Mon avis personnel sur les disques d'Enslaved
- Enslaved - Vikingligr veldi (1994) ★ ★ ★ ½
Enslaved fait partie de ces nombreux groupes ayant émergé en Norvège au
début des années 90 dans le cercle qui a vu la création du black metal.
On est donc partis pour une bonne dose de blast-beat furieux et de chant
bien guttural à peine audible tellement la production est dégueulasse ?
En fait, oui et non. Oui, les guitares sont bien saturées, mais non, il
n'y a pas de volonté ici de rendre la musique la plus inaudible
possible, c'est même étrangement propre en termes de son. Oui, le chant
est teinté black (côté coassement de la force) mais en même temps ça
chante tellement peu que c'est presque accessoire. La musique du groupe
se concentre en effet sur l'exploitation très creusée (seulement 5
pistes dont quatre dépassent les 10 minutes) de riffs presque mélodiques
répétés jusqu'à créer une atmosphère prenante, et en n'hésitant pas à
mettre en avant des claviers a priori relativement incongrus dans ce
style de musique. Et franchement, ça marche pas mal du tout ! La piste
introductive Lifandi Lif Undir Hamri (faudrait que je bosse mon
norvégien pour savoir ce que ça peut bien signifier) est vraiment belle,
et la conclusion Norvegr (qui exploite beaucoup les claviers sur
la fin) est également très réussie. Entre deux, tout de même une ou deux
pistes nettement plus brutales et moins intéressantes, mais l'ensemble
forme un album tout à fait appréciable.
- Enslaved - Frost (1994) ★ ½
La pochette annonce la couleur, on va se cailler à l'écoute du deuxième
album d'Enslaved. D'ailleurs, l'intro (sobrement intitulée Frost)
confirme cette impression, avec ces effets intéressants sur les
sonorités de claviers. Hélas, après cette intro plutôt attirante,
Loke est une sorte de douche froide : moi qui avais été
agréablement surpris par la propreté du son de leur premier album, je
suis bien obligé d'avouer que là, c'est tout simplement très moche
(guitares denses, propos assez inintelligible, et rires démoniaques en
fin de chanson ridicules). Ce n'est toutefois pas vraiment représentatif
de l'ensemble de l'album, qui propose la plupart du temps un black assez
"standard" (Jotunblod ou Wotan, ça m'intéresse peu, les
claviers et les éléments mélodiques sont moins présents que sur
Vikingligr Vedi), mais aussi quelques expérimentations
inattendues qui font quand même que l'album n'est pas totalement raté.
La très curieuse Yggdrasil notamment, qui démarre comme une
espèce de ballade folk avec guimbarde et chant clair, et termine en mode
transe électrique, st indiscutablement recherchée et réussie. Ce n'est
pas assez pour vraiment me donner envie d'y revenir.
- Enslaved - Eld (1997) ★ ★ ★
Cette fois-ci, la pochette est très claire : c'est à une épopée viking
que nous convie Enslaved pour son troisième album. Et ça commence très
fort avec la plage de 16 minutes 793 (Slaget om Lindisfarne)
évoquant l'un des premiers raids vikings en Angleterre. Longue
introduction atmosphérique avec claviers presque symphoniques, chant
clair quasiment incantatoire, chant guttural utilisé avec parcimonie (on
a droit à de longs passages purement instrumentaux), c'est à la fois
très bien construit et vraiment bien fichu, sur cette piste, le niveau
est encore monté par rapport au premier disque du groupe (et l'intermède
violent de Frost semble presque oublié). Le reste de l'album, ce
sont six chansons nettement plus courtes (même si la durée atteint
souvent 7 ou 8 minutes), et plus conformes à ce qu'on pourrait attendre,
un black avec batterie monumentale et guitares bien saturées, mais qui
ne laisse pas tomber le côté mélodique qui semble cher au groupe, ni
d'ailleurs le chant clair qui est encore exploité de temps à autre sous
forme de choeurs qui ajoutent un peu à l'atmosphère épique du tout. Je
dois l'avouer, tout ça m'intéresse nettement moins, même si
Hordalendingen et Kvasirs blod sont pas mal du tout (de
façon générale, de toute façon, ce n'est jamais gratuitement brutal, il
y a toujours des ruptures de ton ou de rythme qui enrichissent le
propos). J'aurais préféré un album entier dans l'esprit de la grandiose
piste initiale. Mais rien que pour ce titre, justement, l'album mérite
d'être écouté.
- Enslaved - Blodhemn (1998) ★ ★
Vous avez demandé du viking ? Enslaved vous en ressert une bonne
tranche. Mais si le Eld qui précédait cet album s'ouvrait sur une
magistrale piste de 16 minutes aux ambiances très variées avant de se
complaire dans un black assez standard qui m'avait assez rapidement
lassé, ce nouvel opus fait dans le brutal en permanence, donc est
forcément mal parti pour me plaire. Batterie épileptique, titres
systématiquement rapides, ça pourrait même devenir franchement saoûlant
si quelques éléments caractéristiques du groupe ne maintenaient pas un
minimum d'intérêt : les claviers en fond qui se permettent même quelques
incursions franchement étranges dans le discours (sur Ansuz
astral notamment), mais surtout l'utilisation du chant clair et des
choeurs "vikings" pour contrebalancer le déferlement de violence et
provoquer des ruptures de tons bienvenues. À ce titre, I lenker til
Ragnarok ou la chanson titre réussissent indéniablement à instaurer
une ambiance intriguante. Bref, même si on est dans le domaine du "pas
de la musique pour moi", ça reste nettement plus audible que du
Emperor par exemple...
- Enslaved - Mardraum-Beyond the Within (2000) ★ ★ ½
Enslaved avait déjà montré dans ses premiers albums sa capacité à
proposer par moments une musique nettement plus recherchée que le black
brutal qui constitue son fonds musical. Mais avec ce cinquième opus, on
franchit encore un palier supplémentaire, notamment dans le titre Storre
enn tid qui ouvre l'album et qui tire un peu dans toutes les directions
: intro acoustique dépressive, mélange de choeurs clairs et de chant
guttural, courts passages dissonants assez expérimentaux, l'ensemble est
un peu décousu mais a franchement de la gueule (la première percée du
choeur par exemple est superbe), on n'est pas très loin de ce que
propose un Opeth dans ses premiers albums (c'est la même période
après tout). La piste Entrance-Espace joue dans la même cour et
est même à mon sens encore plus réussie (un peu plus ramassée et donc
plus cohérente). Et puis, hélas, le reste du disque retombe dans un
black nettement plus brutal mais surtout assez peu inspiré (Aeges
draum passe encore avec là aussi quelques passages expérimentaux,
mais à partir de Det endelege riket ça perd pour moi tout
intérêt, on est nettement en-dessous de ce que proposait le groupe dans
ce style dans les albums antérieurs). J'avoue ne pas bien comprendre la
cohérence du projet d'ensemble et ne suis donc qu'à moitié satisfait à
l'écoute de ce disque (mais bon, quelque part, une moitié de disque
excellente et une moitié pourrie, c'est mieux qu'un disque uniformément
moyen).
- Enslaved - Monumension (2001) ★
Si Mardraum contenait encore une majorité de pistes black, cette fois,
la métamorphose du groupe est complète. Certes il reste des relents de
metal extrême sur la forme (le chant alterne entre guttural, écorché et
clair, et pas seulement dans les choeurs pour ce dernier, et le son des
guitares reste assez sale), mais sur le fond, le groupe subit désormais
une influence manifeste et inattendue venant tout droit du rock planant
des années 70 (quand on écoute Hollow inside et son chant clair
ultra réverbéré sur fond d'orgue synthétique, on a même du mal à croire
qu'il s'agit bien du même groupe que sur les premiers albums). L'orgue
est d'ailleurs très présent tout au long de l'album, ce qui produit un
effet assez déroutant. En fait, tout l'album est déroutant, tant on est
au croisement de deux univers difficilement compatibles. Ca pourrait
certainement être intéressant, et c'est en tout cas indiscutablement
original, mais j'avoue avoir bien du mal à ne pas me perdre et, tout
simplement, m'ennuyer à l'écoute de ce drôle d'objet musical.
- Enslaved - Below the lights (2003) ★ ★ ★
Le virage pris par Enslaved engage le groupe de plus en plus loin du
black originel (on a encore un peu de chant extrême, mais finalement
assez peu dans la mesure où quasiment toutes les pistes sont largement
dominées par les passages purement instrumentaux, seul Ridicule
swarm, après son intro bizarrement atmosphérique, revient à quelque
chose d'assez brutal). Ici, on a droit à des pistes longues et très
contrastées, constituées d'épisodes d'ailleurs pas toujours très bien
enchaînés, en tout cas ça a un côté prog très prononcé. Et en plus de ça
on a comme dans le disque précédent des allusions au rock planant qui
passent toutefois mieux cette fois-ci (bon, quand même, l'intro de
Queen of night est très improbable). Même si l'ensemble manque
encore de cohérence à mon goût, il y a tout de même un net progrès par
rapport à Monumension, et même quelques très belles pistes :
As Fire swept clean the earth qui ouvre l'album est tout
simplement beau (encore une fois, j'entends des choses bien proches
d'Opeth là-dedans), et The Crossing propose une ambiance très
travaillée (très très peu de chant sur celle-ci). Le reste est plus
inégal, mais donne tout de même un disque intéressant, qui s'écoute avec
plaisir.
- Enslaved - Isa (2004) ★ ★ ★ ½
Bien dans la lignée du précédent, peut-être encore plus homogène
(l'ambiance est globalement assez dépressive tout du long), mélange de
chant extrême et clair, claviers, choeurs, on retrouve en effet les
mêmes ingrédients, et d'ailleurs ça s'écoute tout aussi bien, même si
j'avoue une fois de plus me lasser un peu en cours de route et ne
toujours pas être totalement transporté. Mes pistes préférées : Lunar
force (encore un album qui commence bien) et Bounded by
allegiance (belle opposition entre choeurs très sereins et les
instruments qui martèlent des motifs répétés de façon incessante).
Globalement, c'est quand même sympa à écouter, je le mettrais même un
poil au-dessus du précédent.
- Enslaved - Ruun (2006) ★ ★ ★ ½
Ce disque aura été atteint du syndrome du "j'arrive pas à taper ma
chronique". Comme ça m'arrive parfois quand j'ai un peu trop de boulot à
faire en même temps (vivent les corrections de concours), j'ai lancé à
plusieurs reprises le CD avec la ferme intention d'écouter attentivement
et de prendre quelques notes pour donner mon avis, mais à chaque fois
j'ai laissé tomber, me contenant d'écouter la musique "en fond". Mais du
coup, je finis par bien le connaitre, cet album ! C'est peut-être pour
ça qu'il me convainc encore un peu plus que ses prédécesseurs immédiats.
Les ingrédients sont les mêmes, mais avec des claviers nettement en
retrait (on a bien un côté assez psychédélique tout de même sur la
chanson-titre), et un côté très apaisé qui donne presque envie de dire
au chanteur d'arrêter les vocaux black, qui ne collent plus guère à
l'ambiance globale assez mélancolique. Mais peu importe, c'est à un beau
(mais assez court) voyage que nous convie le groupe, et si ça manque de
sommet vraiment marquant, l'homogénéité de l'ensemble fait qu'on passe
un très beau moment une fois rentré dans l'ambiance particulière de ce
disque.
- Enslaved - Vertebrae (2008) ★
Après une série d'albums convaincants, Enslaved redescend d'un bon cran
avec ce disque qui commence à sentir fort la routine. Le black metal est
définitivement oublié depuis un moment certes (la voix coassante ne
semblant être conservée que par principe) mais ce n'est pas une raison
pour imposer piste après piste la même atmosphère planante, les mêmes
choeurs diaphanes contrastant avec le chant extrême, et surtout la même
absence de véritable riff qui s'incruste un tant soit peu dans notre
cerveau. J'ai en fait très envie de faire un mauvais jeu de mots en
disant que, malgré son titre, je trouve cet album curieusement
invertébré : jamais un vrai point d'accroche, cette fois-ci je reste à
quai et j'ai la fâcheuse impression que le groupe pourrait continuer à
jouer la même musique pendant des heures sans que je ne perçoive de
réelle évolution. Bon, finalement les disques du groupe que je n'ai
vraiment pas aimé restent peu nombreux, celui-là en fera partie.
- Enslaved - Axioma Ethica Odini (2010) ★ ★
Bonne nouvelle, pour ce onzième album, Enslaved semble décidé à revenir
à quelque chose de nettement moins vaporeux que sur le précédent, c'est
plus musclé et les synthés 70's se font même carrément discrets (bon, ça
revient un peu sur la fin du disque quand même, le début de Night
sight notamment surprend tant il fait tâche par rapport à ce qui a
précédé). Sinon, on a droit aux ingrédients habituels du groupe, mais
avec des refrains en chant clair qui lorgnent carrément vers la pop
(c'est flagrant sur le titre inaugural Ethica Odini), ça ne
s'intègre pas franchement bien au reste à mon sens (notamment sur
Singular, qui est pourtant la meilleure chanson du disque). De
façon générale d'ailleurs, l'album me semble assez décousu (un titre
comme Waruun, j'ai toutes les peines du monde à comprendre où ça
veut en venir). Malgré quelques bons moments (nettement plus que sur le
précédent), je ne suis pas follement emballé, et me contenterai donc
d'achever la discographie du groupe en écoutant les quatre albums qui me
restent d'une oreille plus distraite, sans compte-rendu.