Je vois d'ici la nuée de remarques au vu de la note
maximale que j'ai accordée au film de Forman : "Ouais, évidemment, c'est
du classique alors Roupoil il faut qu'il fasse de la pub ; je suis sûr que
dès qu'il a entendu trois mesures de Mozart, il a fermé les yeux et il a
pas vu une image du film". Je vais bien sûr nier en vrac ces accusations
:-), et essayer de justifier en quoi ce film est tout sauf un film reservé
aux amateurs de classique, ce que son large succès à sa sortie devrait
d'ailleurs suffire à montrer.
Rappelons l'histoire échaffaudée par Schaefer dans la pièce dont le film
de Forman est une adaptation : Antonio Salieri, qui fût un temps l'un des
compositeurs les plus en vue de la cour de Joseph II à Vienne, s'accuse,
sur son lit de mort (ou presque), de l'assassinat de Mozart. Dans un long
flash-back, il explique comment il a découvert une sorte de garnement
epiègle, grossier et porté sur l'acool, composant la musique la plus
divine qui soit. Et comment il en a justement voulu à Dieu d'avoir prêté
ce génie à ce Mozart prétentieux plutôt qu'à lui qui a consacré toute sa
vie à Dieu à la musique, au point de finit par devenir l'ennemi juré de
Mozart, tout en restant officiellement l'un de ses ardents supporters et
en continuant à être bouleversé par sa musique.
Commençons par un reproche (il n'y en aura pas beaucoup) : ce film,
contrairement à ce qu'il se prétend (je regrette en fait un tout petit peu
l'absence d'avertissement expliquant les libertés prises avec l'Histoire),
n'est *pas* un film historique. Le point-clé du scénario est d'ailleurs
une tromperie puisque Salieri n'a jamais commandé le Requiem à Mozart. Le
but est plus, à partir d'un scénario en partie imaginé, de retranscrire
l'atmosphère viennoise fin de (dix-huitième) siècle dans laquelle Mozart a
vécu, et surtout d'analyser le génie créateur de celui qui personnifie
encore aujourd'hui le génie musical à l'état pur.
Au diable donc la précision historique, Forman n'hésite pas à plonger dans
la vie quotidienne de Mozart, à nous livrer une succession de petites
scènes, tour à tour drôles et dramatiques, de la vie intime de Mozart.
Bien sûr, tout ceci se fonde en grande partie sur des événements
historiques connus (à l'exception notable de la commande du Requiem, tout
ce qui concerne les créations des grandes oeuvres de Mozart est
historique, en particulier le "Trop de notes" de Joseph II ; dans un autre
registre, l'enterrement à la fosse commune est hélas également tout ce
qu'il a de plus historique), mais Forman évite les grandes scènes qu'on
aurait pu croire imposées (très peu de "musique filmée") et se concentre
sur des scènes inventivement dialoguées. Les intérêts sont multiples.
D'une part, les personnages y gagnent en humanité, ce n'est pas seulement
la vie de Mozart qu'on nous présente, mais celle d'un fêtard viennois. Tom
Hulce est fascinant dans ce rôle, à la fois grotesque avec son rire en
cascade sujet à moult rigolades chez le spectateur, et terriblement
émouvant sur la fin de sa vie (celle de Mozart, bien entendu). Les autres
acteurs, dans les rôles de Salieri, Léopold Mozart (très bien rendu à mon
goût dans le film) ou Constance (la femme de Mozart), sont au diapason.
D'autre part, et c'est là la formidable réussite du film, cela permet à
Forman de réaliser non pas un film musical, mais un film sur la musique.
Ce que j'entends par là, c'est que la musique ne prend jamais le dessus
sur le côté cinématographique de l'oeuvre. Comme je l'ai déjà signalé,
Forman a su éviter de filmer la musique, préférant intégrer la musique au
film. Et de ce point de vue, rien à redire, c'est parfait. Le choix des
oeuvres est admirable, et Forman réussit quelques scènes époustouflantes,
comme celle où Mozart dicte le Confutatis du Requiem à Salieri
sur son lit de mort, qui est tout simplement à mon avis le plus bel
hommage rendu à la musique dans toute l'histoire du cinéma, ou encore la
scène où Mozart ridiculise Salieri en transformant une petite marche
laborieusement conçue par le maestro italien en air brillant. Cette scène
résume fort bien la vision de la création artistique que donne le film :
le génie de Mozart n'a nul besoin d'explication, c'est "un don de Dieu",
il lui suffit de laisser vagabonder son esprit pour que les
chefs-d'oeuvres viennent d'eux-mêmes. C'est de fait ainsi que Mozart
"travaillait" et le film le retranscrit admirablement.
Pour le reste, l'astuce de scénario visant à rendre Salieri responsable de
la mort de Mozart permet de maintenir une certaine tension tout au long du
film, et de lui donner une unité scénaristique qui achève de le rendre
passionnant tout du long. Oscillant entre comique et tragique, mais
toujours juste et émouvant, cet Amadeus est assurément le plus
bel exemple que je connaisse de fusion entre mes deux arts préférés
(musique et cinéma), et plus simplement l'une des plus belles oeuvres du
septième art.
Roupoil, 8 août 2004.
P.S : Notons qu'il existe une version longue du film qui
n'ajoute pas grand chose (notamment une scène de strip-tease de Frau
Mozart qui, si elle ne modifie pas profondément le cours de l'histoire,
rend le père Salieri encore plus dégueulasse aux yeux du spectateur), mais
qui ne dénature en rien le film.