Mon avis personnel sur les disques de Celtic Frost
- Celtic Frost - Morbid tales (1984) ★ ★ ★ ★
Début d'une nouvelle courte série consacrée au plus célèbre groupe
suisse de la galaxie metal. Mais oui, c'est bien de Suisse qu'est issu
un groupe considéré comme l'un des précurseurs de toute la scène
extrême. Et de fait, dès ce premier album (qui n'en est d'ailleurs pas
vraiment un puisque reconstitué à partir de morceaux issus de sources
diverses des débuts du groupe), le duo fondateur (uniquement accompagné
d'un batteur de cession) fait preuve d'une certaine originalité (surtout
pour l'époque, bien entendu) : un son lourd et grave avec une section
rythmique mixée très en avant (on entend vraiment bien la basse, ça
donne un sacré cachet au son, même si la version que j'ai entendue a
sûrement été remastérisée ultérieurement), un chant qui n'en est pas
vraiment un (plutôt une espèce de déclamation inquiétante), et surtout
quelques expérimentations complètement improbables (les cris super
moches de l'introduction Human auraient plutôt tendance à ne pas
donner envie d'aller plus loin, mais la Danse macabre qui se
trouve quasiment en fin de disque est un moment assez effarant de délire
total, avec piano dissonant et violon grinçant, c'est plus que spécial
mais ça a un étrange goût de revenez-y). Malgré le contenu strictement
musical assez limité (pas de démonstration technique, c'est souvent
assez lent, et les riffs sont basiques et pas mal répétés), le disque
réussit réellement à créer une atmosphère morbide (le titre de l'album
est bien choisi) sans être le moins du monde grand-guignolesque, c'est
au fond d'une efficacité redoutable tout en installant effectivement des
procédés qu'on retrouvera repris par pas mal de groupes de la première
vague de black nordique, mais avec un son autrement plus intéressant.
Franchement, j'ai passé un très bon moment à l'écoute de ce premier
essai.
- Celtic Frost - To Mega Therion (1985) ★ ★ ★
Plus encore peut-être que son prédécesseur, cet album est considéré
comme culte par beaucoup de métalleux qui le voient comme un génial
précurseur de plusieurs branches du metal extrême qui vont se développer
dans les années qui suivront. Il faut dire que, contrairement à
Morbid Tales, ce To Mega Therion est un vrai disque longue durée
sorti comme tel en 1985. Il faut dire aussi que la pochette dessinée par
Giger (le créateur d'Alien) ne contribue pas qu'un peu à mettre dans
l'ambiance. Il faut dire surtout que, question ambiance, les petits
suisses savent y faire pour vous faire pénétrer en quelques instants
dans un monde glauque et intriguant. Ici, une introduction d'une minute
avec cor (mais oui) et on est partis pour un voyage dans des contrées
incertaines. L'ambiance de ce prélude sera d'ailleurs reprise un peu
plus loin dans l'excellent Dawn of Megiddo, lent et hypnotisant,
puis dans la piste finale Necromantical screams. Mais malgré ces
très bons points, je trouve quand même l'album moins efficace que leur
premier, peut-être curieusement à cause de ce caractère un peu plus
sophistiqué qui fait d'autant plus ressortir le fait que les autres
pistes sont finalement assez pauvres musicalement parlant
(techniquement, Celtic Frost est loin d'impressionner, et l'ambiance ne
peut pas tout faire non plus). Heureusement, la fin de l'album est à
nouveau très intéressante, quand Tom Warrior (leader et compositeur du
groupe) repart dans des délires expérimentaux invraisemblables (Tears
in a prophet's dream est encore plus bruitiste et barrée que la
Danse Macabre de Morbid tales, et Necromantical scream
fait carrément dialoguer le chanteur avec une soprano lyrique
complètement incongrue). En fait, To Mega Therion mérite vraiment son
statut culte : pas du tout un chef-d'oeuvre inattaquable, mais
incontournable malgré tout pour les pistes qu'il ouvre, et la
fascination qu'il exerce en dépit de ses défauts.
- Celtic Frost - Into the pandemonium (1987) ★ ★
Après deux albums ayant défriché de façon assez phénoménale de nouveaux
territoires pour le metal, on pouvait imaginer que les membres de Celtic
Frost allait maintenant pouvoir se contenter d'asseoir un peu leur style
en restant dans la continuation de ce qu'ils avaient déjà proposé. Eh
bien, manifestement, ce n'est pas le genre de la maison puisque cette
nouvelle tentative aurait plutôt tendance à battre des records en termes
de bizarreries et d'inclusion d'éléments inattendus : on démarre avec
une reprise franchement space, puis Warrior introduit un espèce de chant
geignard genre "metal gothique pour minettes désespérées" sur
Mesmerized, chant qu'il reprendra hélas sur une majorité des
titres du disque. Après un Inner sanctum plus classiquement
thrash (et assez réussi), on va carrément partir dans le délire total :
une espèce de lied en français sur fond de violons (Tristesses de la
lune, pas mal mais extrêmement incongru dans cet environnement), une
influence orientale sur Caress into oblivion allant jusqu'à
l'utilisation d'un chant de muezzin en intro, un machin hip-hopisant
plein de samples complètement grotesque (One in their pride) et
même un Rex irae mélangeant le chant dépressif déjà cité et une
soprano lyrique (ça c'est presque habituel pour le groupe) sur fond de
violons larmoyants et d'accords de guitare, on va chercher assez loin.
Le pire dans tout ça c'est que prises séparément, les pistes sont
souvent plutôt réussies (sauf le chant quand même), mais l'album dans sa
globalité donne quand même furieusement l'impression d'écouter une sorte
d'improbable nanar musical. À tenter quand même pour les curieux...
- Celtic Frost - Cold Lake (1988) ★ ★ ½
Après s'être fait une certaine réputation en tant que défricheurs dans
le monde encore tout petit de ce qui allait devenir le metal extrême,
Celtic Frost a perdu d'un seul coup à peu près tous ses fans avec cet
album, qui est d'ailleurs aujourd'hui tellement renié par ses propres
géniteurs qu'on ne le trouve pas sur les plates-formes où je m'abreuve
habituellement. Est-ce donc une bouse si monumentale ? Même pas. Par
contre, il faut bien le dire, c'est un retournement assez ahurissant
après les expérimentations de Into the pandemonium : que des
pistes hyper calibrées (pas plus de 4 minutes par chanson) proposant une
sorte de thrash gentillet assorti d'une batterie en plastoque (ça c'est
quand même un gros point noir) et de refrains lorgnant gentiment vers le
hard FM, Warrior qui chante en permanence de la même façon (pas très
bien, il faut le dire, on pense par moments à du Mustaine d'ailleurs),
et quand l'inévitable voix féminine débarque, c'est pour une
intervention sensuelle (sur Cherry orchard) qui pousse
sincèrement à se demander à quel degré il faut prendre ce titre (que je
trouve personnellement bien rigolo). Bref, on est passé en un an d'un
album hyper déstabilisant à force de partir dans les directions les plus
invraisemblables, à un disque ultra mainstream qui n'est objectivement
(si ça peut avoir un sens) pas si mauvais (oui c'est facile mais
musicalement ça s'écoute bien), mais évidemment d'un total inintérêt
comparé aux précédents efforts du groupe. Il n'empêche que je prends au
fond plus de plaisir à l'écouter que le précédent, même s'il aura très
vite disparu de ma mémoire.
- Celtic Frost - Vanity/Nemesis (1990) ★
Le disque précédent du groupe ayant fait grincer bien des dents,
celui-ci pouvait-il redresser la barre ? À mon sens, il est encore pire
(il faut dire que je trouvais Cold Lake plutôt acceptable).
Pourtant, le groupe multiplie les signaux "on a bien compris, on ne
refera pas la même erreur" en direction de ses fans : retour du bassiste
fondateur du groupe, et avec lui d'un style vestimentaire plus extrême,
mais aussi d'un son nettement moins daté années 80, la batterie
notamment est moins massacrée. On peut donc s'attendre à un album
nettement plus sombre que le précédent. Sauf qu'en fait, ce disque est
une arnaque totale, parce que sur le fond, on reste vautré dans un
thrash lambda sans aucune imagination ni personnalité, avec plusieurs
pseudos-ballades hyper poussives, des refrains FM en veux-tu en voilà
(c'est souvent à ces moments-là qu'apparaissent les touches de chant
féminin, Wings of solitude est un "bon" exemple de la médiocrité
de la chose), et quand même quelques titres un peu plus énervés mais
beaucoup trop répétitifs (Phallic tantrum). Quant aux quelques
solos, ils sont uniformément mauvais. Bref, ma note est sévère mais Cold
Lake avait au moins l'avantage de la sincérité. Là, on se base juste sur
un nom de groupe pour sortir un album terriblement banal. Et pourtant,
les Suisses sont encore capables d'innover, il n'y a qu'à entendre le
bonus improbable que constitue la "reprise" (je le mets entre guillemets
car on est bien loin de l'original) du Heroes de Bowie avec chant
féminin en français, un grand moment de n'importe quoi. Mais le groupe
n'avait manifestement plus vraiment envie de surprendre, pas étonnant
qu'ils se soient séparés après la sortie de cet album.
- Celtic Frost - Monotheist (2006) ★ ★ ★ ★
Seize ans après son précédent effort, Celtic Frost est de retour pour ce
qui sera un "one shot" puisque le groupe se séparera à nouveau (et
définitivement) juste après. Mais qu'attendre de la part d'un groupe qui
aura fait preuve d'une inventivité extraordinaire avant de tomber dans
du commercial sans intérêt ? Le temps ayant passé, on peut difficilement
espérer un disque dans la veine des premiers opus du groupe (pire, cela
semblerait probablement dépassé en 2006 tant sont nombreux les groupes
qui se sont engouffrés dans les brèches ouvertes par les suisses entre
temps). Et pourtant, ce chant du cygne réussit à surprendre, et même à
impressionner. La pochette donne le ton, la musique est à l'avenant :
c'est d'une noirceur et d'une désespérance assez terrifiantes, à l'image
de cette ouverture Progeny aux guitares lourdes, grasses, à la
saturation malsaine, qui vous écrase littéralement. Le reste sera
presque en permanence dans ce style lent et extrêmement sombre (ça
accélère un peu sur le très sympathique Ain elohim), culminant dans un
triptyque final ambitieux (les 14 minutes de Synagoga satanae, la
conclusion symphonique désolée Winter). Cette atmosphère continûment
pesante est à la fois la grande force de l'album et sa petite faiblesse
: presque 70 minutes de désespoir intense, ça finit par fatiguer (malgré
une ou deux tentatives d'aérer un peu le propos, notamment via
l'exploitation de voix féminines, mais ce ne sont pas les passages les
plus réussis du disque). Mais ça mérite indiscutablement vraiment d'être
écouté, Celtic Frost a prouvé une dernière fois sa fascinante capacité à
créer des atmosphères musicales morbides à partir de pas grand chose.