur, pour faire vite), on alterne
entre titres vraiment heavy, chansons dépressives souvent accompagnées
au piano, et une influence "musical" assez marquée (les claviers assez
emphatiques de Jesus Saves se retrouvent sur quelques autres
pistes). Le tout est bien fichu et se suit sans déplaisir, mais après un
début de disque vraiment excellent (la chanson-titre qui ouvre l'album),
ça tourne quand même pas mal en rond, avec pour moi un peu trop de
titres dispensables (à nouveau, je n'accroche qu'assez modérément à la
plupart des titres uniquement accompagnés au piano). J'ai la sensation
nette que tous les meilleurs titres ont été massés dans la première
moitié de l'album, un signe que, tout en restant très correct, il est
sûrement trop long pour moi. Ou peut-être simplement trop rock, en fait.
- Savatage : Edge of thorns (1993) ★ ★ ½
Petite révolution pour cet album de Savatage, Jon Oliva, la voix ravagée
par ses addictions, a décidé de laisser sa place au chant (son petit
frère, par contre, est toujours présent à la guitare, pour la dernière
fois avant sa mort accidentelle). Pas vraiment une bonne nouvelle en ce
qui me concerne car, malgré un côté excessif, Oliva assurait une
présence vocale qui sera bien difficile à remplacer. De fait, le nouveau
venu chante correctement mais il est assez passe-partout. Un peu à
l'image de cet album d'ailleurs, certes varié et agréable, mais qui
reprend des recettes déjà utilisées par le groupe (Follow me
entouré de deux courts titres instrumentaux), abuse du piano et des
ballades (le Sleep conclusif porte bien son nom), et peine
surtout à proposer des titres qui décollent réellement (même si Edge
of thorns, la chanson, lance bien le disque), pas aidé de fait par
le changement de chanteur. Typiquement un album dont je n'ai pas grand
chose de mauvais à dire, pas grand chose de très bon non plus, et qui
sera assez vite oublié.
- Savatage - Handful of rain (1994) ★ ★
Si vous avez bien suivi les épisodes précédents, vous savez déjà que cet
album est celui qui suit la disparition prématurée du guitariste Criss
Oliva. Un événement tragique qui aurait pu mettre fin brutalement à
l'aventure Savatage, mais qui a au contraire poussé Jon Oliva (frère du
précédent, ex-chanteur et toujours compositeur du groupe) à se jeter à
corps perdu dans la composition, et à accoucher presque à lui tout seul
de ce disque à part dans la discographie du groupe, marqué par la rage
et l'amertume. Il débute par un Taunting cobra carrément thrash,
mais ce sommet de violence sera le seul du disque, même si beaucoup plus
loin Symmetry a de faux airs de ballade à la Metallica (y
compris dans le chant d'ailleurs). Le reste, c'est une longue litanie de
titres mid-tempo (ou même plus lents que ça) à l'atmosphère dépressive.
Si la chanson-titre accroche par ses contrastes (les guitares restent
sacrément incisives), et si Chance qui la suit immédiatement a le
mérite d'essayer des choses inattendues (passages très symphoniques,
polyphonies chorales façon Queen, le genre de titre dont on se
demande encore s'il est génial ou foiré après une douzaine d'écoutes),
on tombe ensuite dans une succession de titres moins ambitieux et bien
peu mémorables, pour achever le disque sur une ballade lacrymale en
hommage à Criss qu'on écoutera respectueusement sans franchement adhérer
à la musique proposée. À l'image de l'ensemble du disque finalement,
sûrement un exutoire nécessaire pour Jon Oliva, mais une oeuvre qui en
pratique nous laisse sur le côté de la route. Dommage, ça commençait
pourtant bien.
- Savatage - Dead winter dead (1995) ★ ½
Après un Handful of rain vraiment à part dans la discographie du
groupe, Savatage revient à quelque chose d'a priori plus attendu avec ce
concept album, mais qui en pratique est tout de même très déstabilisant.
Déjà, le sujet (la guerre en ex-Yougoslavie) est un peu surprenant, mais
après tout pourquoi pas. Mais le traitement qui en est fait est vraiment
spécial, extrêmement emphatique, avec un certain nombre de choix
artistiques discutables : on est souvent dans le symphonique le plus
grandiloquent, mais avec des claviers dont les sonorités gâchent tout
(c'est d'autant plus étrange qu'à côté de ça les guitares sont très
puissantes et formidablement bien captées, le contraste sur un titre
comme Sarajevo est assez saisissant !), particulièrement
évidemment sur les (assez nombreuses) reprises de titres classiques qui
virent immanquablement au nanar superflu (l'Ode à joie, c'est assez
terrible). Et on a évidemment une majorité de titres lents et
dramatiques qui sont en fait plus lourds que vraiment déchirants (ça a
un côté soupe prononcé, on s'attendrait presque à voir débarquer le
choeur de stars façon chanson humanitaire, sur This is the time
notamment). Finalement, dans le lot, ce sont les titres classiquement
heavy (où Jon Oliva chante à nouveau, mais pas très bien, il faut bien
l'avouer) qui sont les plus convaincants (Starlight paraît
d'ailleurs tout droit tiré du Nostradamus de Judas Priest
qui sortira pourtant bien plus tard, c'est très curieux). Le reste
constitue une tentative qui ne manque pas d'intérêt, mais qui me laisse
vraiment plus perplexe qu'enthousiaste.
- Savatage - The Wake of Magellan (1999) ★ ★ ★
Après un concept-album "Sarajevo" qui ne m'avait vraiment pas convaincu,
Savatage retourne à quelque chose de plus classique avec à nouveau un
concept-album, mais sur un thème maritime probablement plus facile à
gérer, et ancré dans un style progressif finalement assez classique et
cohérent (à quelques exceptions près tout de même en milieu de disque,
Parangons of innocence est un titre sympathique mais hors sujet
gâché par un passage rap hideux, et je préfère ne pas trop enfoncer
Complaint in the system qui essaye lui aussi de donner une touche
moderne complètement inappropriée à l'ensemble). Quelques belles
mélodies de piano sur fond de bruitages de vague, des titres travaillés
convaincants (Turns to me, la chanson titre), mais aussi une
fâcheuse tendance à donner dans le grandiloquent un peu facile (les
"Welcome to the show" à la fin du bien nommé Welcome, c'est bête,
mais ça sonne tellement "spectacle américain" que ça gâche presque la
belle ouverture qui précède), et quelques choeurs polyphoniques à mon
sens inutiles. L'ensemble reste tout de même nettement au-dessus de leur
album précédent, efficace sans être transcendant.
- Savatage - Poets and madmen (2001) ★ ★ ½
Me voilà déjà arrivé au bout de la discographie de Savatage, qui va
quitter la scène en catimini après ce dernier effort studio, la faute...
au succès de l'autre projet de duo Oliva/O'Neill, le TransSiberian
Orchestra, auquel ils préféreront consacrer tout leur temps. Ce
dernier album subit d'ailleurs clairement l'influence de son cousin, le
côté "gros show à l'américaine" avec passages très tape-à-l'oeil (les
choeurs façon comédie musicale de Commissar, entre autres) étant
particulièrement voyant ici (il y a déjà un peu de ça sur certains des
disques précédents de Savatage, mais moins quand même). Ce n'est pas
vraiment ce que je préfère, et je reste donc assez circonspect face à
cet album, même si tout n'est pas à jeter, loin de là : le retour de Jon
Oliva au chant donne une personnalité vocale qui manquait cruellement
depuis quelques disques, et les premières pistes sont vraiment réussies,
Stay with me alive justement porté par le chant écorché d'Oliva,
There in silence qui dégage une puissance indéniable malgré le
kitsch des claviers. Et puis, plus l'album avance, plus ça devient
quelconque malgré les nombreux passages instrumentaux spectaculaires,
pour s'achever sur une pseudo-ballade qui laisse totalement indifférent.
Un peu à l'image de la carrière de Savatage en ce qui me concerne
finalement : des promesses qui peuvent facilement enthousiasmer, mais
pas totalement tenues.